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liens qui vous unissent à elle, et que vous lèverez le drapeau de l'indépendance.

Franklin lui avait répondu :

-Nulle idée pareille n'existe et n'entrera jamais dans la tête des Américains, à moins que vous ne les maltraitiez bien scandaleusement.

On pourrait peut-être invoquer la date de l'époque à laquelle se rapporte cette réponse de Franklin à lord Cambden. Mais voici de nouvelles preuves de cette force d'attachement des colonies pour leur mère-patrie. Les deux lettres suivantes, émanant de deux des hommes qui ont joué le rôle le plus considérable dans cette violente et subite rupture, Washington et Jefferson, en feront foi. Elles ont été écrites peu de temps avant que l'un prît le commandement de l'armée, et que l'autre rédigeât l'acte de l'indépendance.

Washington écrivait le 9 octobre 1774 au capitaine Mackenzie :

<< On vous enseigne à croire que le peuple du Massachus>> setts est un peuple de rebelles, soulevé pour l'indépen» dance, et que sais-je? Permettez-moi de vous dire, mon >> bon ami, que vous êtes trompé, grossièrement trompé. » Je puis vous, attester, comme un fait, que l'indépen>> dance n'est ni le vœu, ni l'intérêt de cette colonie, non plus que d'aucune autre sur le continent, séparément » ou collectivement. Mais en même temps, vous pouvez >> compter qu'aucune d'elles ne se soumettra jamais à la >> perte de ces priviléges, de ces droits précieux, qui sont >> essentiels au bonheur de tout État libre, et sans lesquels

» la liberté, la propriété, la vie, sont dépourvues de toute » sécurité. »

De son côté, Jefferson adressait la lettre suivante à M. Randolph, le 29 novembre 1775 :

<«< Croyez-moi, mon cher Monsieur, il n'y a pas, dans >> tout l'empire britannique, un homme qui chérisse plus >> cordialement que je ne le fais l'union avec la Grande» Bretagne. Mais, par le Dieu qui m'a créé, je cesserais » d'exister plutôt que d'accepter cette union sous les con>>ditions que propose le parlement. Et, en ceci, je crois >> exprimer les sentiments de l'Amérique. Nous ne man>> quons ni de motifs, ni de pouvoir pour déclarer et >> soutenir notre séparation. C'est la volonté seule qui >> manque. >>

Malheureusement, le cas prévu par Franklin, par Washington, par Jefferson, se présenta.

L'Angleterre en était venue peu à peu, pas à pas, à cette extrémité d'outrages et de tyrannie à l'égard des colonies, qui ne leur laissait plus de liberté, plus de sécurité, et qui fit naître dans les cœurs cette volonté dont Jefferson constatait l'absence.

Avant que les colonies se décidassent à proclamer leur indépendance, et à rédiger le manifeste qu'on va lire, la guerre à main armée avait remplacé la discussion dans les assemblées.

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III.

Déjà depuis quinze mois, le sang coulait sur les champs de bataille, et la révolution était en pleine voie de progrès et de succès.

L'acte de l'indépendance fut proclamé le 4 juillet 1776, et c'est le 19 avril 1775 que le premier feu entre les colons et les troupes anglaises fut échangé à Lexington.

Encore est-il bon de faire observer que ce fut des Anglais que vint l'attaque. Voici comment les faits se sont passés au dire de tous les historiens américains :

Le général Gage, gouverneur royal du Massachussetts, avait dirigé sur Concord huit cents grenadiers sous les ordres du lieutenant-colonel Smith et du major Pitcairn, pour disperser quelques rassemblements de milices qui se formaient sur ce point. En arrivant à Lexington, ils rencontrèrent soixante-dix hommes de milice occupés à parader sur la place de Lexington. Le major Pitcairn s'avança vers eux et leur cria: «Dispersez-vous, rebelles, mettez bas les armes et dispersez-vous!» Puis il se rapprocha d'eux, tira un coup de pistolet et commanda à sa troupe de faire feu!

Ce fut là le signal de la bataille générale.

L'acte de l'indépendance, loin d'être, par conséquent, un

appel à l'insurrection, tendait au contraire à y mettre fin, en justifiant et en légalisant, pour ainsi dire, la résistance des colons contre la mère-patrie, qui réellement se montrait une marâtre.

La résistance armée était donc organisée partout, et avait précédé la déclaration du 4 juillet 1776.

Washington avait été désigné par le Congrès pour aller prendre le commandement des troupes, et ne faisait plus partie de cette assemblée, qui, au point où en étaient les choses, ou sentait faiblir son pouvoir, ou éprouvait le besoin d'enlever à la guerre qu'elle dirigeait, le caractère d'une guerre civile.

Quel que soit celui de ces deux sentiments qui ait animé le Congrès en ce moment-là, toujours est-il qu'il lui répugnait de continuer une lutte évidemment fratricide, tant que les colons devaient être considérés comme des citoyens anglais. Le Congrès trancha donc la question en proclamant l'indépendance des colonies. La guerre devenait alors une guerre de défensive; et sans fausser le caractère des institutions coloniales, c'était véritablement là un titre que les colons étaient autorisés à lui donner.

Peut-être aussi y avait-il au fond de cette résolution soudainement prise une tactique habile pour arrêter les défections qui se multipliaient déjà. Tant qu'existaient des liens entre les colonies et l'Angleterre, ces défections avaient une certaine raison que légitimaient les souvenirs de l'attachement à la mère-patrie. Mais du moment que ces liens étaient brisés, que toute solidarité disparaissait, que l'indépendance des colons enfin était proclamée et

acceptée, ces défections pouvaient être légitimement considérées comme une trahison envers le pays.

IV.

Voici les circonstances qui entourèrent la nomination de Washington au poste de commandant en chef par le Congrès.

L'armée révolutionnaire se trouvait à Cambridge sous les ordres du général Ward, non définitivement organisée, et sans que le Congrès eût pris encore aucune mesure pour la constituer sur un pied régulier. Le point important était donc de nommer d'abord un général en chef. Les événements étaient devenus assez graves et assez urgents pour qu'on se décidat à prendre un parti on fixa un jour pour délibérer sur cette question soulevée par John Adams. Le jour venu, Adams fit d'abord adopter qu'il y aurait une armée légalement constituée; puis il demanda qu'on nommât à cette armée un chef. Prenant la parole, il fit du général Ward un éloge pompeux et mérité, mettant en relief ses qualités militaires, puis il termina en disant «Mais, nonobstant ses titres, ce n'est pas là l'homme que j'ai choisi. » Il traça alors le portrait d'un général en chef d'armée, tel surtout qu'il en fallait un dans les circonstances où l'on se trouvait.

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