Page images
PDF
EPUB

Les chemins de fer ont, en outre, avantage à passer à travers les forêts, en ce qu'ils se trouvent à même ainsi de s'approvisionner de combustible à très-bon compte. Aussi ne consomme-t-on point de charbon aux États-Unis, ni pour les rail-roads, ni pour les bateaux à vapeur. Le long de la route, de distance en distance, les trains font halte, soit pour s'approvisionner d'eau, soit pour se charger de bois.

Un train de chemin de fer est dans ce pays-là considéré comme une voiture ordinaire. On est habitué à s'en garder comme nous nous gardons d'un cabriolet qui passe dans la rue. Il y a des villes aux Etats-Unis, comme la Nouvelle-Orléans par exemple, où les trains passent au beau milieu des rues exactement comme le ferait la plus innocente calèche. Les enfants se rangent tranquillement, les passants attendent, les autres voitures stationnent; seulement le mécanicien lâche un petit robinet de vapeur disposé en manière de sifflet, et dont le cri strident et prolongé se fait entendre au loin et annonce l'approche du train. Dans la campagne, ce signal est nécessaire pour avertir les animaux qui se promènent paisiblement sur les rails ou s'y couchent en travers. Ils ont une peur terrible de ce sifflément, et, dès qu'ils l'entendent, ils prennent la fuite de tous côtés en poussant des hurlements.

Dans certaines villes, où les gares sont placées au centre des populations, comme à Baltimore, les trains n'y entrent pas avec la vapeur; à quelque distance ils s'arrêtent, ou abandonnent la locomotive, et on attelle aux chars sept ou huit vigoureux chevaux d'une espèce toute particulière et qui les font rouler jusqu'à la gare. Ces chevaux

toujours lancés au galop impriment au convoi une vitesse extraordinaire que facilitent naturellement les rails.

XVI.

Si je me rappelle bien, nous étions arrivés à Atlanta pour y prendre un train de nuit qui devait nous conduire à Augusta.

Ici j'ai une particularité toute spéciale à signaler, je veux parler de la disposition intérieure des chars destinés à recevoir les voyageurs pendant la nuit. Ces voitures sont de véritables maisons où rien, absolument rien ne manque pour tous les besoins de la vie. Elles sont divisées en plusieurs compartiments ou chambres à coucher: les unes destinées aux dames seules, les autres aux hommes.

Chacune de ces chambres comporte six lits ou plutôt six couchettes placées latéralement sur trois étages. Avant que la nuit soit venue, les deux couchettes inférieures forment un excellent canapé; quand l'heure du sommeil arrive, on prend la peine de soulever le dossier du canapé; quand il est parvenu à la position horizontale qui convient à son nouvel usage, de forts crampons en fer mis en mouvement par un mécanisme intérieur le sai sissent et le maintiennent; trois sangles ou courroies perpendiculaires garatinssent le dormeur de toute chute. Vous dire que ces lits soient parfaitement bons, ce serait

mentir; mais on est encore très-aise de les trouver tels qu'ils sont, et de pouvoir, grâce à cette précaution, passer une nuit assez tolérable. Chacune de ces chambres à six lits communique l'une dans l'autre, en sorte que l'on peut se promener au besoin d'un bout à l'autre du char. Des fanaux suspendus à la voûte éclairent cet intérieur, ce qui ne laisse pas d'être un spectacle pittoresque et

nouveau.

Les chars de jour, s'ils ne sont pas aussi riches, aussi moelleusement arrangés que les nôtres, offrent, en compensation certains avantages qui sont bien à envier quand on a une longue route à parcourir. Ces voitures ont la même construction à peu près que les wagons de seconde classe de nos chemins de fer; la toiture en est beaucoup plus élevée cependant, et a environ sept pieds de hauteur. Chaque char contient, sur les grandes lignes, de quarante-huit à soixante - douze personnes. Dans le milieu du char règne une allée assez large qui le coupe en deux parties; à droite et à gauche sont disposées des stalles exactement semblables aux stalles de nos théâtres, avec un dossier un peu plus élevé. Ces stalles sont rangées par trois de front sur chaque côté, et chaque rang jouit. du bénéfice d'une croisée. Aucune porte latérale; on entre et on sort par les deux extrémités de la voiture. Devant chacune de ces portes règne une sorte de petit balcon circulaire avec balustrade en fer, et qui sert comme de pont pour passer de plain-pied d'un char dans l'autre. De cette façon on peut se promener d'un bout à l'autre du convoi.

XVII.

Il n'y a de distinction entre les places que celles-ci: les femmes jouissent du privilége d'un char spécial où ne sont admis, comme sur les bateaux à vapeur, que leurs chevaliers servants; les gens de couleur ont également un char spécial; quant aux esclaves (dans les Etats à escla ves), on les relègue avec les bagages, dans une sorte de magasin placé sur l'avant, et qui sert en même temps de salle à fumer.

Tout ce qui a la peau blanche, ou mieux, pour m'exprimer selon la loi américaine, tout ce qui est citoyen américain, a des droits égaux aux mêmes places, le prix en est le même pour tous.

Dans le char des femmes se trouve un petit salon, mystérieux arcane, qui renferme des toilettes complètes et tous les objets dont la coquetterie féminine sent le besoin, même en voyage. Ce petit salon est parfaitement arrangé et dé coré. Pendant l'hiver, on place dans les chars un poêle; vous voyez que rien n'y manque.

Aux Etats-Unis on ne paie pas sa place avant de monter en voiture, ou du moins il en est ainsi pour ceux qui prennent le train en route; car, aux Etats-Unis, on fait signe et on arrête un convoi de chemin de fer en pleine voie, comme nous arrêtons un omnibus sur le

boulevard. Seulement, de demi-heure en demi-heure, le chef du train fait sa tournée, nuit et jour, dans tous les chars en criant :

-Your tickets, if you please, gentlemen. (Vos billets, s'il vous plaît, messieurs.)

Celui qui ne peut produire son billet paie le prix de sa place, et, en échange de son argent, on lui remet une carte. Afin de prévenir cette exhibition continuelle de billets pour la production desquels le chef du train est obligé au milieu de la nuit de réveiller les dormeurs, les Américains ont adopté l'usage de planter le ticket entre le chapeau et le ruban qui l'entoure, de manière à le mettre bien en évidence.

Il n'y a pas d'exemple que jamais personne ait songé à profiter du sommeil d'un voyageur pour lui dérober ce billet. En France, il faudrait bien se garder d'une telle confiance. Mais aux Etat-Unis, il n'y a pas, à proprement parler, de filous; ils sont rares du moins. On y vole comme partout, mais on y vole sur une échelle plus importante. Un coquin ne sera pas assez sot pour jouer sa liberté sur un coup pareil, il aime mieux la réserver pour quelque grande opération plus lucrative.

Il est un genre de vol bien curieux, cependant, mais qui est pratiqué tout spécialement à Boston, c'est celui des parapluies, qu'il faut surveiller avec plus de précaution que sa montre ou sa bourse. Dans les hôtels, dans les barrooms, dans les maisons les plus honnêtes, on escamote les parapluies avec une impudence incroyable. Ce qu'il y a d'étrange dans ce fait, c'est que ce genre de vol était passé

« PreviousContinue »