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AVANT-PROPOS.

Ce livre, bien qu'il se compose d'études variées, est écrit sous l'inspiration d'une pensée unique. Ce n'est ni précisément de la critique que nous avons prétendu faire, ni purement du dogme; c'est plutôt du dogme à propos de critique. Nous avons essayé d'observer et de suivre, dans ces dernières années, l'histoire intellectuelle de l'humanité, qui, dans la région des idées comme dans celle des faits, a subi bien des révolutions et des orages. Nous avons noté nos impressions presque au jour le jour, et nous en donnons ici le résultat condensé en quelques pages, choisies parmi les moins défectueuses. L'unité de ce livre, on le verra sans peine de la première à la dernière ligne, c'est la défense du vrai spiritualisme dans la philosophie, dans la littérature et dans l'art.

L'accueil sympathique que plusieurs de ces études ont rencontré, lorsqu'elles ont paru dans des recueils amis, nous a encouragé à les reprendre sous une forme plus durable et plus fixe, en les renouvelant par le soin d'une révision sévère et le travail d'une rédaction développée sur

a

plusieurs points, fortifiée sur d'autres. Nous livrons à sa fortune cet ouvrage sérieusement médité. Nous y avons déposé notre pensée sincère; c'est là tout notre espoir. Le reste ne nous regarde pas. C'est affaire à nos juges naturels, qui sont les critiques consciencieux, et au public, qui se montre souvent le plus consciencieux des critiques.

On verra que nous avons été amené à discuter vivement des doctrines contemporaines. Nous revendiquons le droit de juger en toute franchise ces grandes hérésies de la raison; mais on nous rendra cette justice, nous l'espérons, que notre discussion s'est scrupuleusement renfermée dans la limite des idées. Nous détestons la secte injurieuse de ces critiques que nous voyons tous les jours adresser leur polémique effrénée aux personnes et traduire sur la scène l'inviolable conscience. Nous tenons nos adversaires pour d'honnêtes gens, nous n'en voulons qu'à l'erreur, nous respectons l'homme dans le système. C'est une règle à laquelle nous croyons n'avoir jamais manqué, et si un mot excessif nous a quelque part échappé, nous le désavouons hautement, comme ayant trahi notre pensée.

La division de ces Études en deux catégories, les Études philosophiques et les Études littéraires, n'implique pas, dans notre pensée, une distinction fondamentale. On pourrait, selon nous, faire d'excellente littérature à propos de philosophie, et de haute philosophie sous prétexte de litté rature. Nous croyons même que la philosophie ne perdrait rien à ne pas trop s'isoler dans les profondeurs silencieuses de la métaphysique pure; que, sans rien relâcher de sa

puissance d'abstraction et de sa rigueur, elle pourrait être de son temps, vivre avec son siècle, unissant dans une mesure intéressante la pratique à la spéculation et le goût de la réalité au goût de la vérité. N'abusons pas des équations métaphysiques et des creuses formules. Faisons de la philosophie vivante. On est las en France, on sera las bientôt en Allemagne de ces déductions abstraites qui prétendent renfermer dans un syllogisme l'infini, et n'aboutissent qu'à une ontologie sèche, scolastique d'un nouveau genre et pure science de mots. La véritable philosophie rejette ce pesant appareil de théorèmes, de syllogismes, d'axiomes et de corollaires qui élèvent autour d'elle comme un échafaudage d'abstractions et une barrière d'ennui. Elle veut vivre, elle doit vivre pour elle-même et pour les autres ; elle n'exclut ni l'essor réglé de l'imagination, ni la vivacité de la pensée, qui est la poésie de la métaphysique; elle cherche à répondre, autant qu'il est possible, aux préoccupations des esprits, pour les diriger et les régler, et à satisfaire ainsi, dans tous les ordres de la réalité et dans toutes les directions de la pensée, aux exigences morales de l'époque et de l'humanité.

Paris, 1 nov. 1855.

PRÉFACE.

S'il y a chez nous une philosophie nationale, c'est le spiritualisme. Seule, cette philosophie de l'âme, de l'idéal et de Dieu a pu s'acclimater dans la patrie de Descartes. Il semble qu'il y ait comme une harmonie préétablie entre le spiritualisme et le génie de la nation. Les autres doctrines, celles de la sensation, par exemple, ont traversé comme un mauvais rêve l'intelligence française; elles n'ont jamais pu s'y fixer, et si le triomphe de ces mauvaises philosophies a été un scandale, ajoutons que le scandale a été éphémère, et que le suprême bon sens du pays a toujours fini par se relever victorieux. Il a pu y avoir, de temps à autre, surprise, fascination, coup de main tenté par le sensualisme ou le panthéisme sur l'esprit français ; il n'y a pas eu conquête définitive, et la doctrine de l'esprit a su chaque fois prendre ses revanches. Même dans la seconde moitié du xvII siècle, où la fortune du spiritualisme semblait être le plus en péril, une philosophie généreuse inspirait encore cet esprit de liberté, de tolérance, de progrès, d'humanité qui s'égarait souvent en rêves et en déclamations, mais qui, en soi, n'en était pas moins une noble chose, inexplicable par la sensation. Il semble que le spiritualisme soit la philosophie prédestinée

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