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THE NEW YORK

PUBLIC LIARY

266902B

ASTOR, LENOX AND

TILDEN FOUNDATIONS

1944

L

Tout exemplaire de cet ouvrage non revêtu de notre griffe sera réputé contrefait.

Belin Frère

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AVANT-PROPOS

Depuis vingt ans on a publié, sur la versification française, un assez grand nombre d'excellents travaux qui ont singulièrement renouvelé, agrandi et relevé une matière si souvent traitée. La plupart, il est vrai, se sont limités à quelques points particuliers du sujet; mais en renonçant à s'étendre, ils se sont assuré le mérite d'un savoir plus original et plus précis. La science nouvelle a produit un double résultat elle a mis en évidence les lacunes des anciens traités, tout en fournissant le moyen de réparer cette insuffisance.

En 1880, M. Tobler a donné la première édition de son livre sur la comparaison de l'ancien vers français du moyen âge avec notre vers moderne. On sait combien, jusqu'à ces derniers temps, on connaissait peu les origines et les formes primitives du vers français M. Tobler a jugé superflu d'insister sur la question des origines, récemment élucidée en France; il a fait sa principale étude des particularités caractéristiques de la prosodie du moyen âge, et son érudition exacte et sûre n'a rien laissé d'essentiel à dire, après lui, sur ce sujet.

S'il est nécessaire de distinguer notre vers ancien du vers moderne, il n'est pas moins important de soumettre à un examen un peu approfondi les différences qui existent entre le vers classique et le vers

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romantique. Pendant toute la première moitié de ce siècle, cette comparaison eût été prématurée; elle eût semblé introduire dans un livre de doctrine une œuvre partiale, un thème à controverse. Aujourd'hui, le vers romantique, longtemps suspect et non classé, a pris rang définitivement à côté du vers classique; les débats sont clos, et l'apaisement général rend l'impartialité facile. C'est ici le lieu de signaler le plus remarquable, le seul complet des travaux récents que nous énumérons. M. Becq de Fouquières a publié en 1879 un Traité de versification française qui fait époque dans l'histoire du vers français. On peut, sans doute, lui reprocher un style trop souvent abstrait et parfois obscur, un excès de sagacité subtile, et des paradoxes assez fréquents; mais on ne saurait lui contester un sentiment profond, une pénétrante intelligence des lois harmoniques du vers et des effets du rythme; et c'est surtout dans la comparaison qu'il fait de la forme classique et de la forme romantique que ces éminentes qualités se manifestent.

Le romantisme n'est plus le dernier mot de l'évolution poétique au dix-neuvième siècle. La jeune école des poètes « décadents » a des ambitions que l'idéal réalisé par Victor Hugo ne satisfait pas. Pour elle, toute la poétique consiste dans la théorie de l'assonance et de l'allitération, comme tout le génie du poète se réduit à mettre en relief les qualités musicales des mots. Cette phase nouvelle des innovations prosodiques est appréciée par des juges dont la compétence et l'autorité ne peuvent être récusées. Deux poètes de renom, MM. Sully Prudhomme et d'Eichthal, ont fait paraître, simultanément, en 1892, l'un, quelques Réflexions sur l'art des vers, l'autre, la Question du rythme dans le vers français: ces deux

études, très substantielles, et dont le seul tort est leur brièveté, se complètent réciproquement, par la conformité des opinions et des jugements.

Il ne suffit donc plus d'établir un parallèle entre le vers de Racine et le vers de V. Hugo; il y faut joindre un troisième terme de comparaison, le vers « décadent ». Un écrivain qui traite les questions de littérature avec la hauteur d'esprit du philosophe et le sens délicat de l'artiste, M. Guyau, auteur d'un livre sur les Problèmes de l'esthétique contemporaine (1884), s'est aussi occupé du « problème » de la versification. Dans la troisième partie de ce livre, il a résumé son opinion sur les trois formes du vers moderne en quelques pages lumineuses et fortes, aussi intéressantes à lire qu'utiles à consulter. La théorie, devenue fameuse, de l'assonance et de l'allitération, a pareillement provoqué la critique d'un docteur ès lettres, M. Combarieu, dont la thèse, très distinguée, a pour titre les Rapports de la musique et de la poésie (1893). L'un des meilleurs chapitres est celui où l'auteur, prenant à partie l'innovation « décadente», en fait l'historique, et lui découvre de lointains précurseurs, une longue lignée d'ancêtres que leurs descendants, selon toute apparence, connaissaient peu.

Un autre docteur, M. Souriau, a choisi un champ d'études et d'observations très différent, et absolument classique. Sa thèse, sur la Versification de Molière (1884), s'est développée en un volume intitulé l'Evolution du vers français au dix-septième siècle. Les irrégularités prosodiques des chefsd'œuvre, plus fréquentes qu'on ne le croit généralement, y sont notées avec un rare scrupule d'exactitude et censurées avec une sévérité que nos illustres

poètes n'ont pas toujours exercée sur eux-mêmes. Cette rapide énumération suffit, croyons-nous, à faire entrevoir tout ce que l'investigation savante et la pensée originale ont pu ajouter de solide richesse et de légitime nouveauté à l'ancien fonds de la poétique française. Terminons-la par une dernière indication. Il ne viendra certainement à l'esprit de personne de citer comme une œuvre de doctrine et d'érudition le petit Traité de poésie française (1891) que nous a laissé Théodore de Banville. Mais au milieu des fantaisies paradoxales que le poète, transformé en théoricien, prodigue avec une verve de franchise et de gaieté qui se fait tout pardonner, il y a des aperçus ingénieux et vrais, d'heureuses intuitions, des expressions trouvées, où se reconnaît l'homme de talent; il y a aussi des parties fort bien étudiées et complètes, notamment le chapitre sur les Poèmes à forme fixe.

En résumant cet ensemble de publications, accumulées en si peu d'années, il nous a paru qu'il ne serait pas sans à propos, sans utilité peut-être, d'écrire un livre qui recueillerait ce qu'elles contiennent d'excellent, et se proposerait de compléter et de renouveler, en plus d'un point essentiel, l'ancienne poétique par une doctrine moins surannée, moins fermée aux changements nécessaires que le cours du temps amène. On présenterait ainsi au public studieux de nos grandes écoles un état précis des conclusions formulées par la science contemporaine sur ces questions complexes et controversées.

Cela exclut - est-il besoin de le dire?-toute idée de compilation, toute forme de rédaction superficielle et trop sommaire. Dans un sujet où l'expérience, que donne l'habitude, ne nous manque pas, nous

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