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Penses-tu que, plus vieille, en la maison céleste
Elle eût eu plus d'accueil,

Ou qu'elle eût moins senti la poussière funeste
Et les vers du cercueil?

C'est bien, je le confesse, une juste coutume
Que le cœur affligé,

Par le canal des yeux vidant son amertume,
Cherche d'être allégé.

Mais d'être inconsolable, et dedans sa mémoire
Enfermer son ennui,

N'est-ce pas se haïr, pour acquérir la gloire
De bien aimer autrui ?

La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles:
On a beau la prier;

La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles,
Et nous laisse crier.

Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,
Est sujet à ses lois;

Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
N'en défend pas nos rois.

De murmurer contre elle, et perdre patience,
Il est mal à propos;

Vouloir ce que

Dieu veut est la seule science

Qui nous met en repos."

Rapidité du temps. Eternité.

L'HEURE Sonne! on la compte; elle n'est déjà plus: L'airain n'annonce, hélas ! que des moments perdus. Son redoutable son m'épouvante, m'éveille;

Et c'est la voix du temps qui frappe à mon oreille.

S'il ne m'abuse point, le lugubre métal

De mon heure dernière a donné le signal:

C'est elle!... où retrouver tant d'heures écoulées ?
Vers leur source lointaine elles sont refoulées :
Le seul effroi me reste et l'espoir est banni.
Il faut mourir, finir... quand je n'ai rien fini.
Où vais-je ? et quelle scène à mes yeux se déploie?
Des bords du lit funèbre, où palpite sa proie,
Aux lugubres clartés de son pâle flambeau,
L'impitoyable mort me montre le tombeau.
Eternité profonde, océan sans rivage!

De ce terme fatal, c'est toi que j'envisage.
Sur le fleuve du temps, quoi! c'est là que je cours?
L'éternité l'homme?...
pour

il vit si peu de jours.

La Fiancée.

Le soir brunissait la clairière ;
L'oiseau se taisait dans les bois ;
Et la cloche de la prière
Tintait pour la dernière fois.
Au sein de la forêt obscure
Seul et perdu, loin du sentier,
J'errais encore à l'aventure,
N'entendant plus dans la nature
Que le pas de mon destrier.

Quand soudain s'offrit à ma vue
Une bergère du coteau:

"Quelle est," lui dis-je, "l'avenue
Qui peut ramener au château ?”
-"Suivez le long de la fougère,
A la gauche du coudrier."
Elle était jeune, la bergère:

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"Mais toi, pastourelle, à cette heure
Où vas-tu? le ciel est si noir!
Reste un moment; vers ta demeure
Je te reconduirai ce soir.

A mes côtés viens prendre place
Sous la feuille du coudrier.
Qu'auprès de toi je m'y délasse,
Et qu'à ses rameaux j'entrelace
Les rênes de mon destrier."

"Oh! non pas, je suis fiancée : Dans huit jours Roch m'épousera." Et sa main dans ma main pressée Tout doucement se retira. "Pauvre Lise!" poursuivit-elle. "Je veux," lui dis-je, "me prier Aux noces de la pastourelle,

Et diriger vers la chapelle

La course de mon destrier.'

"Venez," repartit la bergère,

"Mais vous me plaindrez."-" Et pourquoi ?" "J'avais un tendre ami... son père

Lui défend de songer à moi.

De tes jours, triste pastourelle,
Que ce jour n'est-il le dernier !"
Je plaignis sa peine cruelle,
Et, pensif, je m'éloignai d'elle,
Ralentissant mon destrier.

Au chaste rendez-vous fidèle,
Je revins le huitième jour,

Portant à l'épouse nouvelle
La croix d'or, présent du retour.
"Où trouver Lise la bergère ?”
Dis-je à l'ermite hospitalier.

-“Pas bien loin," dit le solitaire,

"Pas bien loin.”—“ Où donc ?""Sous la terre Que foule votre destrier."

Le Sommeil du Tyran.

Sous ses lambris dorés, un tyran détesté
Dormait, en apparence, avec tranquillité

"Le sommeil," dit quelqu'un," est-il fait pour le crime?
Eh quoi le ciel épargne sa victime!"
-"Imprudent! au bruit que tu fais,"
Dit un fakir, "tremble qu'il ne s'éveille;
Le ciel permet que le méchant sommeille
Pour que
le sage ait des moments de paix."

Portrait de l'Amitié.

J'ai le visage long et la mine naïve,

Je suis sans finesse et sans art.

Mon teint est fort uni, ma couleur assez vive,
Et je ne mets jamais de fard.

Mon abord est civil; j'ai la bouche riante;
Et mes yeux ont mille douceurs ;

Mais quoique je sois belle, agréable et charmante,
Je règne sur bien

peu de cœurs.

On me proteste assez, et presque tous les hommes

Se vantent de suivre mes lois.

Mais que j'en connais peu dans le siècle où nous sommes, Dont le cœur réponde à la voix !

Ceux que je fais aimer d'une flamme fidèle,

Me font l'objet de tous leurs soins.

Quoique vieille, à leurs yeux je parais toujours belle;
Ils ne m'en estiment pas moins.

On m'accuse souvent d'aimer trop à paraître
Où l'on voit la prospérité;

Cependant il est vrai qu'on ne me peut connaître
Qu'au milieu de l'adversité.

Ode à la Fortune.

Fortune, dont la main couronne
Les forfaits les plus inouïs,
Du faux éclat qui t'environne
Serons-nous toujours éblouis?
Jusques à quand, trompeuse idole,
D'un culte honteux et frivole
Honorerons-nous tes autels?
Verra-t-on toujours tes caprices
Consacrés par les sacrifices
Et par l'hommage des mortels?

Le peuple, dans ton moindre ouvrage
Adorant la prospérité,

Te nomme grandeur de courage,
Valeur, prudence, fermeté:
Du titre de vertu suprême
Il dépouille la vertu même,
Pour le vice que tu chéris;
Et toujours ses fausses maximes
Erigent en héros sublimes
Tes plus coupables favoris.

Mais de quelque superbe titre
Que ces héros soient revêtus,
Prenons la raison pour arbitre,

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