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Seule, errante, et sans guide, une vache....c'est celle
Dont on lui fit tantôt un portrait si fidèle;

Il ne peut s'y tromper!.... Et soudain empressé,
Il court dans l'herbe humide et franchit un fossé,
Arrive haletant; et Brunon complaisante,
Loin de le fuir, vers lui s'avance et se présente;
Lui-même, satisfait, la flatte de la main.

Mais que faire? va-t-il poursuivre son chemin,
Retourner sur ses pas ou regagner la ville?
Déjà, pour revenir, il a fait plus d'un mille...
"Ils l'auront dès ce soir," dit-il, "et par mes soins ;
Elle leur coûtera quelques larmes de moins."

Il saisit à ces mots la corde qu'elle traîne,
Et, marchant lentement, derrière lui l'emmène.

Venez, mortels si fiers d'un vain et mince éclat,
Voyez, en ce moment, ce digne et saint prélat,
Que son nom, son génie, et son titre décore,
Mais que tant de bonté relève plus encore !
Ce qui fait votre orgueil vaut-il un trait si beau?

Le voilà, fatigué, de retour au hameau.

Hélas! à la clarté d'une faible lumière,

On veille, on pleure encore dans la triste chaumière ;
Il arrive à la porte: "Ouvrez-moi, mes enfants,
Ouvrez-moi c'est Brunon, Brunon que je vous rends."
On accourt. O surprise! ô joie! ô doux spectacle
La fille croit que Dieu fait pour eux un miracle:
"Ce n'est point monseigneur, c'est un ange des cieux,
Qui sous ses traits chéris se présente à nos yeux;
Pour nous faire plaisir il a pris sa figure;

Aussi je n'ai pas peur... Oh! non, je vous assure,
Bon ange! ..." En ce moment, de leurs larmes noyés,

Père, mère, enfants, tous sont tombés à ses pieds.
“Levez-vous, mes amis; mais quelle erreur étrange!
Je suis votre archevêque, et ne suis point un ange;
J'ai retrouvé Brunon, et, pour vous consoler,
Je revenais vers vous; que n'ai-je pu voler!
Reprenez-la, je suis heureux de vous la rendre."

"Quoi! tant de peine! O ciel! vous avez pu la prendre, Et vous même ! ..." Il reçoit leurs respects, leur amour Mais il faut bien aussi que Brunon ait son tour.

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On lui parle : "C'est donc ainsi que tu nous laisses! ...
Mais te voilà!..." Je donne à penser les caresses!
Brunon paraît sensible à l'accueil qu'on lui fait.
Tel, au retour d'Ulysse, Argus le reconnaît.
"Il faut," dit Fénélon, "que je reparte encore;
A peine dans Cambrai serai-je avant l'aurore;
Je crains d'inquiéter mes amis, ma maison.
—“Oui,” dit le villageois, "oui, vous avez raison;
On pleurerait ailleurs, quand vous séchez nos larmes !
Vous êtes tant aimé ! prévenez leurs alarmes ;
Mais comment retourner? car vous êtes bien las !
Monseigneur, permettez .... nous vous offrons nos bras:
Oui, sans vous fatiguer, vous ferez le voyage."
D'un peuplier voisin on abat le branchage.

Mais le bruit au hameau s'est déjà répandu:
Monseigneur est ici! chacun est accouru,
Chacun veut le servir. De bois et de ramée
Une civière agreste aussitôt est formée,
Qu'on tapisse partout de fleurs, d'herbage frais,
Des branches au-dessus s'arrondissent en dais;
Le bon prélat s'y place, et mille cris de joie
Volent au loin: l'écho les double et les renvoie.
Il part; tout le hameau l'environne et le suit;
La clarté des flambeaux brille à travers la nuit ;

Le cortége bruyant, qu'égaie un chant rustique,
Marche... Honneurs innocents! et gloire pacifique !
Ainsi par leur amour Fénélon escorté,

Jusque dans son palais en triomphe est porté.

Le Chêne et le Tournesol.

AUPRÈS d'un jeune chêne, espoir d'un beau jardin,
Mais dont la tige frêle et le rare feuillage
Sur quelques palmes de terrain
Traçaient à peine leur ombrage,
Un tournesol tranchait de l'important;
Et, fier de sa prompte croissance,
Etalait avec arrogance

De ses soleils dorés le panache éclatant.
"Vois," disait-il au jeune chêne,

"L'été qui m'a fait naître est encor radieux,
Et ma tête s'élève au-dessus de la tienne;
Quatre saisons de plus, et j'atteindrai les cieux.
Mais toi, race d'arbuste, à ramper condamnée,
Le plus hardi jouteur n'oserait t'opposer
Au râteau du manant qui me vient arroser;
Et cependant trois fois tu vis naître l'année."

"-Cent fois," répond le chêne, "elle ouvrira son cours,
Et mon front sera jeune encore:

J'ai des siècles à vivre, et tu comptes par jours.

Ton âge n'ira point à la centième aurore;
L'hiver me vengera de ton superbe espoir;
Jouis de ta gloire éphémère.

J'ai vu déjà mourir ton aïeul et ton père.
Qui s'élève trop vite est plus prompt à déchoir."

La menace ne fut point vaine.

L'automne de sa froide haleine

Flétrit de l'orgueilleux la tige et les soleils;
Un coup de bêche en termina l'histoire.
Et le chêne vengé vit expirer sa gloire
Sur le fumier voisin, tombeau de ses pareils.

J'ai vu des tournesols au Parnasse, à l'armée,
Grandis par les salons, les prôneurs, les journaux,
S'éblouir de leur vogue, et, gorgés de fumée,
Traiter les chênes d'arbrisseaux: ◊
Ils ont vécu plus que leur renommée.

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N'ESPÉRONS plus, mon âme, aux promesses du monde ;
Sa lumière est un verre, et sa faveur une onde
Que toujours quelque vent empêche de calmer.
Quittons ces vanités, lassons-nous de les suivre ;
C'est Dieu qui nous fait vivre,
C'est Dieu qu'il faut aimer.

En vain, pour satisfaire à nos lâches envies,
Nous passons près des rois tout le temps de nos vies
A souffrir des mépris, à ployer les genoux:

Ce qu'ils peuvent n'est rien; ils sont comme nous sommes,
Véritablement hommes,

Et meurent comme nous.

Ont-ils rendu l'esprit, ce n'est plus que poussière

Que cette majesté si pompeuse et si fière

Dont l'éclat orgueilleux étonnait l'univers ;

Et, dans ces grands tombeaux où leurs âmes hautaines
Font encore les vaines,

Ils sont rongés des vers.

C

Là se perdent ces noms de maîtres de la terre,
D'arbitres de la paix, de foudres de la guerre;20

Comme ils n'ont plus de sceptre, ils n'ont plus de flatteurs;
Et tombent avec eux, d'une chute commune,

Tous ceux que leur fortune

Faisait leurs serviteurs.

A M. Du Perrier, sur la mort de sa fille.

"TA douleur, Du Perrier, sera donc éternelle?
Et les tristes discours

Que te met en l'esprit l'amitié paternelle
L'augmenteront toujours?

Le malheur de ta fille au tombeau descendue
Par un commun trépas,

Est-ce quelque dédale où ta raison perdue
Ne se retrouve pas ?

Je sais de quels appas son enfance était pleine;
Et n'ai pas entrepris,

Injurieux ami, de soulager ta peine
Avecque son mépris.

Mais elle était du monde, où les plus belles choses
Ont le pire destin;

Et, rose, elle a vécu ce que vivent les roses,
L'espace d'un matin.

Puis, quand ainsi serait que, selon ta prière,
Elle aurait obtenu

D'avoir en cheveux blancs terminé sa carrière,
Qu'en fut-il avenu?

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