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FLEURS DU PARNASSE FRANÇAIS.

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Le Chêne et le Roseau.

LE chêne un jour dit au roseau :

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"Vous avez bien sujet d'accuser la nature; 3 Un roitelet pour vous est un pesant fardeau.

Le moindre vent qui, d'aventure,

Fait rider la face de l'eau,

Vous oblige à baisser la tête; /?
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.

Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr. /
Encon si vous naissiez à l'abri du feuillage 2

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Dont je couvre le voisinage,

Vous n'auriez pas tant à souffrir;

Je vous défendrais de l'orage.

Mais vous naissez le plus souvent

Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.”
"Votre compassion," lui répondit l'arbuste,
"Part d'un bon naturel. Mais quittez ce souci :

Les vents me sont moins qu'à vous, redoutables : Je plie et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici Contre leurs coups épouvantables

Résisté sans courber le dos;

Mais attendons la fin." Comme il disait ces mots, /-

(9)

Du bout de l'horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants

Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
L'arbre tient bon; le roseau plie.

Le vent redouble ses efforts, 20
Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel était voisine,

Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts!

Le Laboureur et ses Enfants.

"Travaillez, prenez de la peine :

C'est le fonds qui manque le moins."

UN riche laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
"Gardez-vous," leur dit-il, " de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents:

Un trésor est caché dedans.

Je ne sais pas l'endroit : mais un peu de courage Vous le fera trouver; vous en viendrez à bout. Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'août : Creusez, bêchez, fouillez, ne laissez nulle place Où la main ne passe et repasse."

Le père mort, les fils vous retournent le champ Deçà, delà, partout; si bien qu'au bout de l'an Il en rapporta davantage.

D'argent, point de caché. Mais le père fut sage De leur montrer avant sa mort

Que le travail est un trésor.

A mon Petit Logis.

PETIT séjour, commode et sain,
Où des arts et du luxe en vain

On chercherait quelque merveille;
Humble asile où j'ai sous la main
Mon La Fontaine et mon Corneille,
Où je vis, m'endors et m'éveille
Sans aucun soin du lendemain,
Sans aucun remords de la veille;
Retraite où j'habite avec moi,
Seul, sans désirs et sans emploi,
Libre de crainte et d'espérance;
Enfin, après trois jours d'absence,
Je viens, j'accours, je t'aperçoi.
O mon lit! O ma maisonnette!
Chers témoins de ma paix secrète !
C'est vous! Vous voilà! je vous vor!
Qu'avec plaisir je vous répète :
Il n'est point de petit chez soi.-/2

Le Cochet, le Chat, et le Souriceau.

Un souriceau tout jeune, et qui n'avait rien vu,
Fut presque pris au dépourvu. –

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Voici comme il conta l'aventure à sa mère.

"J'avais franchi les monts qui bornent notre Etat,
Et trottais comme un jeune rat
Qui cherche à se donner carrière,
Lorsque deux animaux m'ont arrêté les yeux :
L'un doux, bénin et gracieux,
Et l'autre turbulent et plein d'inquiétude;
Il a la voix perçante et rude,

Sur la tête un morceau de chair,
Une sorte de bras dont il s'élève en l'air,
Comme pour prendre la volée,
La queue en panache étalée.”

Or c'était un cochet dont notre souriceau

Fit à sa mère le tableau

Comme d'un animal venu de l'Amérique.

"Il se battait," dit-il, " les flancs avec ses bras,

Faisant tel bruit et tel fracas

2

Que moi, qui, grâce aux dieux, de courage me pique, En ai pris la fuite de peur,

Le maudissant de très-bon cœur.

37 Sans lui, j'aurais fait connaissance

Avec cet animal qui m'a semblé si doux :

Il est velouté comme nous,

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Marqueté, longue queue, une humble contenance,
Un modeste regard, et pourtant l'œil luisant.
Je le crois fort sympathisant

Avec messieurs les rats: car il a des oreilles
En figure aux nôtres pareilles.

Je l'allais aborder, quand, d'un son plein d'éclat,
L'autre m'a fait prendre la fuite."

"Mon fils," dit la souris, " ce doucet est un chat,
Qui, sous son minois hypocrite,

Contre toute ta parenté

D'un malin vouloir est porté.

L'autre animal tout au contraire,

Bien éloigné de nous mal faire,

Servira quelque jour, peut-être, à nos repas.
Quant au chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cuisine.
Garde-toi, tant que tu vivras,

De juger les gens sur la mine."

La Laitière et le Pot au Lait.

Perrette, sur sa tête ayant un pot au lait
Bien posé sur un coussinet,

Prétendait arriver sans encombre à la ville.

Légère et court-vêtue, elle allait à grands pas,
Ayant mis, ce jour-là, pour être plus agile,
Cotillon simple et souliers plats.
Notre laitière, ainsi troussée,

Comptait déjà dans sa pensée

Tout le prix de son lait; en employait l'argent ;
Achetait un cent d'œufs; faisait triple couvée:
La chose allait à bien par son soin diligent.
"Il m'est," disait-elle, "facile

D'élever des poulets autour de ma maison ;
Le renard sera bien habile

S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon.
Le porc à s'engraisser coûtera peu de son ;
Il était, quand je l'eus, de grosseur raisonnable :
J'aurai, le revendant, de l'argent, bel et bon.
Et qui m'empêchera de mettre en notre étable,
Vu le prix dont il est, une vache et son veau,
Que je verrai sauter au milieu du troupeau!"
Perrette là-dessus saute aussi transportée;

Le lait tombe; adieu veau, vache, cochon, couvée.
La dame de ces biens, quittant d'un œil marri
Sa fortune ainsi répandue,

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Va s'excuser à son mari,

En grand danger d'être battue.

Le récit en farce en fut fait;

On l'appela le pot au lait.

Le Vieillard et les trois jeunes Hommes.

UN octogénaire plantait.

"Passe encor de bâtir; mais planter, à cet âge!" Disaient trois jouvenceaux, enfants du voisinage : Assurément il radotait.

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