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Le Temps, qui rajeunit sans cesse l'univers
Et, de l'immensité parcourant les espaces,
Détruit et reproduit tous les mondes divers,
Un jour, d'un vol léger, suspendu dans les airs,
Aperçut Aglaé, la plus jeune des Grâces.
Son cortége nombreux fut prompt à s'écarter.
Le dieu descendit seul vers la jeune immortelle :
Ainsi l'on voit encore, à l'aspect d'une belle,
Les heures, les jours fuir, et le temps s'arrêter.
Il parut s'embellir par le désir de plaire ;
Et sans doute le dieu du temps
Sut préparer, sut choisir les instants,
Ceux de parler, ceux de se taire.
Un autre dieu naquit de ce tendre mystère:
Cherchez la troupe des Amours,
La plus leste, la plus gentille,
Vous l'y rencontrerez toujours:
C'est un enfant de la famille.

Le don de plaire promptement,
Les rapides succès, les succès du moment,
Forment surtout son apanage;

Il est le dieu des courtisans,

Et la faveur des cours est encor son ouvrage,
Même quand elle vient par les soins et les ans.
Il donne de la vogue au sage,

Quelquefois de l'esprit aux sots,

Le bonheur aux amants, la victoire aux héros.
On ne le voit jamais revenir sur ces traces;
Il fuit comme le Temps, il plaît comme les Grâces,
Et c'est le dieu de l'à-propos.

Temps.

Hâtons-nous, le temps fuit et nous traîne après soi: Le moment où je parle est déjà loin de moi.

Description du Printemps.

MAIS le printemps surtout seconde tes travaux;
Le printemps rend aux bois des ornements nouveaux :
Alors la terre ouvrant ses entrailles profondes,
Demande de ses fruits les semences fécondes;
Le dieu de l'air descend dans son sein amoureux,
Lui verse ses trésors, lui darde tous ses feux,
Remplit ce vaste corps de son âme puissante;
Le monde se ranime, et la nature enfante.

Dans les champs, dans les bois, tout sent les feux d'amour.
L'oiseau reprend sa voix; les zéphirs de retour
Attiédissent les airs de leurs molles haleines;
Un suc heureux nourrit l'herbe tendre des plaines;
Aux rayons doux encor du soleil printanier
Le gazon sans péril ose se confier;

Et la vigne, des vents bravant déjà l'outrage,
Laisse échapper ses fleurs et sortir son feuillage.
Sans doute le printemps vit naître l'univers;
Il vit le jeune oiseau s'essayer dans les airs;
Il ouvrit au soleil sa brillante carrière,
Et pour l'homme naissant épura la lumière.
Les aquilons glacés, et l'œil ardent du jour
Respectaient la beauté de son nouveau séjour.
Le seul printemps sourit au monde en son aurore;
Le printemps tous les ans le rajeunit encore,
Et des brûlants étés séparant les hivers,
Laisse du moins entre eux respirer l'univers.

L'Amour fouetté.

JUPITER, prête-moi ta foudre,
S'écria Lycoris un jour;

Donne, que je réduise en poudre

Le temple où j'ai connu l'Amour.

that

Alcide, que ne suis-je armée
De ta massue et de tes traits,
Pour venger la terre alarmée,
Et punir un dieu que je hais!

Médée, enseigne-moi l'usage
De tes plus noirs enchantements;
Formons pour lui quelque breuvage
Egal au poison des amants.

Ah! si, dans ma fureur extrême,
Je tenais ce monstre odieux!....
"Le voilà,” lui dit l'Amour même
Qui soudain parut à ses yeux.

"Venge-toi, punis, si tu l'oses..."
Interdite à ce prompt retour,
Elle prit un bouquet de roses
Pour donner le fouet à l'Amour.

On dit même que la bergère,
Dans ses bras n'osant le presser,
En frappant d'une main légère
Craignait encor de le blesser.

Pandore.

QUAND Pandore eut reçu la vie, Chaque dieu de ses dons s'empressa de l'orner.

Vénus, malgré sa jalousie,

Détacha sa ceinture, et vint la lui donner.

Jupiter, admirant cette jeune merveille,

Craignait pour les humains ses attraits enchanteurs.

Vénus rit de sa crainte, et lui dit à l'oreille : "Elle blessera bien des cœurs;

Mais j'ai caché dans ma ceinture
Les caprices pour affaiblir
Le mal que fera sa blessure,
Et les faveurs pour en guérir."

Elégie.

Il est temps, mon Eléonore,
De mettre un terme à nos erreurs ;
Il est temps d'arrêter les pleurs
Que l'amour nous dérobe encore.
Il disparaît l'âge si doux,

L'âge brillant de la folie;

Lorsque tout change autour de nous,
Changeons, ô mon unique amie!
D'un bonheur qui fuit sans retour
Cessons de rappeler l'image;
Et des pertes du tendre amour
Que l'amitié nous dédommage.

Je quitte enfin ces tristes lieux
Où me ramena l'espérance,
Et l'Océan entre nous deux
Va mettre un intervalle immense.
Il faut même qu'à mes adieux
Succède une éternelle absence:
Le devoir m'en fait une loi.
Sur mon destin sois plus tranquille;
Mon nom passera jusqu'à toi :
Quel que soit mon nouvel asile,
Le tien parviendra jusqu'à moi,

Trop heureux, si tu vis heureuse !
A cette absence douloureuse
Mon cœur pourra s'accoutumer.
Mais ton image va me suivre;
Et si je cesse de t'aimer,
Crois que j'aurai cessé de vivre.

Le Vaisseau en Péril.

Un vaisseau, tourmenté par de longs ouragans,
Contre les aquilons et les flots mugissants
Luttait sur une mer d'écueils environnée;
Et, plus fatale encor que les flots et les vents,
La Discorde en son sein rugissait déchaînée.
Son équipage mutiné

Ne reconnaissait plus la voix du capitaine.
Il ne pouvait régler la manœuvre incertaine
Du malheureux navire aux vents abandonné.
Matelots, mousses et novices,

Tous veulent commander; nul ne veut obéir;
Chacun a son avis, son orgueil, ses caprices.
C'est un tapage à ne plus rien ouïr;
Et le vaisseau, dont l'ouragan se joue,
Au sud, au nord, au couchant, au levant,
Présentant tour à tour et la

poupe et la Va tantôt en arrière et tantôt en avant.

proue,

De ce désordre innocentes victimes, Les passagers en vain criaient aux disputeurs: "Manœuvrez, sauvez-nous, suspendez vos fureurs; Ou cette mer terrible, en ses profonds abîmes, Mettra bientôt d'accord et vaincus et vainqueurs." D'une frayeur trop juste inutile requête ! Livré sans gouvernail au choc des éléments,

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