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DISCOURS DE LA MOLLESSE.

Boileau, Chant II' du Lutrin.

A CE triste discours, qu'un long soupir achève,
La Mollesse, en pleurant, sur un bras se relève,
Ouvre un œil languissant, et, d'une faible voix,
Laisse tomber ces mots, qu'elle interrompt vingt fois :
O Nuit, que m'as-tu dit! Quel démon sur la terre
Souffle dans tous les cœurs la fatigue et la guerre ?
Hélas! Qu'est devenu ce temps, cet heureux temps,
Où les rois s'honoraient du nom de fainéants,

S'endormaient sur le trône, et, me servant sans honte,
Laissaient leur sceptre aux mains ou d'un maire ou d'un comte?
Aucun soin n'approchait de leur paisible cour;

On reposait la nuit, on dormait tout le jour.

Seulement au printemps, quand Flore dans les plaines

Faisait taire des vents les bruyantes haleines,
Quatre bœufs attelés, d'un pas tranquille et lent,
Promenaient dans Paris le monarque indolent.
Ce doux siècle n'est plus. Le ciel impitoyable
A placé sur le trône un prince infatigable.
Il brave mes douceurs, il est sourd à ma voix;
Tous les jours il m'éveille au bruit de ses exploits.
Rien ne peut arrêter sa vigilante audace;

L'été n'a point de feux, l'hiver n'a point de glace:
J'entends à son seul nom tous mes sujets frémir.
En vain la paix deux fois a voulu l'endormir;
Loin de moi, son courage, entraîné par la Gloire,
Ne se plaît qu'à courir de victoire en victoire.
Je me fatiguerais à te tracer le cours

Des outrages cruels qu'il me fait tous les jours.

Du moins ne permets pas... La Mollesse oppressée
Dans sa bouche à ce mot sent sa langue glacée;
Et, lasse de parler, succombant sous l'effort,
Soupire, étend les bras, ferme l'œil, et s'endort.

L'Enfance.

SANS Soin du lendemain, sans regret de la veille,
L'enfant joue et s'endort, pour jouer se réveille;
Trop faible encor, son cœur ne saurait soutenir
Le passé, le présent et l'immense avenir;

A peine au présent seul son âme peut suffire,
Le présent seul est tout; un coin est son empire,
Un hochet son trésor, un point l'immensité,
Le soir son avenir, un jour l'éternité;

Mais l'homme tout entier est caché dans l'enfance:
Ainsi le faible gland renferme un chêne immense.

Le Sommeil et l'Espérance.

Du Dieu qui nous créa la clémence infinie,
Pour adoucir les maux de cette courte vie,
A placé parmi nous deux êtres bienfaisants,
De la terre à jamais aimables habitants,
Soutiens dans les travaux, trésors dans l'indigence;
L'un est le doux sommeil, et l'autre est l'espérance.
L'un, quand l'homme accablé sent de son faible corps
Les organes vaincus, sans force et sans ressorts,
Vient, par un calme heureux, secourir la nature,
Et lui porter l'oubli des peines qu'elle endure.
L'autre anime nos cœurs, enflamme nos désirs,
Et même en nous trompant donne de vrais plaisirs.

L'Amour maternel.

EH! qui pourrait compter les bienfaits d'une mère !
A peine nous ouvrons les yeux à la lumière,
Que nous recevons d'elle, en respirant le jour,
Les premières leçons de tendresse et d'amour.
Son cœur est averti par nos premières larmes ;
Nos premières douleurs éveillent ses alarmes.
Elle nous fait, par les plus tendres soins,
Du bonheur d'exister sentir les premiers charmes
Elle aide en ses premiers essais

Notre raison, notre langage;

Elle doit recevoir l'hommage

De nos premiers travaux, de nos premiers succès.

L'Amitié.

Au fond d'un bois à la paix consacré,
Séjour heureux, de la cour ignoré,
S'élève un temple où l'art et ses prestiges
N'étalent point l'orgueil de leurs prodiges,
Où rien ne trompe et n'éblouit les yeux,

Où tout est vrai, simple et fait pour les dieux.
De bons Gaulois de leurs mains le fondèrent;
A l'Amitié leurs cœurs le dédièrent.
Las! ils pensaient, dans leur crédulité,
Que par leur race il serait fréquenté.
En vieux langage on voit sur la façade
Les noms sacrés d'Oreste et de Pylade,
Le médaillon, du bon Pirithoüs,
Du sage Achate, et du tendre Nisus,

Tous grands héros, tous amis véritables:

Ces noms sont beaux, mais ils sont dans les fables.
Les doctes sœurs ne chantent qu'en ces lieux,
Car on les siffle au superbe Empyrée.
On n'y voit point Mars et sa Cythérée,
Car la Discorde est toujours avec eux :
L'Amitié vit avec très-peu de dieux.
A ses côtés, sa fidèle interprète,
La Vérité, charitable et discrète,
Toujours utile à qui veut l'écouter,
Attend en vain qu'on l'ose consulter:
Nul ne l'approche, et chacun la regrette.
Par contenance un livre est dans ses mains,
Où sont écrits les bienfaits des humains,
Doux monuments d'estime et de tendresse,
Donnés sans faste, acceptés sans bassesse,
Du protecteur noblement oubliés,
Du protégé sans regret publiés.
C'est des vertus l'histoire la plus pure;
L'histoire est courte, et le livre est réduit
A deux feuillets de gothique écriture,
Qu'on n'entend plus, et que le temps détruit.

La Faveur.

Au sein des mers, dans une île enchantée,
Près du séjour de l'inconstant Protée,
Il est un temple élevé par l'Erreur,
Où la brillante et volage Faveur,
Semant au loin l'espoir et les mensonges,
D'un air distrait fait le sort des mortels.
Son faible trône est sur l'aile des Songes;
Les Vents légers soutiennent ses autels.

Là, rarement la Raison, la Justice,
Ont amené les mortels vertueux :
L'Opinion, la Mode et le Caprice

Ouvrent le temple, et nomment les heureux.
En leur offrant la coupe délectable,
Sous le nectar cachant un noir poison,
La déité daigne paraître aimable,
Et d'un sourire enivre leur raison.
Au même instant, l'agile Renommée
Grave leur nom sur son char lumineux.
Jouets constants d'une vaine fumée,
Le monde entier se réveille pour eux.
Mais, sur la foi de l'onde pacifique,
A peine ils sont mollement endormis,
Déifiés par l'erreur léthargique

Qui leur fait voir, dans des songes amis,
Tout l'univers à leur gloire soumis;
Dans ce sommeil d'une ivresse riante,
En un moment, la Faveur inconstante
Tournant ailleurs son essor incertain,
Dans des déserts, loin de l'île charmante,
Les aquilons les emportent soudain;
Et leur réveil n'offre plus à leur vue
Que les rochers d'une plage inconnue,

Qu'un monde obscur, sans printemps, sans beaux jours,
Et que des cieux éclipsés pour toujours.

L'A-propos.

CET infatigable vieillard

Qui toujours vient, qui toujours part,
Qu'on appelle sans cesse, en craignant ses outrages,
Qui mûrit la raison, achève la beauté,

Et que suivent en foule, à pas précipité,
Les heures et les jours, et les ans et les âges;

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