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Là reviennent s'unir les parents, les maris,
Qui vivaient séparés sous les mêmes lambris.
Là vient se renouer la douce causerie;
Chacun, en la contant, recommence sa vie :
L'un redit ses combats, un autre son procès,
Cet autre ses amours; d'autres, plus indiscrets,
Comme moi d'un ami tentant la patience,
De leurs vers nouveau-nés lui font la confidence ;
Le foyer, du talent est aussi le berceau;
Là je vois s'essayer le crayon, le pinceau,
Le luth harmonieux, l'industrieuse aiguille.
Tantôt c'est un roman qu'on écoute en famille...
Vous dirai-je ces jeux dont les amusements
De la jeunesse oisive occupent les moments.
Abrégent la soirée et prolongent la veille?
Mais la maternité, de l'œil et de l'oreille,
Suit leurs joyeux ébats, tempère la gaîté,
Et la sagesse impose à la témérité.

Ici, sous des genoux qui se courbent en voûte,
Une pantoufle agile, en déguisant sa route,
Va, vient, et quelquefois, par son bruit agaçant,
Sur le parquet battu se trahit en passant.
Ailleurs, par deux rivaux la raquette empaumée,
Attend, reçoit, renvoie une balle emplumée,
Qui, toujours arrivant, et repartant toujours,
Par le même chemin recommence son cours.
Des tablettes ailleurs étalent à la vue

Des beaux esprits du temps l'innombrable cohue;
Et des journaux malins font passer les auteurs
Des bravos du parterre au rire des lecteurs.

Enfin, au coin du feu, nos aimables convives Vont achever du soir les heures fugitives. Autour d'eux sont placés des damiers, des cornets; L'un se plaint d'un échec, et l'autre d'un sonne.

Tour à tour on querelle, on bénit la fortune;
Enfin contre l'hiver tous font cause commune.

Suis-je seul, je me plais encore au coin du feu. De nourrir mon brasier mes mains se font un jeu; J'agace mes tisons; mon adroit artifice

Reconstruit de mon feu l'élégant édifice :
J'éloigne, je rapproche, et du hêtre brûlant
Je corrige le feu trop rapide ou trop lent.
Chaque fois que j'ai pris mes pincettes fidèles,
Partent en pétillant des milliers d'étincelles ;
J'aime à voir s'envoler leurs légers bataillons.
Que m'importent du nord les fougueux tourbillons?
La neige, les frimas qu'un froid piquant resserre,
En vain sifflent dans l'air, en vain battent la terre.
Quel plaisir, entouré d'un double paravent,
D'écouter la tempête et d'insulter au vent!
Qu'il est doux, à l'abri du toit qui me protége,
De voir à gros flocons s'amonceler la neige!
Leur vue à mon foyer prête un nouvel appas:
L'homme se plaît à voir les maux qu'il ne sent pas.
Mon cœur devient-il triste et ma tête pesante,
Hé bien, pour ranimer ma gaîté languissante,
La fève de Moka, la feuille de Canton,
Vont verser leur nectar dans l'émail du Japon.
Dans l'airain échauffé déjà l'onde frissonne
Bientôt le thé doré jaunit l'eau qui bouillonne,
Ou des grains du Levant je goûte le parfum.
Point d'ennuyeux causeur, de témoin importun;
Lui seul, de ma maison exacte sentinelle,
Mon chien, ami constant et compagnon fidèle,
Prend à mes pieds sa part de la douce chaleur.
Et toi, charme divin de l'esprit et du cœur,
Imagination, de tes vagues chimères
Fais passer devant moi les figures légères.

A tes songes brillants que j'aime à me livrer!
Dans ce brasier ardent qui va le dévorer,

Par toi ce chêne en feu nourrit ma rêverie;
Quelles mains l'ont planté ? quel sol fut sa patrie?
Sur les monts escarpés bravait-il l'aquilon?
Bordait-il le ruisseau? parait-il le vallon?
Peut-être il embellit la colline que j'aime,
Peut-être sous son ombre ai-je rêvé moi-même.
Tout à coup je l'anime; à son front verdoyant
Je rends de ses rameaux le panache ondoyant,
Ses guirlandes de fleurs, ses touffes de feuillage,
Et les tendres secrets que voila son ombrage.
Tantôt environné d'auteurs que je chéris,
Je prends, quitte et reprends mes livres favoris;
A leur feu tout à coup ma verve se rallume,
Soudain sur le papier je laisse errer ma plume,
Et goûte, retiré dans mon heureux réduit,
L'étude, le repos, le silence et la nuit.
Tantôt, prenant en main l'écran géographique,
D'Amérique en Asie, et d'Europe en Afrique,
Avec Cook et Forster, dans cet espace étroit,
Je cours plus d'une mer, franchis plus d'un détroit,
Chemine sur la terre, et navigue sur l'onde,
Et fais, dans mon fauteuil, le voyage du monde.

La Folie et l'Amour.

Tout est mystère dans l'Amour, Ses flèches, son carquois, son flambeau, son enfance: Ce n'est pas l'ouvrage d'un jour

Que d'épuiser cette science.

Je ne prétends donc point tout expliquer ici.

Mon but est seulement de dire, à ma manière,

Comment l'aveugle que voici

(C'est un dieu), comment, dis-je, il perdit la lumière,
Quelle suite eut ce mal, qui peut-être est un bien.
J'en fais juge un amant, et ne décide rien.
La Folie et l'Amour jouaient un jour ensemble:
Celui-ci n'était pas encor privé des yeux.
Une dispute vint: l'Amour veut qu'on assemble
Là-dessus le conseil des dieux.

L'autre n'eut pas la patience:
Elle lui donne un coup si furieux,
Qu'il en perd la clarté des cieux.
Vénus en demande vengeance.

Femme et mère, il suffit pour juger de ses cris:
Les dieux en furent étourdis,

Et Jupiter et Némésis.

Et les juges d'enfer, enfin toute la bande.
Elle représenta l'énormité du cas;

• Son fils, sans un bâton, ne pouvait faire un pas.
Nulle peine n'était pour ce crime assez grande:
Ce dommage devait être aussi réparé.

Quand on eut bien considéré

L'intérêt du public, celui de la partie,
Le résultat enfin de la suprême cour
Fut de condamner la Folie
A servir de guide à l'Amour.

Les Mondes..

Tout passe donc, hélas! Ces globes inconstants
Cèdent, comme le nôtre, à l'empire du temps;
Comme le nôtre aussi sans doute ils ont vu naître
Une race pensante, avide de connaître :

Ils ont eu des Pascals, des Leibnitz, des Buffons.
Tandis que je me perds en ces rêves profonds,
Peut-être un habitant de Vénus, de Mercure,
De ce globe voisin qui blanchit l'ombre obscure,
Se livre à des transports aussi doux que les miens.
Ah! Si nous rapprochions nos hardis entretiens!
Cherche-t-il quelquefois ce globe de la terre,
Qui, dans l'espace immense, en un point se resserre ?
A-t-il pu soupçonner qu'en ce séjour de pleurs
Rampe un être immortel qu'ont flétri les douleurs?
Habitants inconnus de ces sphères lointaines,
Sentez-vous nos besoins, nos plaisirs et nos peines?
Connaissez-vous nos arts? Dieu vousa-t-il donné
Des sens moins imparfaits, un destin moins borné ?
Royaumes étoilés, célestes colonies,

Peut-être enfermez-vous ces esprits, ces génies,
Qui, par tous les degrés de l'échelle du ciel,
Montaient, suivant Platon, jusqu'au trône éternel.
Si pourtant, loin de nous, de ce vaste empyrée,
Un autre genre humain peuple une autre contrée,
Hommes, n'imitez pas vos frères malheureux.
En apprenant leur sort, vous gémiriez sur eux.
Vos larmes mouilleraient nos fastes lamentables;
Tous les siècles en deuil, l'un à l'autre semblables,
Courent sans s'arrêter, foulant de toutes parts
Les trônes, les autels, les empires épars;
Et, sans cesse frappés des plaintes importunes,
Passent en me contant nos longues infortunes.
Vous, hommes, nos égaux, puissiez-vous être, hélas !
Plus sages, plus unis, plus heureux qu'ici-bas!

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