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Un Combat de Coqs.

DANS un de ces tournois si chers à l'Angleterre, Trois jeunes coqs, dont les ergots

Etaient armés de l'éperon de guerre,
Pour trois grands parieurs combattaient en héros.
Déjà sur la sanglante arène,

L'un des trois champions mortellement blessé,
Etait tombé sans force et presque sans haleine;
Et de son sein par l'acier traversé,
Présage d'une fin prochaine,

Sortait un son plaintif avec effort poussé.
Enflammés d'un même courage,

Par les cris des joueurs excités, enhardis,
Les deux autres luttaient; et nul des deux partis
Ne se flattait encor du plus faible avantage.
Leurs poitrails, sanglants, déchirés,

Se roidissaient, se heurtaient avec rage;
Et de leurs cous, sous leurs becs acérés,
Voltigeait l'éclatant plumage.
Bientôt l'un par l'autre embrassés,
De leurs ailerons enlacés,

Ils s'enveloppent, ils s'étreignent,

Dans les flancs l'un de l'autre en silence enfoncés,
D'un sang épais et noir leurs éperons se teignent;
Et dans leurs tranquilles fureurs,

Ils ne présentent plus à la foule inquiète
Qu'une masse de plume, immobile et muette,
Que d'un œil stupéfait contemplent les joueurs.
Le Destin enfin se déclare:

Cette masse se meut, tressaille, se sépare;

L'un des deux combattants retombe inanimé
L'autre remue encor sa crète pantelante,
Se roule, bat le sol de son aile mourante,
Et les juges l'ont proclamé.

Il est vainqueur, mais il expire;

Et son maître à l'instant s'emparant des enjeux,
Court, aux dépens des malheureux,
Avec ses compagnons boire, fumer et rire.

A ce sanglant spectacle assistaient trois vieillards.
L'un avait jusqu'au bout soutenu les Stuarts;
Un autre de Cromwell défendu la bannière;
Le dernier, vieux parlementaire,

Avait du roi Williams suivi les étendards.

"Ces trois coqs," dirent-ils, " sont un peu notre image. Divisés dès notre jeune âge,

Nous avons combattu pour trois maîtres divers;
Ils ont eu tour à tour des succès, des revers,
Et tour à tour régné sur la vieille Angleterre.
Que nous ont profité ces trente ans de combats?
Bien des nôtres sont morts; on les a mis en terre
Sans que l'heureux du jour ait pleuré leur trépas,
Sans que rien de leur perte ait consolé leur mère.
Et nous, qui survivrons peut-être à nos partis,
Nos maîtres et leurs favoris

Ont-ils jamais su qui nous sommes ?

Est bien fou, qui se bat pour des querelles d'hommes. Battons-nous, s'il le faut, mais pour notre pays."

Le Café.

IL est une liqueur au poëte plus chère,
Qui manquait à Virgile, et qu'adorait Voltaire.

C'est toi, divin café, dont l'aimable liqueur,
Sans altérer la tête, épanouit le cœur.

Aussi, quand mon palais est émoussé par l'âge,
Avec plaisir encor je goûte ton breuvage.
Que j'aime à préparer ton nectar précieux!
Nul n'usurpe chez moi ce soin délicieux.

Sur le réchaud brûlant moi seul tournant ta graine,
A l'or de ta couleur fais succéder l'ébène,

Moi seul contre la noix, qu'arment ses dents de fer,
Je fais, en le broyant, crier ton fruit amer;

Charmé de ton parfum, c'est moi seul qui dans l'onde
Infuse à mon foyer ta poussière féconde;

Qui, tour à tour calmant, excitant tes bouillons,
Suis d'un œil attentif tes légers tourbillons.
Enfin de ta liqueur lentement reposée,
Dans le vase fumant la lie est déposée;
Ma coupe, ton nectar, le miel américain,
Que du suc des roseaux exprima l'Africain,
Tout est prêt du Japon l'émail reçoit tes ondes,
Et seul tu réunis les tributs des deux mondes.
Viens donc, divin nectar, viens donc, inspire-moi :
Je ne veux qu'un désert, mon Antigone, et toi.
A peine j'ai senti ta vapeur odorante,

Soudain de ton climat la chaleur pénétrante
Réveille tous mes sens; sans trouble, sans chaos,
Mes pensers plus nombreux accourent à grands flots.
Mon idée était triste, aride, dépouillée ;

Elle rit, elle sort richement habillée ;
Et je crois, du génie éprouvant le réveil,
Boire dans chaque goutte un rayon du soleil.

Soirée d'hiver.

Le ciel devient-il sombre, eh bien! dans ce salon,
Près d'un chêne brûlant j'insulte à l'aquilon:

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Dans cette chaude enceinte, avec goût éclairée,
Mille heureux passe-temps abrégent la soirée.
J'entends ce jeu bruyant où, le cornet en main,
L'adroit joueur calcule un hasard incertain.
Chacun sur son damier fixe d'un œil avide
Les cases, les couleurs et le plein et le vide
Les disques noirs et blancs volent du blanc au noir;
Leur pile croît, décroît. Par la crainte et l'espoir
Battu, chassé, repris, de sa prison sonore

Le dé, non sans fracas, part, rentre, part encore ;
Il court, roule, s'abat : le nombre a prononcé.
Plus loin, dans ses calculs gravement enfoncé,
Un couple sérieux qu'avec fureur possède
L'amour du jeu rêveur qu'inventa Palamède,
Sur des carrés égaux, différents de couleur,
Combattant sans danger, mais non pas sans chaleur,
Par cent détours savants conduit à la victoire
Ses bataillons d'ébène et ses soldats d'ivoire :
Longtemps des camps rivaux le succès est égal
Enfin l'heureux vainqueur donne l'échec fatal,
Se lève, et du vaincu proclame la défaite;
L'autre reste atterré dans sa douleur muette,
Et du terrible mat à regret convaincu,
Regarde encor longtemps le coup qui l'a vaincu.
Ailleurs c'est le piquet des graves douairières,

Le loto du grand-oncle, et le whist des grands-pères.
Là, sur un tapis vert, un essaim étourdi
Pousse contre l'ivoire un ivoire arrondi.

Mais le souper s'annonce, et l'heure de la table
Rejoint les deux partis: un flacon delectable
Verse avec son nectar les aimables propos,
Et comme son bouchon fait partir les bons mots!

On se lève, on reprend sa lecture ordinaire,
On relit tout Racine, on choisit dans Voltaire.
Tantôt un bon roman charme le coin du feu ;
Hélas ! et quelquefois un bel esprit du lieu
Tire un traître papier; il lit, l'ennui circule:
L'un admire en bâillant l'assommant opuscule,

Et d'un sommeil bien franc l'autre dormant tout haut,
Aux battements de mains se réveille en sursaut.
On rit on se remet de la triste lecture;

On tourne un madrigal, on conte une aventure:
Le lendemain promet des plaisirs non moins doux,
Et la gaîté revient, exacte au rendez-vous.

Le Coin du Feu.

Le foyer, des plaisirs est la source féconde;
Il fixe doucement notre humeur vagabonde,
Au retour du printemps, de nos toits échappés,
Nous portons en tous lieux nos esprits dissipés;
Le printemps nous disperse, et l'hiver nous rallie;
Auprès de nos foyers notre âme recueillie

Goûte ce doux commerce à tous les cœurs si cher
Oui, l'instinct social est l'enfant de l'hiver.

;

En cercle un même attrait rassemble autour de l'âtre La vieillesse conteuse et l'enfance folâtre.

Là courent à la ronde et les propos joyeux,

Et la vieille romance, et les aimables jeux :
Là, se dédommageant de ses longues absences,
Chacun vient retrouver ses vieilles connaissances.
Là s'épanche le cœur : le plus pénible aveu,
Longtemps captif ailleurs, s'échappe au coin du feu.
Comme aux jours fortunés des pénates antiques,
Le foyer est le dicu des vertus domestiques.

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