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Il est bien doux le ciel de l'Italie,
Mais l'esclavage en obscurcit l'azur.
Vogue plus loin, nocher, je t'en supplie,
Vogue où là-bas renaît un jour si pur.

Quels sont ces flots? quel est ce roc sauvage?
Quel sol brillant à mes yeux vient s'offrir?
La tyrannie expire sur la plage;

C'est là, c'est là que je voudrais mourir.

Daignez au port accueillir un barbare,
Vierges d'Athène, encouragez ma voix.
Pour vos climats je quitte un ciel avare
Où le génie est l'esclave des rois.
Sauvez ma lyre, elle est persécutée ;
Et si mes chants pouvaient vous attendrir,
Mêlez ma cendre aux cendres de Tyrtée:
Seus ce beau ciel je suis venu mourir.

Le Chat et le Cuisinier.

DANS un garde-manger que dévastaient les rats,
Un cuisinier, moins prudent que fidèle,
Avait placé pour sentinelle

Son favori Mignon, qui du peuple des chats
Etait le plus parfait modèle.

C'était pour le gardien un poste périlleux.
Le fumet d'un pâté troublait sa conscience;
Et l'appétit du drôle était fort chatouilleux.

Mignon pourtant fait bonne contenance.
Il se lèche la patte, il se frotte les yeux.
Il approche, il recule, il se roule, il s'allonge;
Et par mille contorsions.

Cherche à se délivrer de ses tentations.

Mais de son maître, hélas! l'absence se prolonge.

Tout s'use avec le temps, même la loyauté;
Et la faim de Mignon a longtemps résisté.
Il gratte la terrine, et puis fait une pause;
Sa patte sur le bord nonchalamment se pose;
Il jette sur la croûte un regard de côté.
Il flaire le couvercle, il le lève, il s'arrête;
Il tourne et retourne la tête;

Mais son palais en est fort humecté ;
Et par ce jeu fatal sa langue affriandée,
Sa dent même s'est hasardée.

Bref, la faim l'emporta sur la fidélité;
Et quand le cuisinier revint à son service.
Il ne trouva plus dans l'office

Que les débris de son pâté.

Je crois à la vertu, mais elle est bien fragile; Elle a, dans l'intérêt et surtout dans la faim, Deux puissants ennemis que je cite entre mille. Leur résister jusqu'à la fin

Est chose rare et difficile.

Il faudrait l'enfermer dans un étui d'airain,
Et nous ne sommes que d'argile.

Circé.

SUR un rocher désert, l'effroi de la nature,
Dont l'aride sommet semble toucher les cieux,
Circé pâle, interdite, et la mort dans les yeux,
Pleurait sa funeste aventure.

Là, ses yeux errant sur les flots,

D'Ulysse fugitif semblaient suivre la trace.
Elle croit voir encor son volage héros,
Et cette illusion soulageant sa disgrâce,

Elle le rappelle en ces mots

Qu'interrompent cent fois ses pleurs et ses sanglots:

Cruel auteur des troubles de mon âme,
Que la pitié retarde un peu tes pas!
Tourne un moment tes yeux sur ces climats,
Et si ce n'est pour partager ma flamme,
Reviens du moins pour hâter mon trépas.

Ce triste cœur, devenu ta victime,
Chérit encor l'amour qui la surprit,
Amour fatal! ta haine en est le prix.

Tant de tendresse, ô dieux ! est-elle un crime,
Pour mériter un si cruel mépris?

Cruel auteur des troubles de mon âme,
Que la pitié retarde un peu tes pas !
Tourne un moment tes yeux sur ces climats,
Et si ce n'est pour partager ma flamme,
Reviens du moins pour hâter mon trépas.

C'est ainsi qu'en regrets sa douleur se déclare;
Mais bientôt, de son art, employant le secours
Pour rappeler l'objet de ses tristes amours,
Elle invoque à grands cris tous les dieux de Ténare,
Les Parques, Némésis, Cerbère, Phlégéton,

Et l'inflexible Hécate, et l'horrible Alecton.
Sur un autel sanglant l'affreux bûcher s'allume:
La foudre dévorante aussitôt le consume.
Mille noires vapeurs obscurcissent le jour;
Les astres de la nuit interrompent leur course;
Les fleuves étonnés remontent vers leur source;
Et Pluton même tremble en son obscur séjour :

Sa voix redoutable

Trouble les enfers;
Un bruit formidable
Gronde dans les airs;
Un voile effroyable
Couvre l'univers ;
La terre tremblante
Frémit de terreur;
L'onde turbulente
Mugit de fureur;
La lune sanglante

Recule d'horreur.

Dans le sein de la mort ses noirs enchantements Vont troubler le repos des ombres;

Les mânes effrayés quittent leurs monuments;
L'air retentit au loin de leurs longs hurlements;
Et les vents échappés de leurs cavernes sombres
Mêlent à leurs clameurs d'horribles sifflements.
Inutiles efforts! amante infortunée !

D'un Dieu plus fort que toi dépend ta destinée.
Tu
peux faire trembler la terre sous tes pas,
Des enfers déchaînés allumer la colère;

Mais tes fureurs ne feront pas

Ce que tes attraits n'ont pu faire.

Ce n'est point par effort qu'on aime :
L'amour est jaloux de ses droits;
Il ne dépend que de lui-même ;
On ne l'obtient que par son choix.
Tout reconnaît sa loi suprême,
Lui seul ne connaît point de lois.

Dans les champs que l'hiver désole,
Flore vient rétablir sa cour;

L'Alcyon fuit devant Eole,
Eole le fuit à son tour.

Mais sitôt que l'amour s'envole,
Il ne connaît plus de retour.

L'Envie.

Au pied du mont où le fils de Latone
Tient son empire, et du haut de son trône
Dicte à ses sœurs les savantes leçons,

Et

que

Qui de leurs voix régissent tous les sons,
La main du Temps creusa les voûtes sombres,
D'un antre noir, séjour des tristes ombres,
Où l'œil du monde est sans cesse éclipsé,
les vents n'ont jamais caressé.
Là, de serpents nourrie et dévorée,
Veille l'Envie, honteuse et retirée ;
Monstre ennemi des mortels et du jour,
Qui de soi-même est l'éternel vautour,
Et qui, traînant une vie abattue,
Ne s'entretient que du fiel qui le tue :
Ses yeux caves, troubles et clignotants
De feux obscurs sont chargés en tous temps.
Au lieu du sang, dans ses veines circule
Un froid poison qui les gèle et les brûle,
Et qui de là, porté par tout son corps,
En fait mouvoir les horribles ressorts.
Son front jaloux et ses lèvres éteintes
Sont le séjour des soucis et des craintes.
Sur son visage habite la pâleur;
Et dans son sein triomphe la douleur,
Qui sans relâche à son âme infectée
Fait éprouver le sort de Prométhée.

ני

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