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Le second jour a lui.-Que fait Colomb? Il dort;
La fatigue l'accable, et dans l'ombre on conspire.
“Périra-t-il? Aux voix !—La mort !—la mort !—la mort !
Qu'il triomphe demain, ou, parjure, il expire.”

Les ingrats! Quoi! demain il aura pour tombeau
Les mers où son audace ouvre un chemin nouveau!
Et peut-être demain leurs flots impitoyables,

Le poussant vers ces bords que cherchait son regard,
Les lui feront toucher, en roulant sur les sables
L'aventurier Colomb, grand homme un jour plus tard!

Il rêve comme un voile étendu sur les mers,
L'horizon qui les borne à ses yeux se déchire,
Et ce monde nouveau qui manque à l'univers,
De ses regards ardents il l'embrasse, il l'admire.

Qu'il est beau, qu'il est frais ce monde vierge encor! 20
L'or brille sur ses fruits, ses eaux roulent de l'or!

Déjà, plein d'une ivresse inconnue et profonde,
Tu t'écrias, Colomb: "Cette terre est mon bien !..."
Mais une voix s'élève, elle a nommé ce monde,
O douleur! et d'un nom qui n'était pas le tien...

Soudain du haut des mâts descendit une voix ;
Terre! s'écriait-on, terre! terre!... Il s'éveille :

Il court: oui, la voilà, c'est elle, tu la vois.

La terre!... ô doux spectacle! ô transports! ô merveille!
O généreux sanglots qu'il ne peut retenir !
Que dira Ferdinand, l'Europe, l'avenir?
Il la donne à son roi cette terre féconde;
Son roi va le payer des maux qu'il a soufferts:
Des trésors, des hommes en échange d'un monde,

Un trône, ah! c'était peu!... que reçut-il? des fers.

Le Meunier Sans-Souci.

L'homme est, dans ses écarts, un étrange problème.
Qui de nous en tout temps est fidèle à soi-même?
Le commun caractère est de n'en point avoir:
Le matin incrédule, on est dévot le soir.
Tel s'élève et s'abaisse au gré de l'atmosphère,
2 Le liquide métal balancé sous le verre.

L'homme est bien variable; et ces malheureux rois,
Dont on dit tant de mal, ont du bon quelquefois.
J'en conviendrai sans peine, et ferai mieux encore;
J'en citerai pour preuve un trait qui les honore:
Il est de ce héros, de Frédéric second,
Qui, tout roi qu'il était, fut un penseur profond,
Redouté de l'Autriche, envié dans Versailles,
Cultivant les beaux-arts au sortir des batailles,
D'un royaume nouveau la gloire et le soutien,
Grand roi, bon philosophe, et fort mauvais chrétien.
Il voulait se construire un agréable asile,

Où, loin d'une étiquette arrogante et futile,
Il pût, non végéter, boire et courir les cerfs,
Mais des faibles humains méditer les travers,
Et mêlant la sagesse à la plaisanterie,
Souper avec d'Argens, Voltaire et Lamettrie.
Sur le riant coteau par le prince choisi,
S'élevait le moulin du meunier Sans-Souci.
Le vendeur de farine avait pour habitude
D'y vivre au jour le jour, exempt d'inquiétude;
Et, de quelque côté que vînt souffler le vent,
Il y tournait son aile, et s'endormait content.
Fort bien achalandé, grâce à son caractère,
Le moulin prit le nom de son propriétaire;

Et des hameaux voisins, les filles, les garçons
Allaient à Sans-Souci pour danser aux chansons.
Sans-Souci!... ce doux nom d'un favorable augure
Devait plaire aux amis des dogmes d'Epicure.
Frédéric le trouva conforme à ses projets,
Et du nom d'un moulin honora son palais.
Hélas! est-ce une loi sur notre pauvre terre
Que toujours deux voisins auront entre eux la guerre;
Que la soif d'envahir et d'étendre ses droits
Tourmentera toujours les meuniers et les rois ?
En cette occasion le roi fut le moins sage;
Il lorgna du voisin le modeste héritage.

On avait fait des plans, fort beaux sur le papier,
Où le chétif enclos se perdait tout entier.
Il fallait sans cela renoncer à la vue,
2 Rétrécir les jardins et masquer l'avenue.

Des bâtiments royaux l'ordinaire intendant
Fit venir le meunier, et d'un ton important:

"Il nous faut ton moulin; que veux-tu qu'on t'en donne ?"— "Rien du tout; car j'entends ne le vendre à personne. Il vous faut, est fort bon... mon moulin est à moi...

Tout aussi bien, au moins, que la Prusse est au roi.”.

"Allons, ton dernier mot, bon homme, et prends-y garde:"— "Faut-il vous parler clair?”—“ Oui.”—“ C'est que je le garde: Voilà mon dernier mot." Ce refus effronté

ea

Avec un grand scandale au prince est raconté.
4 Il mande auprès de lui le meunier indocile ;
Presse, flatte, promet; ce fut peine inutile,
Sans-Souci s'obstinait. "Entendez la raison,
Sire, je ne peux pas vous vendre ma maison:

Mon vieux père y mourut, mon fils y vient de naître ;
C'est mon Potsdam, à moi. Je suis tranchant peut-êtr
Ne l'êtes-vous jamais? Tenez, mille ducats,

Au bout de vos discours ne me tenteraient pas.

Il faut vous en passer, je l'ai dit, j'y persiste."
Les rois malaisément souffrent qu'on leur résiste.
Frédéric, un moment par l'humeur emporté :
"Parbleu, de ton moulin c'est bien être entêté;
Je suis bon de vouloir t'engager à le vendre!
Sais-tu que sans payer je pourrais bien le prendre?
Je suis le maître."-" Vous !... de prendre mon moulin?
Oui, si nous n'avions pas des juges à Berlin.”

Le monarque, à ce mot, revient de son caprice.
Charmé que sous son règne on crût à la justice,
Il rit, et se tournant vers quelques courtisans:

"Ma foi, messieurs, je crois qu'il faut changer nos plans. Voisin, garde ton bien; j'aime fort ta réplique.”

Qu'aurait-on fait de mieux dans une république?

Le plus sûr est pourtant de ne pas s'y fier:
Ce même Frédéric, juste envers un meunier,
Se permit maintes fois telle autre fantaisie:
Témoin ce certain jour qu'il prit la Silésie;
Qu'à peine sur le trône, avide de lauriers,
Epris du vain renom qui séduit les guerriers,
Il mit l'Europe en feu. Ce sont là jeux de prince:
On respecte un moulin, on vole une province.

Les Enfants de la France.

REINE du monde, ô France, ô ma patrie!
Soulève enfin ton front cicatrisé.

Sans qu'à tes yeux leur gloire en soit flétrie,
De tes enfants l'étendard s'est brisé ;
Quand la fortuné outrageait sa vaillance,
Quand de tes mains tombait le sceptre d'or,
Tes ennemis disaient encor:

Honneur aux enfants de la France!

20

De tes grandeurs tu sus te faire absoudre,
France, et ton nom triomphe des revers:
Tu peux tomber, mais c'est comme la foudre
Qui se relève et gronde au haut des airs.
Le Rhin, aux bords ravis à ta puissance,
Porte à regret le tribut de ses eaux ;

Il crie au fond de ses roseaux :
Honneur aux enfants de la France!

Pour effacer des coursiers du barbare
Les pas empreints dans tes champs profanés,
Jamais le ciel te fut-il moins ayare?

D'épis nombreux vois ces champs couronnés.
D'un vol fameux, prompts à venger l'offense,
Vois les beaux-arts, consolant leurs autels,
Y graver en traits immortels :

Honneur aux enfants de la France!

Prête l'oreille aux accents de l'histoire :
Quel peuple ancien devant toi n'a tremblé?
Quel nouveau peuple, envieux de ta gloire,
Ne fut cent fois de ta gloire accablé ?
En vain l'Anglais a mis dans la balance
L'or que pour vaincre ont mendié les rois.
Des siècles entends-tu la voix?

Honneur aux enfants de la France!

Dieu, qui punit le tyran et l'esclave,
Veut te voir libre, et libre pour toujours.
Que tes plaisirs ne soient plus une entrave:
La liberté doit sourire aux amours.

Prends son flambeau, laisse dormir sa lance,
Instruis le monde, et cent peuples divers

Chanteront, en brisant leurs fers,

Honneur aux enfants de la France!

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