Page images
PDF
EPUB

L'homme, perdant sa chimère,
Se demande avec douleur
Quelle est la plus éphémère
De la vie ou de la fleur.

Le Montagnrad Emigré.

Combien j'ai douce souvenance
Du joli lieu de ma naissance!

Ma sœur, qu'ils étaient beaux ces jours
De France!

O mon pays, sois mes amours
Toujours.

Te souvient-il que notre mère
Au foyer de notre chaumière

Nous pressait sur son sein joyeux,
Ma chère !

Et nous baisions ses blonds cheveux
Tous deux.

Ma sœur, te souvient-il encore
Du château que baignait la Dore,

Et de cette tant vieille tour

Du More,

Où l'airain sonnait le retour
Du jour ?

Te souvient-il du lac tranquille
Qu'effleurait l'hirondelle agile,
Du vent qui courbait le roseau
Mobile,

Et du soleil couchant sur l'eau
Si beau?

Te souvient-il de cette amie,
Douce compagne de ma vie?
Dans les bois, en cueillant la fleur
Jolie,

Hélène appuyait sur mon cœur
Son cœur.

Oh! qui me rendra mon Hélène,
Et ma montagne et le grand chêne ?
Leur souvenir fait tous les jours
Ma peine:

Mon pays sera mes amours
Toujours!

Le Chien du Louvre.

PASSANT, que ton front se découvre ; Là plus d'un brave est endormi.

Des fleurs pour le martyr du Louvre, de pain pour son ami!

Un

peu

C'était le jour de la bataille; p
Il s'élança sous la mitraille:

Le chien suivit.

Le plomb tous deux vint les atteindre. Est-ce le maître qu'il faut plaindre? Le chien survit.

Morne, vers le brave il se penche
L'appelle, et de sa tête blanche

Le caressant,

Sur le corps de son frère d'armes

Laisse rouler ses grosses larmes

Avec son sang.

Des morts voici le char qui roule;
Le chien, respecté par la foule,
A pris son rang,

L'œil abattu, l'oreille basse,
En tête du convoi qui passe,
Comme un parent.

Au bord de la fosse avec peine,
Blessé de juillet, il se traîne
Tout en boitant;

Et la gloire y jette son maître,
Sans le nommer, sans le connaître :
Ils étaient tant!

Gardien du tertre funéraire,
Nul plaisir ne le peut distraire
De son ennui,

Et, fuyant la main qui l'attire,
Avec tristesse il semble dire:
"Ce n'est pas lui!"

Quand sur ces touffes d'immortelles Brillent d'humides étincelles

Au point du jour,

Son œil se ranime; il se dresse,
Pour que son maître le caresse
A son retour.

Au vent des nuits quand la couronne Sur la croix du tombeau frissonne,

Perdant l'espoir,

Il veut que son maître l'entende,
Il gronde, il pleure, il lui demande
L'adieu du soir.

Si la neige avec violence

De ses flocons couvre en silence
Le lit de mort,

Il pousse un cri lugubre et tendre,
Et s'y couche pour le défendre
Des vents du Nord.

-20

Avant de fermer la paupière,
Il fait pour soulever la pierre
Un vain effort;

Puis il se dit, comme la veille :
"Il m'appellera, s'il s'éveille."
Puis il s'endort.

La nuit il rêve barricade :
Son maître est sous la fusillade,
Couvert de sang.

Il l'entend qui siffle dans l'ombre,
Se lève et saute après son ombre
En gémissant.

C'est là qu'il attend d'heure en heure,
Qu'il aime, qu'il souffre, qu'il pleure,
Et qu'il mourra.

Quel fut son nom? C'est un mystère !
Jamais la voix qui lui fut chère
Ne le dira.

Passant, que ton front se découvre :
Là plus d'un brave est endormi;
Des fleurs pour le martyr du Louvre,
peu de pain pour son ami.

Un

Trois Jours de Christophe Colomb.

"En Europe! en Europe!"-" Espérez !"-" Plus d'espoir!"
"Trois jours," leur dit Colomb, " et je vous donne un monde."
Et son doigt le montrait, et son œil, pour le voir,
Perçait de l'horizon l'immensité profonde. 20
Il marche, et des trois jours le premier jour a lui;
Il marche, et l'horizon recule devant lui;

Il marche, et le jour baisse. Avec l'azur de l'onde
L'azur d'un ciel sans borne à ses yeux se confond.
Il marche, il marche encore, et toujours; et la sonde
Plonge et replonge en vain dans une mer sans fond.

Le pilote, en silence, appuyé tristement

Sur la barre qui crie au milieu des ténèbres,
Ecoute du roulis le sourd mugissement,
Et des mâts fatigués les craquements funèbres.
Les astres de l'Europe ont disparu des cieux;
L'ardente Croix du Sud épouvante ses yeux.
Enfin l'aube attendue, et trop lente à paraître,
Blanchit le pavillon de sa douce clarté :
"Colomb! voici le jour! le jour vient de renaître !"
"Le jour ! et que vois-tu ?"—" Je vois l'immensité.”

[ocr errors]

Qu'importe! il est tranquille... Ah! l'avez-vous pensé?
Une main sur son cœur, si sa gloire vous tente,
Comptez les battements de ce cœur oppressé,
Qui s'élève et retombe, et languit dans l'attente;
Ce cœur qui, tour à tour brûlant ou sans chaleur,
Se gonfle de plaisir, se brise de douleur.
Vous comprendrez alors que durant ces journées
Il vivait, pour souffrir, des siècles par moments.
Vous direz ces trois jours dévorent des années,
Et sa gloire est trop chère au prix de ses tourments.

« PreviousContinue »