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"C'est," lui dit le mentor," afin de vous instruire
De ce qu'un jour vous devez éprouver:

Les sots savent tous se produire ;
Le mérite se cache, il faut l'aller trouver."

Les Horloges de Charles-Quint.

Lassé du trône et de la cour,

Jeté par ses ennuis au fond d'un monastère,
Dans ce calme et pieux séjour,

Charles-Quint s'ennuyait de n'avoir rien à faire.
Il prit pour passe-temps la lime et le ciseau.
C'était moins lourd qu'un sceptre ; et de ses mains savantes
Il façonna quatre horloges sonnantes,
Qu'il rangea devant lui sur le même trumeau.

Mais leurs aiguilles discordantes

Ne furent pour ses yeux qu'un supplice nouveau.
En vain à les régler s'exerçait son génie;
Il les accordait le matin,

Le soir, chacune allait suivant sa fantaisie.
Il y perdit son temps et son latin.

Il en prit de l'humeur, et sa main un peu rude
En éclats à ses pieds fit choir l'un des cadrans.
Pardonnez-lui ce péché d'habitude:

Il avait régné quarante ans.

Celui-ci fut très-court. Il rit de sa folie.
"Moi, qui n'ai pu," dit-il, "accorder de ma vie
Catholiques et protestants,

Mes ministres, mes lieutenants,
Mon Espagne et ma Germanie,

Entre les œuvres de mes mains,

Insensé, je voudrais établir l'harmonie,

Quand Dieu, dont la puissance est, dit-on, infinie,
N'a pu mettre d'accord quatre cerveaux humains!"

Charles-Quint, à ces mots, reprenant son bréviaire,
Se rassit et fit sa prière.

L'art a, depuis ce temps, grandement cheminé.
Les Breguets ont discipliné
Leurs créatures mécaniques;
Mais des horloges politiques

Le Breguet encor n'est pas né.

Dieu et son Essence.

CET astre universel, sans déclin, sans aurore, C'est Dieu, c'est ce grand tout, qui soi-même s'adore! Il est ; tout est en lui: l'immensité, les temps, De son être infini sont les purs éléments; L'espace est son séjour, l'éternité son âge; Le jour est son regard, le monde est son image; Tout l'univers subsiste à l'ombre de sa main; L'être à flots éternels découlant de son sein, q Comme un fleuve nourri par cette source immense, S'en échappe, et revient finir où tout commence. Sans bornes comme lui, ses ouvrages parfaits Bénissent en naissant la main qui les a faits! Il peuple l'infini chaque fois qu'il respire; Pour lui, vouloir c'est faire, exister c'est produire ! Tirant tout de soi seul, rapportant tout à soi, Sa volonté suprême est sa suprême loi! Mais cette volonté, sans ombre et sans faiblesse, Est à la fois puissance, ordre, équité, sagesse. Sur tout ce qui peut être, il l'exerce à son gré; Le néant jusqu'à lui s'élève par degré : Intelligence, amour, force, beauté, jeunesse, Sans s'épuiser jamais, il peut donner sans cesse, Et, comblant le néant de ses dons précieux, Des derniers rangs de l'être il peut tirer des dieux!

Mais ces dieux de sa main, ces fils de sa puissance, Mesurent d'eux à lui l'éternelle distance,

Tendant par leur nature à l'être qui les fit;

Il est leur fin à tous, et lui seul se suffit!

Hymne au Soleil.

Dieu, que les airs sont doux! que la lumière est pure!
Tu règnes en vainqueur sur toute la nature,
O soleil! et des cieux, où ton char est porté,
Tu lui verses la vie et la fécondité !
Le jour où, séparant la nuit de la lumière,
L'Eternel te lanca dans ta vaste carrière,
L'univers tout entier te reconnut pour roi ;
Et l'homme, en t'adorant, s'inclina devant toi.
Dès ce jour, poursuivant ta carrière enflammée,
Tu décris sans repos ta route accoutumée ;
L'éclat de tes rayons ne s'est point affaibli;

Et sous la main des temps ton front n'a point pâli!
Quand la voix du matin vient réveiller l'aurore,
L'Indien prosterné te bénit et t'adore!

Et moi, quand le midi de ses feux bienfaisants
Ranime par degrés mes membres languissants,

Il me semble qu'un dieu, dans tes rayons de flamme,
En échauffant mon sein, pénètre dans mon âme !
Et je sens de ses fers mon esprit détaché,
Comme si du Très-Haut le bras m'avait touché !
Mais ton sublime auteur défend-il de le croire?
N'es-tu point, ô soleil, un rayon de sa gloire?
Quand tu vas mesurant l'immensité des cieux,
O soleil! n'es-tu point un regard de ses yeux?

Les Métamorphoses du Singe.

Gille, histrion de foire, un jour, par aventure,
Trouva sous sa patte un miroir.

Mon singe, au même instant, de chercher à s'y voir.
"O le museau grotesque! ô la plate figure!"
S'écria-t-il; "que je suis laid!

Puissant maître des dieux, j'ose implorer tes grâces:
Laisse-moi le lot des grimaces;

Je te demande, au reste, un changement complet."
Jupin l'entend, et dit: "Je consens à la chose.
Regarde; es-tu content de ta métamorphose?"
Le singe était déjà devenu perroquet.

Sous ce nouvel habit mon drôle s'examine,
Aime assez son plumage, et beaucoup son caquet;
Mais il n'a pas tout vu: "Peste! la sotte mine
Que me donne Jupin! le long bec que voilà!
J'ai trop mauvaise grâce avec ce bec énorme.
Donne-moi vite une autre forme."

Par bonheur en ce moment-là

Le seigneur Jupiter était d'humeur à rire:
Il en fait donc un paon, et cette fois le sire,
Promenant sur son corps des yeux émerveillés,
S'enfle, se pavane et s'admire ;
Mais, las! il voit ses vilains pieds;
Et mon impertinente bête

A Jupin derechef adresse une requête.

"Ma bonté," dit le dieu, " commence à se lasser:

Cependant j'ai trop fait pour rester en arrière,

Et vais de chaque état où tu viens de passer
Te conserver le caractère;

Mais aussi plus d'autre prière !

Que je n'entende plus ton babil importun."
A ces mots Jupiter lui donne un nouvel être,
Et qu'en fait-il? Un petit-maître.

Depuis ce temps, dit-on, les quatre ne font qu'un.

La Feuille.

"De la tige détachée,

Pauvre feuille desséchée,

Où vas-tu?"—" Je n'en sais rien.
L'orage a brisé le chêne

Qui seul était mon soutien.
De son inconstante haleine
Le zéphyr ou l'aquilon
Depuis ce jour me promène
De la forêt à la plaine,
De la montagne au vallon.
Je vais où le vent me mène,
Sans me plaindre ou m'effrayer;
Je vais où va toute chose,

Où va la feuille de rose

Et la feuille de laurier."

La Fleur.

Fleur mourante et solitaire,
Qui fus l'honneur du vallon,
Tes débris jonchent la terre,
Dispersés par l'aquilon.

La même faux nous moissonne,
Nous cédons au même dieu :

Une feuille t'abandonne,

Un plaisir nous dit adieu.

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