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Epitaphe.

JEUNE ou vieux, imprudent ou sage,

Toi qui, de cieux en cieux errant comme un nuage,
Suis l'appel d'un plaisir ou l'instinct d'un besoin,
Voyageur, ou vas-tu si loin?

N'est-ce donc pas ici le but de ton voyage?

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Le fleuve est revenu se perdre dans sa source,
Fais silence assieds-toi sur ce marbre brisé.

:

Pose un instant le poids qui fatigue ta course;
J'eus de même un fardeau qu'ici j'ai déposé.

Si tu veux du repos, si tu cherches de l'ombre,

Ta couche est prête: accours! loin du bruit on y dort.

Si ton fragile esquif lutte sur la mer sombre, dark rester
Viens, c'est ici l'écueil; et c'est ici le port. rock

Ne sens-tu rien ici dont tressaille ton âme?!
Rien qui borne tes pas d'un cercle impérieux ?
Sur l'asile qui te réclame,

Ne lis-tu pas tor nom en mots mystérieux ? '

Ephémère histrion qui sait son rôle à peine,
Chaque homme, ivre d'audace ou palpitant d'effroi,
Sous le sayon du pâtre ou la robe du roi,
Vient passer à son tour son heure sur la scène. .

Ne foule pas les morts d'un œil indifférent;

Comme moi, dans leur ville il te faudra descendre:
L'homme de jour en jour s'en va pâle et mourant,
Et tu ne sais quel vent doit emporter ta cendre.

Mais devant moi ton cœur à peine est agité!
Quoi donc pas un soupir! pas même une prière !
Tout ton néant te parle, et n'est point écouté!

Tu passes.-En effet, qu'importe cette pierre?
Que peut cacher la tombe à ton œil attristé?
Quelques os desséchés, un reste de poussière,
Rien peut-être.-Eh! l'éternité !

Le Papillon.

NAÎTRE avec le printemps, mourir comme les roses,
Sur l'aile du Zéphyr nager dans un ciel pur,
Balancer sur le sein des fleurs à peine écloses,
S'enivrer de parfums, de lumière et d'azur,
Secouant, jeune encor, la poudre de ses ailes,
S'envoler comme un souffle aux voûtes éternelles,
Voilà du papillon le destin enchanté.

Il ressemble au désir, qui jamais ne se pose,
Et sans se satisfaire, effleurant toute chose,
Retourne enfin au ciel chercher la volupté.

Le Voyage.

Partir avant le jour, à tâtons, sans voir goutte,
Sans songer seulement à demander sa route;
Aller de chute en chute, et se traînant ainsi,
Faire un tiers du chemin jusqu'à près de midi;
Voir sur sa tête alors s'amasser les nuages,
Dans un sable mouvant précipiter ses pas;
Courir en essuyant orages sur orages,
Vers un but incertain où l'on n'arrive pas ;

Détrompé vers le soir, chercher une retraite,
Arriver haletant, se coucher, s'endormir.
On appelle cela naître, vivre, et mourir.
La volonté de Dieu soit faite !

Les Châteaux en Espagne.

Chacun fait des châteaux en Espagne ;
On en fait à la ville, ainsi qu'à la campagne:
On en fait en dormant, on en fait éveillé.
Le pauvre paysan, sur sa bêche appuyé,
Peut se croire un moment seigneur de son village.
Le vieillard, oubliant les glaces de son âge,
Se figure aux genoux d'une jeune beauté,
Et sourit... Son neveu sourit de son côté,
En songeant qu'un matin du bonhomme il hérite.
Telle femme se croit sultane favorite;
Un commis est ministre; un jeune abbé, prélat;
Le prélat..... Il n'est pas jusqu'au simple soldat
Qui ne se soit un jour cru maréchal de France;
Et le pauvre lui-même est riche en espérance.

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Et chacun redevient Gros-Jean comme devant.

Hé bien! chacun du moins fut heureux en rêvant!
C'est quelque chose encor que de faire un beau rêve;
A nos chagrins réels c'est une utile trève ;
Nous en avons besoin: nous sommes assiégés
De maux dont à la fin nous serions surchargés,
Sans ce délire heureux qui se glisse en nos veines.
Flatteuse illusion! doux oubli de nos peines !
Oh! qui pourrait compter les heureux que tu fais!
L'espoir et le sommeil sont de moindres bienfaits.

Délicieuse erreur! tu nous donnes d'avance
Le bonheur que promet seulement l'espérance;
Le doux sommeil ne fait que suspendre nos maux,
Et tu mets à la place un plaisir : en deux mots,
Quand je songe, je suis le plus heureux des hommes:
Et, dès que nous croyons être heureux, nous le sommes.

On peut bien quelquefois se flatter dans la vie :
J'ai, par exemple, hier, mis à la loterie,

Et mon billet enfin pourrait bien être bon.
Je conviens que cela n'est pas certain: oh! non;
Mais la chose est possible, et cela doit suffire.
Puis, en me le donnant, on s'est mis à sourire,
Et l'on m'a dit; "Prenez, car c'est là le meilleur."
Si je gagnais pourtant le gros lot, quel bonheur!
J'achèterai d'abord une ample seigneurie...
Non, plutôt une bonne et grasse métairie;
Oh oui, dans ce canton; j'aime ce pays-ci;
Et Justine, d'ailleurs, me plaît beaucoup aussi.
J'aurai donc à mon tour des gens à mon service.
Dans le commandement je serai peu novice;
Mais je ne serai point dur, insolent, ni fier,
Et me rappellerai ce que j'étais hier.

Ma foi, j'aime déjà ma ferme à la folie.

Moi! gros fermier! J'aurai ma basse-cour remplie
De poules, de poussins que je verrai courir:

De mes mains chaque jour je prétends les nourrir.
C'est un coup d'œil charmant! et puis cela rapporte.
Quel plaisir quand, le soir, assis devant ma porte,
J'entendrai le retour de mes moutons bêlants,
Que je verrai de loin revenir à pas lents
Mes chevaux vigoureux, et mes belles génisses!
Ils sont nos serviteurs, elles sont nos nourrices.

Et mon petit Victor, sur son âne monté,
Fermant la marche avec un air de dignité!
Je serai plus heureux que monsieur sur un trône.
Je serai riche, riche, et je ferai l'aumône.

Tout bas, sur mon passage, on se dira: “Voilà
Ce bon monsieur Victor." Cela me touchera.
Je puis bien m'abuser, mais ce n'est pas sans cause:
Mon projet est au moins fondé sur quelque chose,
Sur un billet. Je veux revoir ce cher... Eh! mais....
Où donc est-il? tantôt encore je l'avais.

Depuis quand ce billet est-il donc invisible?
Ah! l'aurais-je perdu? Serait-il bien possible?
Mon malheur est certain me voilà confondu.
Que vais-je devenir? Hélas! j'ai tout perdu.

Bonaparte.

SUR un écueil battu par la vague plaintive,
Le nautonier de loin voit blanchir sur la rive
Un tombeau près du bord, par les flots déposé;
Le temps n'a pas encor bruni l'étroite pierre,
Et sous le vert tissu de la ronce et du lierre
On distingue... un sceptre brisé!

Ici gît... point de nom!... demandez à la terre!
Ce nom? il est inscrit en sanglant caractère,
Des bords du Tanaïs au sommet du Cédar,

Sur le bronze et le marbre, et sur le sein des braves,
Et jusque dans le cœur de ces troupeaux d'esclaves
Qu'il foulait tremblants sous son char.

Ta tombe et ton berceau sont couverts d'un nuage,
Mais pareil à l'éclair tù sortis d'un orage,

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