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Et ce triomphe heureux qui s'en va devenir
L'éternel entretien des siècles à venir.

Iphigénie se montre soumise aux ordres de son père et à la volonté des destins.

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Cessez de vous troubler, vous n'êtes point trahi:
Quand vous commanderez, vous serez obéi.
Ma vie est votre bien, vous voulez le reprendre :
Vos ordres sans détours pouvaient se faire entendre.
D'un œil aussi content, d'un cœur aussi soumis
Que j'acceptai l'époux que vous m'aviez promis,
Je saurai, s'il le faut, victime obéissante,
Tendre au fer de Calchas une tête innocente;
Et, respectant le coup par vous-même ordonné,
Vous rendre tout le sang que vous m'avez donné.
Si pourtant ce respect, si cette obéissance

Q

Paraît digne à vos yeux d'une autre récompense;
Si d'une mère en pleurs vous plaignez les ennuis,
J'ose vous dire ici qu'en l'état où je suis
Peut-être assez d'honneurs environnaient ma vie
Pour ne pas souhaiter qu'elle me fût ravie,
Ni qu'en me l'arrachant un sévère destin
Si près de ma naissance en eût marqué la fin.
Fille d'Agamemnon, c'est moi qui la première,
Seigneur, vous appelai de ce doux nom de père;
C'est moi qui, si long-temps, le plaisir de vos yeux,
Vous ai fait de ce nom, remercier les Dieux,
Et pour qui, tant de fois prodiguant vos caresses,
Vous n'avez point, du sang,dédaigné les faiblesses.
Hélas! avec plaisir, je me faisais conter
Tous les noms des pays, que vous allez dompter:
Et déjà, d'Ilion présageant la conquête,
D'un triomphe si beau je préparais la fête !

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Je ne m'attendais pas que, pour le commencer,

Mon sang

fût le premier que vous dussiez verser. Non, que la peur du coup, dont je suis menacée Me fasse rappeler votre bonté passée :

20

Ne craignez rien;, mon cœur, de votre honneur jaloux,
Ne fera point rougir un père tel que vous;
Et, si je n'avais eu que ma vie à défendre,
J'aurais su renfermer un souvenir si tendre;
Mais à mon triste sort, vous le savez, seigneur,
Une mère, un amant, attachaient leur bonheur.
Un roi digne de vous a cru voir la journée
Qui devait éclairer notre illustre hyménée ;
Déjà, sûr de mon cœur à sa flamme promis,
Il s'estimait heureux: vous me l'aviez permis.
Il sait votre dessein; jugez de ses alarmes.
Ma mère est devant vous, et vous voyez ses larmes.
Pardonnez aux efforts que je viens de tenter
Pour prévenir les pleurs que je leur vais coûter.

Agrippine reproche à Burrhus de retenir Néron, son fils, dans une indigne dépendance.

PRÉTENDEZ-Vous longtemps me cacher l'empereur?
Ne le verrai-je plus qu'à titre d'importune?

Ai-je donc élevé si haut votre fortune

: Pour mettre une barrière entre mon fils et moi?
Ne l'osez-vous laisser un moment sur sa foi?
Entre Sénèque et vous, disputez-vous la gloire
A qui m'effacera plus tôt de sa mémoire ?
Vous l'ai-je confié pour en faire un ingrat,
Pour être sous son nom les maîtres de l'état ?
Certes, plus je médite, et moins je me figure
Que vous m'osiez compter pour votre créature:
Vous, dont j'ai pu laisser vieillir l'ambition

Dans les honneurs obscurs de quelque légion;
Et moi, qui sur le trône ai suivi mes ancêtres,
Moi, fille, femme, sœur, et mère de vos maîtres!
Que prétendez-vous donc ? Pensez-vous que ma voix
Ait fait un empereur pour m'en imposer trois?
Néron n'est plus enfant : n'est-il pas temps qu'il règne ?
Jusqu'à quand voulez-vous que l'empereur vous craigne?
Ne saurait-il rien voir qu'il n'emprunte vos yeux
Pour se conduire, enfin, n'a-t-il pas ses aïeux ?
Qu'il choisisse, s'il veut, d'Auguste ou de Tibère;
Qu'il imite, s'il peut, Germanicus mon père.
Parmi tant de héros je n'ose me placer;
Mais il est des vertus que je lui puis tracer:
Je puis l'instruire au moins combien sa confidence
Entre un sujet et lui doit laisser de distance.

Réponse de Burrhus.

Je ne m'étais chargé, dans cette occasion,
Que d'excuser César d'une seule action:
Mais puisque, sans vouloir que je le justifie,
Vous me rendez garant du reste de sa vie,
Je répondrai, madame, avec la liberté,
D'un soldat qui sait mal farder la vérité.
Vous m'avez de César confié la jeunesse,
Je l'avoue, et je dois m'en souvenir sans cesse.
Mais vous avais-je fait serment de le trahir,

D'en faire un empereur qui ne sût qu'obéir?

Non. Ce n'est plus à vous qu'il faut que j'en réponde;
Ce n'est plus votre fils, c'est le maître du monde.
J'en dois compte, madame, à l'empire romain
Qui croit voir son salut ou sa perte en ma main.
Ah! si dans l'ignorance il, le fallait instruire,
N'avait-on que Sénèque et moi pour le séduire ?

Pourquoi de sa conduite éloigner les flatteurs?
Fallait-il dans l'exil chercher des corrupteurs?
La cour des Claudius, en esclaves fertile,

Pour deux que l'on cherchait en eût présenté mille, 90
Qui tous auraient brigué l'honneur de l'avilir:

Dans une longue enfance ils l'auraient fait vieillir,
De quoi vous plaignez-vous, madame? On vous révère,
Ainsi que par César, on jure par sa mère :

2

L'empereur, il est vrai, ne vient plus chaque jour
Mettre à vos pieds l'empire, et grossir votre cour.
Mais le doit-il, madame? et sa reconnaissance
Ne peut-elle éclater que dans sa dépendance?
Toujours humble, toujours, le timide Néron
N'ose-t-il être Auguste et César que de nom?
Vous le dirai-je enfin ? Rome le justifie.
Rome, à trois affranchis si longtemps asservie,
A peine respirant du joug qu'elle a porté,
Du règne de Néron compte sa liberté.
Que dis-je! la vertu semble même renaître.
Tout l'empire n'est plus la dépouille d'un maître :
Le peuple au Champ-de-Mars nomme ses magistrats ;
César nomme les chefs sur la foi des soldats:
Thraséas au sénat, Corbulon dans l'armée,
Sont encore innocents, malgré leur renommée;
Les déserts, autrefois peuplés de sénateurs, 1
Ne sont plus habités que par leurs délateurs.
Qu'importe que César continué à nous croire,
Pourvu que nos conseils ne tendent qu'à sa gloire;
Pourvu que, dans le cours d'un règne florissant,
Rome soit toujours libre, et César tout-puissant?
Mais, madame, Néron suffit pour se conduire.
J'obéis, sans prétendre à l'honneur de l'instruire.
Sur ses aïeux, sans doute, il n'a qu'à se régler;

2

Pour bien faire, Néron n'a qu'à se ressembler:

Heureux, si ses vertus l'une à l'autre enchaînées
Ramènent tous les ans ses premières années!

Songe d'Athalie.

UN songe (me devrais-je inquiéter d'un songe?)
Entretient dans mon cœur un chagrin qui le ronge:
Je l'évite partout: partout il me poursuit.
C'était pendant l'horreur d'une profonde nuit;
Ma mère Jésabel devant moi s est montrée
Comme au jour de sa mort pompeusement parée ;
Ses malheurs n'avaient point abattu sa fierté;
Même elle avait encor cet éclat emprunté
Dont elle eut soin de peindre et d'orner son visage
Pour réparer des ans l'irréparable outrage:
"Tremble," m'a-t-elle dit, "fille digne de moi,
Le cruel Dieu des Juifs l'emporte aussi sur toi.
Je te plains de tomber dans ses mains redoutables,
Ma fille." En achevant, ces mots épouvantables,
Son ombre vers mon lit a paru se baisser,

Et moi je lui tendais les mains, pour l'embrasser ;
Mais je n'ai plus trouvé, qu'un horrible mélange
D'os et de chair meurtris et traînés dans la fange,
Des lambeaux pleins de sang, et des membres affreu
Que des chiens dévorants se disputaient entre eux.

.... Dans ce désordre à mes yeux se présente Un jeune enfant, couvert d'une robe éclatante, Tel qu'on voit des Hébreux les prêtres revêtus. Sa vue a ranimé mes esprits abattus; Mais lorsque, revenant de mon trouble funeste, J'admirais sa douceur, son air noble et modeste, J'ai senti tout à coup un homicide acier, Que le traître en mon sein a plongé tout entier. De tant d'objets divers le bizarre assemblage

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