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Mithridate vaincu déclare à ses fils son projet de marcher sur Rome.)

APPROCHEZ, mes enfants. Enfin l'heure est venue

Qu'il faut que mon secret éclate à votre vue.
A mes nobles projets je vois tout conspirer;
Il ne me reste plus qu'à vous les déclarer.
Je fuis: ainsi le veut la fortune ennemie ;
Mais vous savez trop bien l'histoire de ma vie,
Pour croire que longtemps, soigneux de me cacher,
J'attende en ces déserts qu'on me vienne chercher.
La guerre a ses faveurs ainsi que ses disgrâces.
Déjà plus d'une fois, retournant sur mes traces,
Tandis que l'ennemi, par ma fuite trompé,
Tenait après son char un vain peuple occupé,
Et, gravant en airain ses frêles avantages,
-De mes Etats conquis enchaînait les images,
Le Bosphore m'a vu, par de nouveaux apprêts,
Ramener la terreur au fond de ses marais;
Et, chassant les Romains de l'Asie étonnée,
Renverser en un jour l'ouvrage d'une année.
D'autres temps, d'autres soins. L'Orient accablé
Ne peut plus soutenir leur effort redoublé.
Il voit plus que jamais ses campagnes couvertes
De Romains que la guerre enrichit de nos pertes.
Des biens des nations ravisseurs altérés,
Le bruit de nos trésors les a tous attirés:

? Ils y courent en foule, et, jaloux l'un de l'autre,
Désertent leur pays pour inonder le nôtre.
Moi seul je leur résiste. Ou lassés, ou soumis,
Ma funeste amitié pèse à tous mes amis.
Chacun à ce fardeau veut dérober sa tête.
"Le grand nom de Pompée assure sa conquête :
C'est l'effroi de l'Asie; et loin de l'y chercher,

C'est à Rome, mes fils, que je prétends marcher.
Ce dessein vous surprend, et vous croyez peut-être
Que le seul désespoir aujourd'hui le fait naître. //
J'excuse votre erreur; et, pour être approuvés,
De semblables projets veulent être achevés.
Ne vous figurez point que de cette contrée
Par d'éternels remparts Rome soit séparée./
Je sais tous les chemins par où je dois passer;
Et, si la mort bientôt ne me vient traverser,
Sans reculer plus loin l'effet de ma parole,

Je vous rends dans trois mois au pied du Capitole.
Doutez-vous que l'Euxin ne me porte en deux jours
Aux lieux où le Danube y vient finir son cours;
Que du Scythe avec moi l'alliance jurée,
De l'Europe en ces lieux ne me livre l'entrée ?
Recueilli dans leurs ports, accru de leurs soldats,
Nous verrons notre camp grossir à chaque pas:
Daces, Pannoniens, la fière Germanie,

Tous n'attendent qu'un chef contre la tyrannie.
Vous avez vu l'Espagne, et surtout les Gaulois,
Contre ces mêmes murs qu'ils ont pris autrefois
Exciter ma vengeance, et, jusque dans la Grèce,
Par des ambassadeurs accuser ma paresse;
Ils savent que, sur eux prêt à se déborder,
Ce torrent, s'il m'entraîne, ira tout inonder; 4
Et vous les verrez tous, prévenant son ravage,
Guider dans l'Italie et suivre mon passage.

"C'est là qu'en arrivant, plus qu'en tout le chemin, Vous trouverez partout l'horreur du nom romain, Et la triste Italie encor toute fumante

Des feux qu'a rallumés sa liberté mourante.
Non, princes, ce n'est point au bout de l'univers
Que Rome fait sentir tout le poids de ses fers;
Et, de près inspirant les haines les plus fortes,
Tes plus grands ennemis, Rome, sont à tes portes.

9

Ah! s'ils ont pu choisir pour leur libérateur
Spartacus, un esclave, un vil gladiateur; &
S'ils suivent au combat des brigands qui les vengent,
De quelle noble ardeur pensez-vous qu'ils se rangent /0
Sous les drapeaux d'un roi longtemps victorieux,
1 Qui voit jusqu'à Cyrus remonter ses aïeux? 2
Que dis-je ? en quel état croyez-vous la surprendre? /9
Vide de légions qui la puissent défendre, /4
Tandis que tout s'occupe à me persécuter, 15
Leurs femmes, leurs enfants pourront-ils m'arrêter? /6
Marchons, et dans son sein rejétons cette guerre
Que sa fureur envoie aux deux bouts de la terre.
Attaquons dans leurs murs ces conquérants si fiers;
Qu'ils tremblent à leur tour pour leurs propres foyers.
Annibal l'a prédit, croyons-en ce grand homme:
Jamais on ne vaincra les Romains que dans Rome.
Noyons-la dans son sang justement répandu;
Brûlons ce Capitole où j'étais attendu;
Détruisons ses honneurs, et faisons disparaître
La honte de cent rois, et la mienne peut-être ;
Et la flamme à la main, effaçons tous ces noms
Que Rome y consacrait à d'éternels affronts.

Voilà l'ambition dont mon âme est saisie.
Ne croyez point pourtant qu'éloigné de l'Asie,
J'en laisse les Romains tranquilles possesseurs;
Je sais où je lui dois trouver des défenseurs.
Je veux que, d'ennemis partout enveloppée,
Rome rappelle en vain le secours de Pompée.
Le Parthe, des Romains comme moi la terreur,
Consent de succéder à ma juste fureur:
Près d'unir avec moi sa haine et sa famille,
Il mé demande un fils pour époux à sa fille.

Cet honneur vous regarde, et j'ai fait choix de vous,
Pharnace; allez, soyez ce bien heureux époux.
Demain, sans différer, je prétends que l'aurore

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Découvre mes vaisseaux déjà loin du Bosphore. ?
Vous que rien n'y retient, partez dès ce moment,
Et méritez mon choix par votre empressement.
Achevez cet hymen, et repassant l'Euphrate,
Faites voir à l'Asie un autre Mithridate.

Que nos tyrans communs en pâlissent d'effroi, /
Et que le bruit, à Rome, en vienne jusqu'à moi.

Ulysse emploie tout son art pour déterminer Agamemnon à sacrifier sa fille à la Grèce.

....De ce soupir que faut-il que j'augure? '
Du sang qui se révolte est-ce quelque murmure?
Croirai-je qu'une nuit a pu vous ébranler ? / |
Est-ce donc votre cœur qui vient de nous parler?
Songez-y, vous devez votre fille à la Grèce :/
Vous nous l'avez promise; et sur cette promesse,
Calchas, par tous les Grecs consulté chaque jour,
Leur a prédit,des vents l'infaillible retour.
A ses prédictions si l'effet est contraire,
Pensez-vous que Calchas continue, à se taire;/
Que ses plaintes, qu'en vain vous voudrez apaiser,/9
Laissent mentir les dieux sans vous en accuser?
Et qui sait ce qu'aux Grecs, frustrés de leur victime,
Peut permettre un courroux qu'ils croiront légitime?
Gardez-vous de réduire un peuple furieux,

7

2.

Seigneur, à prononcer entre vous et les Dieux.
N'est-ce pas vous enfin de qui la voix pressante
Nous a tous appelés aux campagnes du Zanthe,
Et qui de ville en ville attestiez les amants,
Quand presque tous les Grecs, rivaux de votre frère.
La demandaient en foule à Tyndare son père?
De quelque heureux époux que l'on dût faire choix,

Nous jurâmes dès lors de défendre ses droits;
Et, si quelque insolent lui volait sa conquête, 9
Nos mains du ravisseur lui promirent la tête.
Mais sans vous, ce serment que l'amour a dicté,//
Libres de cet amour, l'aurions-nous respecté ?
Vous seul, nous arrachant à de nouvelles flammes, !^
Nous avez fait laisser nos enfants et nos femmes;
Et, quand de toutes parts assemblés en ces lieux,
L'honneur de vous venger brille seul à nos yeux
Quand la Grèce déjà vous donnant son suffrage
Vous reconnaît l'auteur de ce fameux ouvrage;
Que ses rois, qui pouvaient vous disputer ce rang,
Sont prêts, pour vous servir, de verser tout leur sang;
Le seul Agamemnon, refusant la victoire,
N'ose d'un peu de sang acheter tant de gloire,
Et, dès le premier pas, se laissant effrayer,
Ne commande les Grecs que pour les renvoyer!....
Je suis père, seigneur, et faible comme un autre.
Mon cœur se met sans peine en la place du vôtre;
Et, frémissant du coup qui vous fait soupirer,
Loin de blâmer vos pleurs, je suis près de pleurer.
Mais votre amour n'a plus d'excuse légitime.
Les Dieux ont à Calchas amené leur victime:
Il le sait, il l'attend; et s'il la voit tarder,
Lui-même à haute voix viendra la demander.
Nous sommes seuls encor: hâtez-vous de répandre
Des pleurs que vous arrache un intérêt si tendre;
Pleurez ce sang, pleurez; ou plutôt, sans pâlir,
Considérez l'honneur qui doit en rejaillir:

Voyez tout l'Hellespont blanchissant sous nos rames,
Et la perfide Troie abandonnée aux flammes,
Ses peuples dans vos fers, Priam à vos genoux,
Hélène par vos soins rendue à son époux;
Voyez de vos vaisseaux les poupes couronnées
Dans cette même Aulide avec vous retournées;

20

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