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Leur transport est semblable à la cruelle joie
Des ours et des lions qui fondent sur leur proie':
A l'envi l'un de l'autre ils courent en fureur;

Ils enfoncent la porte. O surprise! ô terreur!

Près d'un corps tout sanglant à leurs yeux se présente Une femme égarée, et de sang dégouttante.

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'Oui, c'est mon propre fils; oui, monstres inhumains,
C'est vous qui dans son sang avez trempé mes mains;
Que la mère et le fils vous servent de pâture :
Craignez-vous plus que moi d'outrager la nature?
Quelle horreur à mes yeux semble vous glacer tous?
Tigres, de tels festins sont préparés pour vous."
Ce discours insensé, que sa rage prononce,
Est suivi d'un poignard qu'en son cœur elle enfonce.
De crainte, à ce spectacle, et d'horreur agités,
Ces monstres confondus courent épouvantés.
Ils n'osent regarder cette maison funeste :
Ils pensent voir tomber sur eux le feu céleste;
Et le peuple, effrayé de l'horreur de son sort,
Levait les mains au ciel, et demandait la mort.

La Mort de Polyphonte.

La victime était prête, et de fleurs couronnée;
L'autel étincelait des flambeaux d'hyménée;
Polyphonte, l'œil fixe, et d'un front inhumain,
Présentait à Mérope une odieuse main;
Le prêtre prononçait les paroles sacrées;
Et la reine, au milieu des femmes éplorées,
S'avançait tristement, tremblante entre mes bras,
Au lieu de l'hyménée invoquait le trépas;

Le peuple observait tout dans un profond silence.
Dans l'enceinte sacrée en ce moment s'avance

Un jeune homme, un héros, semblable aux immortels;

Il court: c'était Ægisthe; il s'élance aux autels;
Il monte, il y saisit d'une main assurée

Pour les fêtes des dieux la hache préparée.

Les éclairs sont moins prompts; je l'ai vu de mes yeux,
Je l'ai vu qui frappait ce monstre audacieux.

"Meurs, tyran!" disait-il; "dieux, prenez vos victimes!"
Erox, qui de son maître a servi tous les crimes,
Erox, qui dans son sang voit ce monstre nager,
Lève une main hardie, et pense le venger.
Ægisthe se retourne, enflammé de furie;
A côté de son maître il le jette sans vie.
Le tyran se relève : il blesse le héros ;

De leur sang confondu j'ai vu couler les flots.
Déjà la garde accourt avec des cris de rage.
Sa mère... Ah! que l'amour inspire de courage!
Quel transport animait ses efforts et ses pas !
Sa mère... Elle s'élance au milieu des soldats.
"C'est mon fils! arrêtez; cessez, troupe inhumaine !
C'est mon fils! déchirez sa mère et votre reine.
A ces cris douloureux, le peuple est agité;
Une foule d'amis, que son danger excite,
Entre elle et ces soldats vole et se précipite.
Vous eussiez vu soudain les autels renversés,
Dans des ruisseaux de sang leurs débris dispersés;
Les enfants écrasés dans les bras de leurs mères;
Les frères, méconnus, immolés par leurs frères ;
Soldats, prêtres, amis, l'un sur l'autre expirants;
On marche, on est porté sur les corps des mourants;
On veut fuir, on revient; et la foule pressée
D'un bout du temple à l'autre est vingt fois repoussée.
De ces flots confondus le flux impétueux
Roule et dérobe Ægisthe et la reine à mes yeux.
Parmi les combattants je vole ensanglantée;
J'interroge à grands cris la foule épouvantée.
Tout ce qu'on me répond redouble mon horreur.

On s'écrie: "Il est mort, il tombe, il est vainqueur!"
Je cours, je me consume, et le peuple m'entraîne,
Me jette en ce palais, éplorée, incertaine,

Au milieu des mourants, des morts et des débris.
Venez, suivez mes pas, joignez-vous à mes cris:
Venez; j'ignore encor si la reine est sauvée,
Si de son digne fils la vie est conservée,

Si le tyran n'est plus. Le trouble, la terreur,
Tout ce désordre horrible est encor dans mon cœur.

Mahomet explique à Zopire les projets et le but de son ambition.

"Si j'avais à répondre à d'autres qu'à Zopire,”
Je ne ferais parler que le dieu qui m'inspire;
Le glaive et l'Alcoran, dans mes sanglantes mains,
Imposeraient silence au reste des humains:
Ma voix ferait sur eux les effets du tonnerre,
Et je verrais leurs fronts attachés à la terre.
Mais je te parle en homme; et, sans rien déguiser,
Je me sens assez grand pour ne pas t'abuser.

guerre.

Vois quel est Mahomet; nous sommes seuls, écoute: Je suis ambitieux, tout homme l'est sans doute; Mais jamais roi, pontife, ou chef, ou citoyen, Ne conçut un projet aussi grand que le mien. Chaque peuple, à son tour, a brillé sur la terre, Par les lois, par les arts, et surtout par la Le temps de l'Arabie est à la fin venu. Ce peuple généreux, trop longtemps inconnu, Laissait dans ses déserts ensevelir sa gloire; Voici les jours nouveaux marqués pour la victoire. Vois, du Nord au Midi, l'univers désolé ; La Perse encor sanglante, et son trône ébranlé, L'Inde esclave et timide, et l'Egypte abaissée,

Des murs de Constantin la splendeur éclipsée;
Vois l'empire romain tombant de toutes parts,
Ce grand corps déchiré, dont les membres épars
Languissent dispersés sans honneur et sans vie :
Sur ces débris du monde élevons l'Arabie.

Il faut un nouveau culte, il faut de nouveaux fers,
Il faut un nouveau dieu pour l'aveugle univers.
En Egypte Osiris, Zoroastre en Asie,

Chez les Crétois Minos, Numa dans l'Italie,

A des peuples sans mœurs, et sans culte et sans rois,
Donnèrent aisément d'insuffisantes lois.

Je viens, après mille ans, changer ces lois grossières;
J'apporte un joug plus noble aux nations entières:
J'abolis les faux dieux, et mon culte épuré
De ma grandeur naissante est le premier degré.
Ne me reproche point de tromper ma patrie;
Je détruis sa faiblesse et son idolâtrie.
Sous un roi, sous un dieu, je viens la réunir;
Et pour la rendre illustre, il la faut asservir.

Fragment du "Jeu de Paume," de A. Chénier.

L'ŒIL tout-puissant

Pénètre seul les cœurs à l'homme impénétrables.
Laissons cent fois échapper les coupables
Plutôt qu'outrager l'innocent.

Si plus d'un, pour tromper, étale un faux scrupule,
Plus d'un, par les méchants conduit,
N'est que vertueux et crédule.

De l'exemple éloquent laissons germer le fruit.
La vertu vit encore. Il est, il est des âmes
Où la patrie aimée et sans faste et sans bruit
Allume de constantes flammes.

Par ces sages esprits, forts contre les excès,
Rocs affermis du sein de l'onde,

Raison, fille du temps, tes durables succès
Sur le pouvoir des lois établiront la paix;
Et vous, usurpateurs du monde,

Rois, colosses d'orgueil, en délices noyés,
Ouvrez les yeux, hâtez-vous. Vous voyez
Quel tourbillon divin de vengeances prochaines
S'avance vers vous. Croyez-moi,
Prévenez l'ouragan et vos chutes certaines.
Aux nations déguisez mieux vos chaînes ;
Allégez-leur le poids d'un roi.

Effacez de leur sein les livides blessures,
Traces de vos pieds oppresseurs.

Le ciel parle dans leurs murmures.

Si l'aspect d'un bon roi peut adoucir vos mœurs,
Ou si le glaive ami, sauveur de l'esclavage,
Sur vos fronts suspendu, peut éclairer vos cœurs
D'un effroi salutaire et sage,

Apprenez la justice, apprenez que vos droits
Ne sont point votre vain caprice.

Si votre sceptre impie ose frapper les lois,
Parricides, tremblez! tremblez, indignes rois !
La liberté législatrice,

La sainte liberté, fille du sol français,

Pour venger

l'homme et punir les forfaits, Va parcourir la terre en arbitre suprême.

Tremblez! ses yeux lancent l'éclair.

Il faudra comparaître et répondre vous-même,
Nus, sans flatteurs, sans cour, sans diadème,
Sans gardes hérissés de fer.

La nécessité traîne, inflexible et puissante,
A ce tribunal souverain,
Votre majesté chancelante:

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