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Mais enfin sa clarté montra notre avantage;
Le Maure vit sa perte, et perdit le courage;
Et, voyant un renfort qui nous vint secourir,
Changea l'ardeur de vaincre en la peur

de mourir.

Ils gagnent leurs vaisseaux, ils en coupent les câbles,
Nous laissent pour adieux des cris épouvantables,
Font retraite en tumulte, et sans considérer

Si leurs rois avec eux ont pu se retirer.
Ainsi leur devoir cède à la frayeur plus forte;

Le flux les apporta, le reflux les remporte.

Cependant que leurs rois engagés parmi nous,

Et quelque peu des leurs, tous percés de nos coups,
Disputent vaillamment et vendent bien leur vie.

A se rendre moi-même en vain je les convie;
Le cimeterre au poing, ils ne m'écoutent pas;
Mais, voyant à leurs pieds tomber tous leurs soldats,
Et
que seuls désormais en vain ils se défendent,
Ils demandent le chef: je me nomme; ils se rendent.
Je vous les envoyai tous deux en même temps,
Et le combat cessa faute de combattants.

La Sainte-Alliance des Peuples.

J'AI vu la Paix descendre sur la terre,
Semant de l'or, des fleurs et des épis.
L'air était calme, et du dieu de la guerre
Elle étouffait les foudres assoupis.

"Ah!" disait-elle, "égaux par la vaillance,
Français, Anglais, Belge, Russe ou Germain,
Peuples, formez une sainte alliance,

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Et donnez-vous la main.

Pauvres mortels, tant de haine vous lasse!
Vous ne goûtez qu'un pénible sommeil,

D'un globe étroit divisez mieux l'espace;
Chacun de vous aura place au soleil,
Tous attelés au char de la puissance,
Du vrai bonheur vous quittez le chemin.
Peuples, formez une sainte alliance,
Et donnez-vous la main.

"Chez vos voisins vous portez l'incendie :
L'aquilon souffle, et vos toits sont brûlés;
Et quand la terre est enfin refroidie,
Le soc languit sous des bras mutilés.
Près de la borne où chaque état commence,
Aucun épi n'est pur de sang humain.
Peuples, formez une sainte alliance,
Et donnez-vous la main.

"Des potentats, dans vos cités en flammes,
Osent du bout de leur sceptre insolent
Marquer, compter et recompter les âmes,
Que leur adjuge un triomphe sanglant.
Faibles troupeaux, vous passez sans défense
D'un joug pesant sous un joug inhumain.
Peuples, formez une sainte alliance,
Et donnez-vous la main.

"Que Mars en vain n'arrête point sa course.
Fondez les lois dans vos pays souffrants;
De votre sang ne livrez plus la source
Aux rois ingrats, aux vastes conquérants.
Des astres faux conjurez l'influence;
Effroi d'un jour, ils pâliront demain.
Peuples, formez une sainte alliance,
Et donnez-vous la main.

"Oui, libre enfin, que le monde respire; Sur le passé jetez un voile épais.

Semez vos champs aux accords de la lyre;
L'encens des arts doit brûler pour la paix;
L'espoir riant, au sein de l'abondance,
Accueillera les doux fruits de l'hymen.
Peuples, formez une sainte alliance,
Et donnez-vous la main."

Ainsi parlait cette vierge adorée, é
Et plus d'un roi répétait ses discours. 7
Comme au printemps la terre était parée ;*,
L'automne en fleurs rappelait les amours.
Pour l'étranger, coulez, bons vins de France;
De sa frontière il reprend le chemin.
Peuples, formons une sainte alliance,
Et donnons-nous la main.

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Famine de Paris.

MAIS lorsqu'enfin les eaux de la Seine captive
Cessèrent d'apporter dans ce vaste séjour
L'ordinaire tribut des moissons d'alentour;
Quand on vit dans Paris la Faim pâle et cruelle,
'Montrant déjà la Mort qui marchait après elle,
Alors on entendit des hurlements affreux :

Ce superbe Paris fut plein de malheureux
De qui la main tremblante et la voix affaiblie
Demandaient vainement le soutien de leur vie,
Bientôt le riché même, après de vains efforts,
Eprouva la famine au milieu des trésors.

Ce n'étaient plus ces jeux, ces festins et ces fêtes
Où de myrte et de rose ils couronnaient leurs têtes,
Où, parmi les plaisirs toujours trop peu goutés,
Les vins les plus parfaits, les mets les plus vantés,
Sous des lambris dorés qu'habite la mollesse,

De leur goût dédaigneux irritaient la paresse.
On vit avec effroi tous ces voluptueux,
Pâles, défigurés, et la mort dans les yeux,
Périssant de misère au sein de l'opulence,
Détester de leurs biens l'inutile abondance.
Le vieillard, dont la faim va terminer les jours,
Voit son fils au berceau qui périt sans secours.
Ici meurt dans la rage une famille entière.
Plus loin des malheureux, couchés sur la poussière,
Se disputaient encore, à leurs derniers moments,
Les restes odieux des plus vils aliments.

Ces spectres affamés outrageant la nature,

Vont au sein des tombeaux chercher leur nourriture.
Des morts épouvantés les ossements poudreux,
Ainsi qu'un pur froment, sont préparés par eux.
Que n'osent point tenter les extrêmes misères !
On les voit se nourrir des cendres de leurs pères.
Ce détestable mets avança leur trépas,

Et ce repas pour eux fut le dernier repas.
Trop heureux, en effet, d'abandonner la vie !

D'un ramas d'étrangers la ville était remplie ;
Tigres que nos aïeux nourrissaient dans leur sein,
Plus cruels que la mort, et la guerre et la faim.
Les uns étaient venus des campagnes belgiques;
Les autres, des rochers et des monts helvétiques;
Barbares dont la guerre est l'unique métier,
Et qui vendent leur sang à qui veut le payer.
De ces nouveaux tyrans les avides cohortes
Assiégent les maisons, en enfoncent les portes,
Aux hôtes effrayés présentent mille morts,
Non pour leur arracher d'inutiles trésors;
Non pour aller ravir . .

...

Une fille éplorée à sa tremblante mère :
De la cruelle faim le besoin consumant

Fait expirer en eux tout autre sentiment,

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Et d'un peu d'aliment la découverte heureuse
Etait l'unique but de leur recherche affreuse.
Il n'est point de tourment, de supplice et d'horreur,
Que, pour en découvrir, n'inventât leur fureur.

Une femme (grand Dieu! faut-il à la mémoire
Conserver le récit de cette horrible histoire ?)
Une femme avait vu par ces cœurs inhumains
Un reste d'aliment arraché de ses mains.
Des biens que lui ravit la fortune cruelle,

Un enfant lui restait, près de périr comme elle:

Furieuse elle approche, avec un coutelas;

De ce fils innocent qui lui tendait les bras;
Son enfance, sa voix, sa misère et ses charmes,
A sa mère en fureur arrachent mille larmes ;
Elle tourne sur lui son visage effrayé,
Plein d'amour, de regret, de ragé, de pitié;
Trois fois le fer échappé à sa main défaillante;
La rage voix tremblante,
enfin l'emporte, et, d'une
"Cher et malheureux fils,"

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Dit-elle, "c'est en vain que tu reçus la vie;
Les tyrans ou la faim l'auraient bientôt ravie.
Et pourquoi vivrais-tu ? pour aller dans Paris,
Errant et malheureux, pleurer sur ses débris?
'Meurs avant de sentir mes maux et ta misère;
Rends-moi le jour, le sang que t'a donné ta mère:
Que mon sein malheureux te serve de tombeau,

Et

que Paris du moins voie un crime nouveau !" En achevant ces mots, furieuse, égarée, Dans les flancs de son fils sa main désespérée Enfonce, en frémissant, le parricide acier ; Porte le corps sanglant auprès de son foyer, Et d'un bras que poussait sa faim impitoyable, Prépare avidement ce repas effroyable.

Attirés par la faim, les farouches soldats

Dans ces coupables lieux reviennent sur leurs pas:

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