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Et, ne trompant jamais, n'était jamais trompé :
2 On ne connaissait point la ruse et l'imposture ;
Le Normand même alors ignorait le parjure:
Aucun rhéteur encore, arrangeant les discours,
N'avait d'un art menteur, enseigné les détours.
Mais sitôt qu'aux humains, faciles à séduire,
L'abondance eut donné le loisir de se nuire,
La mollesse amena la fausse vanité.
/?Chacun chercha pour plaire un visage emprunté :
Pour éblouir les yeux, la fortune arrogante
Affecta d'étaler une pompe insolente;
L'or éclata partout sur les riches habits;
On-polit l'émeraude, on tailla le rubis;

Et la laine et la soie en cent façons nouvelles,"
Apprirent à quitter leurs couleurs naturelles....
L'ardeur de s'enrichir chassa la bonne foi:

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Le courtisan n'eut plus de sentiments à soi.
Tout ne fut plus que fard, qu'erreur, que tromperie;
On vit partout régner la basse flatterie.

Le Misanthrope.

Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode
Qu'affectent la plupart de nos gens à la mode;
Et je ne hais rien tant que les contorsions
De tous ces grands faiseurs de protestations,
Ces affables donneurs d'embrassades frivoles,
Ces obligeants diseurs d'inutiles paroles,
Qui de civilités avec tous font combat,

Et traitent du même air l'honnêté homme et le fat.
Quel avantage-a-t-on qu'un homme vous caresse,
2.
Vous jure amitié, foi, zèle, estime, tendresse,

Et vous fasse de vous un éloge éclatant,
Lorsqu'au premier faquin il court en faire autant?

Non, non, il n'est point d'âme un peu bien située,
Qui veuille d'une estime ainsi prostituée ;

Et la plus glorieuse a des régals peu chers,
Dès qu'on voit qu'on nous mêle avec tout l'univers.
Sur quelque préférence une estime se fonde;
Et c'est n'estimer rien, qu'estimer tout le monde.
Puisque vous y donnez, dans ces vices du temps,
Morbleu! vous n'êtes pas pour être de mes gens.
Je refuse d'un cœur la vaste complaisance

Qui ne fait de mérite aucune différence :

Je veux qu'on me distingue, et pour le trancher net,
L'ami du genre humain n'est pas du tout mon fait....
Non, vous dis-je, on devrait châtier sans pitié
Ce commerce honteux de semblant d'amitié.

Je veux que l'on soit homme, et qu'en toute rencontre
Le fond de notre cœur dans nos discours se montre;
Que ce soit lui qui parle, et que nos sentiments
Ne se masquent jamais sous de vains compliments.
Mes yeux sont trop blessés; et la cour et la ville
Ne m'offrent rien qu'objets à m'échauffer la bile.
J'entre en une humeur noire, en un chagrin profond,
Quand je vois vivre entre eux les hommes comme ils font.
Je ne trouve partout que lâche flatterie,
Qu'injustice, intérêt, trahison, fourberie;

Je n'y puis plus tenir, j'enrage, et mon dessein
Est de rompre en visière à tout le genre humain....

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Ma haine est générale, et je hais tous les hommes:
Les uns, parce qu'ils sont méchants et malfaisants;
Et les autres, pour être aux méchants complaisants,
Et n'avoir pas pour eux ces haines vigoureuses
Que doit donner le vice aux âmes vertueuses....
Têtebleu! ce me sont de mortelles blessures
De voir qu'avec le vice on garde des mesures;
Et parfois il me prend des mouvements soudains
De fuir dans un désert l'approche des humains.

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Mon Dieu ! des mœurs du temps mettons-nous moins en peine,
Et faisons un peu grâce à la nature humaine;
Ne l'examinons point dans la grande rigueur,
Et voyons ses défauts avec quelque douceur.
Il faut parmi le monde une vertu traitable;
A force de sagesse, on peut être blâmable.
La parfaite raison fuit toute extrémité,
Et veut que l'on soit sage avec sobriété.
Cette grande roideur des vertus des vieux âges
Heurte trop notre siècle et les communs usages;
Elle veut aux mortels trop de perfection:
Il faut fléchir au temps sans obstination,
Et c'est une folie à nulle autre seconde,
De vouloir se mêler de corriger le monde,
J'observe, comme vous, cent choses tous les jours
Qui pourraient mieux aller prenant un autre cours;
Mais quoi qu'à chaque pas je puisse voir paraître,
En courroux, comme vous, on ne me voit point être ;
Je prends tout doucement les hommes comme ils sont,
J'accoutume mon âme à souffrir ce qu'ils font ;
Et je crois qu'à la cour, de même qu'à la ville,
Mon flegme est philosophe autant que votre bile. . . .
Oui, je vois ces défauts dont vôtre âme murmure,
Commé vices unis à l'humaine nature;

Et mon esprit enfin n'est pas plus offensé
De voir un homme fourbe, injuste, intéressé,
Que de voir des vautours affamés de carnage,
Des singes malfaisants, et des loups pleins de rage.

De Certains Savants.

QUE font-ils pour l'état vos habiles héros?
Qu'est-ce que leurs écrits lui rendent de service,
Pour accuser la cour d'une horrible injustice,

Et se plaindre en tous lieux que sur leurs doctes noms
Elle manque à verser la faveur de ses dons?
Leur savoir à la France est beaucoup nécessaire !
Et des livres qu'ils font la cour a bien affaire!
Il semble à trois gredins, dans leur petit cerveau,
Que pour être imprimés et reliés en veau,
Les voilà dans l'état d'importantes personnes ;
Qu'avec leur plume, ils font les destins des couronnes;
Qu'au moindre petit bruit de leurs productions,
Ils doivent voir chez eux voler les pensions;
Que sur eux l'univers a la vue attachée ;
Que partout de leur nom la gloire est épanchée,
Et qu'en science ils sont des prodiges fameux,
Pour savoir ce qu'ont dit les autres avant eux;
Pour avoir eu trente ans des yeux et des oreilles ;
Pour avoir employé neuf ou dix mille veilles
A se bien barbouiller de grec et de latin,
Et se charger l'esprit d'un ténébreux butin

De tous les vieux fatras qui traînent dans les livres ;
Gens qui de leur savoir paraissent toujours ivres;
Riches, pour tout mérite, en babil importun,
Inhabiles à tout, vides de sens commun,
Et pleins d'un ridicule et d'une impertinence,
A décrier partout l'esprit et la science.

Combat de Rodrigue contre les Maures.

CETTE obscure clarté qui tombe des étoiles
Enfin avec le flux nous fait voir trente voiles.

L'onde s'enflait dessous, et, d'un commun effort,
Les Maures et la mer entrèrent dans le port.
On les laisse passer; tout leur paraît tranquille;
Point de soldats au port, point aux murs de la ville.
Notre profond silence abusant leurs esprits,

Ils n'osent plus douter de nous avoir surpris:
Ils abordent sans peur; ils ancrent, ils descendent,
Et courent se livrer aux mains qui les attendent.
Nous nous levons alors, et tous en même temps
Poussons jusques au ciel mille cris éclatants;
Les nôtres au signal de nos vaisseaux répondent;
Ils paraissent armés; les Maures se confondent;
L'épouvante les prend à demi descendus ;
Avant que de combattre, ils s'estiment perdus.
Ils couraient au pillage, et rencontrent la guerre.
Nous les pressons sur l'eau, nous les pressons sur terre;
Et nous faisons courir des ruisseaux de leur sang,

Avant qu'aucun résiste ou reprenne son rang.

Mais bientôt, malgré nous, leurs princes les rallient;
Leur courage renaît, et leurs terreurs s'oublient;
La honte de mourir sans avoir combattu

Arrête leur désordre, et leur rend leur vertu.
Contre nous de pied ferme ils tirent leurs épées;
Des plus braves soldats les trames sont coupées,
Et la terre et le fleuve, et leur flotte et le port,
Sont des champs de carnage où triomphe la Mort.
O combien d'actions, combien d'exploits célèbres
Sont demeurés sans gloire au milieu des ténèbres,
Où chacun, seul témoin des grands coups qu'il donnait,
Ne pouvait discerner où le sort inclinait !

J'allais de tous côtés encourager les nôtres,

Faire avancer les uns, et soutenir les autres;
Ranger ceux qui venaient, les pousser à leur tour,
Et n'en pus rien savoir jusques au point du jour.

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