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Le Coche et la Mouche.

DANS un chemin montant, sablonneux, malaisé,
Et de tous les côtés au soleil exposé,

Six forts chevaux tiraient un coche.

Femmes, moine, vieillards, tout était descendu.
L'attelage suait, soufflait, était rendu.

Une mouche survient, et des chevaux s'approche,
Prétend les animer par son bourdonnement,
Pique l'un, pique l'autre, et pense à tout moment
Qu'elle fait aller la machine,

S'assied sur le timon, sur le nez du cocher.
Aussitôt que le char chemine

Et qu'elle voit les gens marcher,

Elle s'en attribue uniquement la gloire,
Va, vient, fait l'empressée: il semble que ce soit
Un sergent de bataille, allant en chaque endroit
Faire avancer ses gens, et hâter la victoire.

La mouche, en ce commun besoin,

Se plaint qu'elle agit seule, et qu'elle a tout le soin, Qu'aucun n'aide aux chevaux à se tirer d'affaire.

Le moine disait son bréviaire :

Il prenait bien son temps! Une femme chantait:
C'était bien de chansons qu'alors il s'agissait!
Dame mouche s'en va chanter à leurs oreilles,
Et fait cent sottises pareilles.

Après bien du travail, le coche arrive au haut.
"Respirons maintenant," dit la mouche aussitôt :
"J'ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine.
Cà, messieurs les chevaux, payez-moi de ma peine."
Ainsi certaines gens, faisant les empressés,
S'introduisent dans les affaires :

Ils font partout les nécessaires,

Et, partout importuns, devraient être chassés.

Le Rat retiré du Monde.

LES Levantins en leur légende

Disent qu'un certain rat, las des soins d'ici-bas,
Dans un fromage de Hollande
Se retira loin du tracas.

La solitude était profonde,

S'étendant partout à la ronde.

Notre ermite nouveau subsistait là dedans
Il fit tant des pieds et des dents,

Qu'en peu de jours il eut au fond de l'ermitage
Le vivre et le couvert : que faut-il davantage?
Il devint gros et gras: Dieu prodigue ses biens
A ceux qui font vœu d'être siens.

Un jour, au dévot personnage
Des députés du peuple rat

S'en vinrent demander quelque aumône légère:
Ils allaient en terre étrangère

Chercher quelque secours contre le peuple chat;
Ratopolis était bloquée:

On les avait contraints de partir sans argent,
Attendu l'état indigent

De la république attaquée.

Ils demandaient fort peu, certains que le secours Serait prêt dans quatre ou cinq jours.

"Mes amis," dit le solitaire,

"Les choses d'ici-bas ne me regardent plus: En quoi peut un pauvre reclus

Vous assister? que peut-il faire,

Que de prier le Ciel qu'il vous aide en ceci?
J'espère qu'il aura de vous quelque souci."
Ayant parlé de cette sorte,

Le nouveau saint ferma sa porte.

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Qui désigné-je, à votre avis,
Par ce rat si peu secourable?

Un moine? Non, mais un dervis :
Je suppose qu'un moine est toujours charitable.

L'Aveugle et le Paralytique.

AIDONS-NOUS mutuellement;

La charge des malheurs en sera plus légère;
Le bien que l'on fait à son frère

Pour le mal que l'on souffre est un soulagement.
Confucius l'a dit : suivons tous sa doctrine.
Pour la persuader aux peuples de la Chine,
Il leur contait le trait suivant:

Dans une ville de l'Asie

Il existait deux malheureux,

L'un perclus, l'autre aveugle, et pauvres tous les deux :
Ils demandaient au Ciel de terminer leur vie ;
Mais leurs cris étaient superflus,

Ils ne pouvaient mourir. Notre paralytique,
Couché sur un grabat dans la place publique,
Souffrait sans être plaint; il en souffrait bien plus.
L'aveugle, à qui tout pouvait nuire,

Etait sans guide, sans soutien,
Sans avoir même un pauvre chien
Pour l'aimer et pour le conduire.
Un certain jour il arriva

Que l'aveugle, à tâtons, au détour d'une rue,
Près du malade se trouva;

Il entendit ses cris, son âme en fut émue.
Il n'est tels que les malheureux

Pour se plaindre les uns les autres.

"J'ai mes maux," lui dit-il, "et vous avez les vôtres : Unissons-les, mon frère, ils seront moins affreux.

"Hélas!" dit le perclus, "vous ignorez, mon frère, Que je ne puis faire un seul pas;

Vous même vous n'y voyez pas :

A quoi nous servirait d'unir notre misère?" "A quoi?" répond l'aveugle, " écoutez: à nous deux Nous possédons le bien à chacun nécessaire:

J'ai des jambes et vous des yeux;

Moi, je vais vous porter; vous, vous serez mon guide;
Vos yeux dirigeront mes pas mal assurés;

Mes jambes, à leur tour, iront où vous voudrez.
Ainsi, sans que jamais notre amitié décide

Qui de nous deux remplit le plus utile emploi,
Je marcherai pour vous, vous y verrez pour moi."

L'Amour mouillé.

J'ÉTAIS couché mollement,
Et, contre mon ordinaire,
Je dormais tranquillement,
Quand un enfant s'en vint faire
A ma porte quelque bruit.
Il pleuvait fort cette nuit :
Le vent, le froid et l'orage,
Contre l'enfant faisaient rage.
"Ouvrez,” dit-il, "je suis nu.'
Moi, charitable et bon homme,
J'ouvre au pauvre morfondu,
Et m'enquiers comme il se nomme.
"Je te le dirai tantôt,"

Repartit-il; "car il faut

Qu'auparavant je m'essuie.
J'allume aussitôt du feu.
Il regarde si la pluie

N'a point gâté quelque peu
Un arc dont je me méfie.
Je m'approche toutefois,

Et de l'enfant prends les doigts,
Les réchauffe; et dans moi-même
Je dis, Pourquoi craindre tant?
Que peut-il? c'est un enfant;
Ma couardise est extrême
D'avoir eu le moindre effroi.
Que serait-ce si chez moi
J'avais reçu Polyphème?
L'enfant, d'un air enjoué,
Ayant un peu secoué
Les pièces de son armure
Et sa blonde chevelure,

Prend un trait, un trait vainqueur
Qu'il me lance au fond du cœur.
"Voilà," dit-il, "pour ta peine.
Souviens-toi bien de Climène,

Et de l'Amour; c'est mon nom.
"Ah! je vous connais," lui dis-je,

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MAIS de Diane au ciel l'astre vient de paraître. Qu'il luit paisiblement sur ce séjour champêtre !

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