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"O coteaux d'Erymanthe! ô vallons! ô bocage!
O vent sonore et frais qui troublais le feuillage
Et faisais frémir l'onde, et sur leur jeune sein
Agitais les replis de leur robe de lin!

De légères beautés troupe agile et dansante.....

Tu sais, tu sais, ma mère ? Aux bords de l'Erymanthe, Là, ni loups ravisseurs, ni serpents, ni poisons....

O visage divin! ô fêtes! ô chansons!

Des pas entrelacés, des fleurs,

une onde pure,

Aucun lieu n'est si beau dans toute la nature.

Dieux! ces bras et ces fleurs, ces cheveux, ces pieds nus

Si blancs, si délicats! je ne les verrai plus!

Oh! portez, portez-moi sur les bords d'Erymanthe,
Que je la voie encor, cette vierge charmante !
Oh! que je voie au loin la fumée à longs flots
S'élever de ce toit au bord de cet enclos....
Assise à tes côtés, ses discours, sa tendresse,
Sa voix, trop heureux père ! enchante ta vieillesse.
Dieux! par-dessus la haie élevée en remparts,
Je la vois, à pas lents, en longs cheveux épars,
Seule, sur un tombeau, pensive, inanimée,
S'arrêter et pleurer sa mère bien-aimée.

Oh! que tes yeux sont doux! que ton visage est beau!
Viendras-tu point aussi pleurer sur mon tombeau ?
Viendras-tu point aussi, la plus belle des belles,
Dire sur mon tombeau : Les Parques sont cruelles ?"

"Ah! mon fils, c'est l'amour! c'est l'amour insensé

Qui t'a jusqu'à ce point cruellement blessé !

Ah! mon malheureux fils! Oui, faibles que nous sommes,
C'est toujours cet amour qui tourmente les hommes.
S'ils pleurent en secret, qui lira dans leur cœur
Verra que cet amour est toujours leur vainqueur.
Mais, mon fils, mais dis-moi, quelle nymphe charmante,
Quelle vierge as-tu vue au bord de l'Erymanthe?

N'es-tu pas riche et beau, du moins quand la douleur
N'avait point de ta joue éteint la jeune fleur?
Parle. Est-ce cette Eglé, fille du roi des ondes,
Ou cette jeune Irène aux longues tresses blondes?
Qu ne serait-ce point cette fière beauté

Dont j'entends le beau nom chaque jour répété,

Dont j'apprends que partout les belles sont jalouses,
Qu'aux temples, aux festins, les mères, les épouses,
Ne sauraient voir, dit-on, sans peine et sans effroi,
Cette belle Daphné?...”—“Oh! ma mère, tais-toi,
Tais-toi, Oh! qu'as-tu dit? elle est fière, inflexible;
Comme les immortels, elle est belle et terrible!

> Mille amants l'ont aimée; ils l'ont aimée en vain.
Comme eux j'aurais trouvé quelque refus hautain.
Non, garde que jamais elle soit informée....
Mais, ô mort! ô tourment! ô mère bien-aimée !
Tu vois dans quels ennuis dépérissent mes jours.
Ecoute ma prière et viens à mon secours :

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Je meurs; va la trouver: que tes traits, que ton âge,
De sa mère, à ses yeux, offrent la saintė image.

Tiens, prends cette corbeille et nos fruits les plus beaux;
Prends notre Amour d'ivoire, honneur de ces hameaux;

Prends la coupe d'onyx à Corinthe ravie;

Prends mes jeunes chevreaux, prends mon cœur, prends ma vie; Jette tout à ses pieds; apprends-lui qui je suis;

Dis-lui que je me meurs, que tu n'as plus de fils;

Tombe aux pieds du vieillard, gémis, implore, presse;

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Adjure cieux et mers, dieu, temple, autel, déesse;

Pars; et si tu reviens sans les avoir fléchis,
Adieu, ma mère, adieu, tu n'auras plus de fils.”

"J'aurai toujours un fils: va, la belle espérance
Me dit..."- Elle s'incline, et, dans un doux silence,
Elle couvre ce front, terni par les douleurs,
De baisers maternels entremêlés de pleurs

Puis elle sort en hâte, inquiète et tremblante,
Sa démarche de crainte et d'âge chancelante.
Elle arrive; et bientôt revenant sur ses pas,
Haletante, de loin:-"Mon cher fils, tu vivras,
Tu vivras !" - Elle vient s'asseoir près de la couche :
Le vieillard la suivait, le sourire à la bouche.
La jeune belle aussi, rouge et le front baissé,
Vient, jette sur le lit un coup d'œil. L'insensé
Tremble; sous ses tapis il veut cacher sa tête.

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"Ami, depuis trois jours tu n'es d'aucune fête,"
Dit-elle; "que fais-tu ? pourquoi veux-tu mourir?
Tu souffres. L'on me dit que je peux te guérir;
Vis, et formons ensemble une seule famille:
Que mon père ait un fils, et ta mère une fille.".

Les Alpes, le Jura; Beautés de la Nature.

TROP vaine ambition! ah! peut-être comme eux
J'admire la nature en ses sublimes jeux :
Mais, si je veux jouir de ses grandes images,
Je m'écarte, je cours au fond des lieux sauvages.
Alpes, et vous, Jura, je reviens vous chercher !
Sapins du Mont-Envers, puissiez-vous me cacher!
Dans cet antre azuré que la glace environne,
Qu'entends-je? l'Aveyron bondit, tombe et bouillonne,
Rejaillit, et retombe, et menace à jamais

Ceux qui tentent l'abord de ces âpres sommets.

Plus haut, l'aigle a son nid, l'éclair luit, les vents grondent; Les tonnerres lointains sourdement se répondent.

L'orgueil de ces grands monts, leurs immenses contours,

Cent siècles qu'ils ont vus passer comme des jours,
De l'homme humilié terrassent l'impuissance :
C'est là qu'il rêve, adore, ou frémit en silence
Et lorsqu'abandonnant ces informes beautés,
Qui repoussent bientôt les yeux épouvantés,

J'entrevis ces vallons, ces beaux lieux où respire
Un charme que Saint-Preux n'a pu même décrire,
Quand de l'heureux Léman je découvris les flots,
Oui, je crus qu'échappé des débris du chaos,
L'univers, tout à coup naissant à la lumière,
M'étalait sa jeunesse et sa beauté première.

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La Fable et l'Allégorie.

Là, pour nous enchanter, tout est mis en usage,
Tout prend un corps, une âme, un esprit, un visage;
Chaque vertu devient une divinité :

Minerve est la pudeur, et Vénus la beauté.

Ce n'est plus la vapeur qui produit le tonnerre,
C'est Jupiter armé pour effrayer la terre ;

Un orage terrible aux yeux des matélots,

sailors.

C'est Neptune en courroux qui gourmande les flots.
Echo n'est plus un son qui dans l'air retentisse,
C'est une nymphe en pleurs qui se plaint de Narcisse.
Ainsi, dans un amas de nobles fictions,

Le poëte s'égaie en mille inventions,

Orne, élève, embellit, agrandit toutes choses,
Et trouve sous sa main des fleurs toujours écloses.
Qu'Enée et ses vaisseaux, par le vent écartés,
Soient aux bords africains d'un orage emportés,
Ce n'est qu'une aventure ordinaire et commune,
Qu'un coup peu surprenant des traits de la fortune;
Mais que Junon, constante en son aversion,

Poursuive sur les flots les restes d'Ilion;

Qu'Eole, en sa fureur les chassant d'Italie,
Ouvre aux vents mutinés les prisons d'Eolie;
Que Neptune en courroux, s'élevant sur la mer,
D'un mot calme les flots, mette la paix dans l'air,
Délivre les vaisseaux, des Syrtes les arrache:

C'est là ce qui surprend, frappe, saisit, attache.

Sans tous ces ornements le vers tombe en langueur,
La poésie est morte, ou rampe sans vigueur;
Le poëte n'est plus qu'un orateur timide,
Qu'un froid historien d'une fable insipide

Ce n'est pas que j'approuve, en un sujet chrétien,
Un auteur follement idolâtre et païen :
Mais, dans une profane et riante peinture,
De n'oser de la fable emprunter la figure;
De chasser les Tritons de l'empire des eaux;
D'ôter à Pan sa flûte, aux Parques leurs ciseaux :
D'empêcher que Caron, dans la fatale barque,
Ainsi que le berger, ne passe le monarque,
C'est d'un scrupule vain s'alarmer sottement,
Et vouloir aux lecteurs plaire sans agrément.
Bientôt ils défendront de peindre la Prudence,
De donner à Thémis ni bandeau, ni balance;
De figurer aux yeux la Guerre au front d'airain,
Ou le Temps qui s'enfuit une horloge à la main;
Et partout des discours, comme une idolâtrie,
Dans leur faux zèle iront chasser l'Allégorie.

Louis XIV et son siècle.

CIEL! quel pompeux amas d'esclaves à genoux
Est aux pieds de ce roi qui les fait trembler tous !
Quels honneurs ! quels respects! Jamais monarque en
N'accoutuma son peuple à tant d'obéissance.
Je le vois comme vous par la gloire animé,
Mieux obéi, plus craint, peut-être moins aimé :
Je le vois, éprouvant des fortunes diverses,
Trop fier en ses succès, mais ferme en ses traverses;
De vingt peuples ligués bravant seul tout l'effort;
Admirable en sa vie, et plus grand dans sa mort.

France

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