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Ta nature est pourtant la même;
Dans le cœur dont elle a fait don
Ce n'est plus la femme qu'on aime,
Et l'amour a perdu son nom.

Mais comme en une pure glace
Le rayon se colore mieux,
Le sentiment qui le remplace
Est plus visible en deux beaux yeux.

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La Fable.

OTEZ Pan et sa flûte, adieu les pâturages;
Otez Pomone et Flore, adieu les jardinages;
Des roses et des lis le plus superbe éclat,

Sans la fable, en nos vers, n'aura rien que de plat.
Qu'on y peigne en savant une plante nourrie
Des impures vapeurs d'une terre pourrie,
Le portrait plaira-t-il, s'il n'a pour agrément
Les larmes d'unè amante ou le sang d'un amant ?
Qu'aura de beau la guerre, à moins qu'on n'y crayonne
Ici le char de Mars, là celui de Bellone;

Que la Victoire vole, et que les grands exploits

Soient portés en tous lieux par la nymphe à cent voix?
Qu'ont la terre et la mer, si l'on n'ose décrire
Ce qu'il faut de tritons à pousser un navire,
Cet empire qu'Eole a sur les tourbillons,
Bacchus sur les coteaux, Cérès sur les sillons ?
Tous ces vieux ornements, traitez-les d'antiquailles;
Moi, si je peins jamais Saint-Germain et Versailles,
Les nymphes, malgré vous, danseront tout autour;
Cent demi-dieux follets leur parleront d'amour
Du satyre caché les brusques échappées
Dans les bras des sylvains feront fuir les napées;
Et si je fais baller pour l'un de ces beaux lieux,
J'y ferai malgré vous trépigner tous les dieux.

Iambes d'André Chénier.

QUAND au mouton bêlant la sombre boucherie
Ouvre ses cavernes de mort,

Pauvres chiens et moutons, toute la bergerie
Ne s'informe plus de son sort.

Les enfants qui suivaient ses ébats dans la plaine,
Les vierges aux belles couleurs

Qui le baisaient en foule, et sur sa blanche laine
Entrelaçaient rubans et fleurs,

Sans plus penser à lui, le mangent s'il est tendre.
Dans cet abîme enseveli

J'ai le même destin. Je m'y devaiș attendre.
Accoutumons-nous à l'oubli.

Oubliés comme moi dans cet affreux repaire,
Millé autres moutons, comme moi

Pendus aux crocs sanglants du charnier populaire,
Seront servis au peuple-roi.

Que pouvaient mes amis? Oui, de leur main chérie
Un mot, à travers ces barreaux,

A versé quelque baume en mon âme flétrie ;
De l'or peut-être à mes bourreaux,

Mais tout est précipice. Ils ont eu droit de vivre.
Vivez, amis; vivez contents.

En dépit de Bavus, soyez lents à me suivre ;
Peut-être en de plus heureux temps

J'ai moi-même, à l'aspect des pleurs de l'infortune,
Détourné mes regards distraits;

A mon tour aujourd'hui mon malheur importune.
Vivez, amis; vivez en paix.

Vers composés par André Chénier peu d'instants avant d'aller au supplice.

COMME un dernier rayon, commé un dernier zéphyre
Anime la fin d'un beau jour,

Au pied de l'échafaud j'essaie encor ma lyre.
Peut-être est-ce bientôt mon tour;

Peut-être avant que l'heure en cercle promenée
Ait posé sur l'émail brillant,

Dans les soixante pas où sa route est bornée,
Son pied sonoré et vigilant,

Le sommeil du tombeau pressera ma paupière !
Avant que de ses deux moitiés

Ce vers que je commence ait atteint la dernière,
Peut-être en ces murs effrayés

Le messager de mort, noir recruteur des ombres,
Escorté d'infâmes soldats,

Remplira de mon nom ces longs corridors sombres.

Le Jeune Malade.

-“ APOLLON, dieu sauveur, dieu des savants mystères, Dieu de la vie, et dieu des plantes salutaires, Dieu vainqueur de Python, dieu jeune et triomphant, Prends pitié de mon fils, de mon unique enfant! Prends pitié de sa mère aux larmes condamnée, Qui ne vit que pour lui, qui meurt abandonnée, Qui n'a pas dû rester pour voir mourir son fils; Dieu jeune, viens aider sa jeunesse. Assoupis, Assoupis dans son sein cette fièvre brûlante Qui dévore la fleur de sa vie innocente. Apollon, si jamais échappé du tombeau, Il retourne au Ménale avoir soin du troupeau, Ces mains, ces vieilles mains orneront ta statue De ma coupe d'onyx à tes pieds suspendue; Et, chaque été nouveau, d'un taureau mugissant La hache à ton autel fera couler le sang.

"Eh bien! mon fils, es-tu toujours impitoyable? Ton funeste silence est-il inexorable?

Mon fils, tu veux mourir? Tu veux, dans ses vieux ans, Laisser ta mère seule avec ses cheveux blancs?

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Tu veux que ce soit moi qui fermë ta paupière ?
Que j'unisse ta cendre à celle de ton père?
C'est toi qui me devais ces soins religieux,
Et ma tombe attendait tes pleurs et tes adieux.
Parle, parle, mon fils, quel chagrin te consume?
Les maux qu'on dissimule en ont plus d'amertune
Ne lèveras-tu point ces yeux appesantis ?"

-“Ma mère, adieu; je meurs, et tu n'as plus de fils.
Non, tu n'as plus de fils, ma mère bien-aimée.
Je te perds. Une plaie ardente, envenimée,
Me ronge; avec effort je respire; et je crois
Chaque fois respirer pour la dernière fois.
Je ne parlerai pas. Adieu; ce lit me blesse,
Ce tapis qui me couvre accable ma faiblesse
Tout me pèse et me lasse. Aide-moi, je me meurs.
Tourne-moi sur le flanc. Ah! j'expire! ô douleurs !"

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"Tiens, mon unique enfant, mon fils, prends ce breuvage; Sa chaleur te rendra ta force et ton courage. La mauve, le dictame, ont avec les pavots, Mêlé leurs sucs puissants qui donnent le repos : Sur le vase bouillant, attendrie à mes larmes, Une Thessalienne a composé des charmes. Ton corps débile a vu trois retours du soleil Sans connaître Cérès, ni tes yeux le sommeil. Prends, mon fils, laisse-toi fléchir à ma prière; C'est ta mère, ta vieille inconsolable mère Qui pleure; qui jadis te guidait pas à pas, T'asseyait sur son sein, te portait dans ses bras; Que tu disais aimer, qui t'apprit à le dire; Qui chantait, et souvent te forçait à sourire Lorsque tes jeunes dents, par de vives douleurs, De tes yeux enfantins faisaient couler des pleurs.

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