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Galilée indigné change l'ordre des cieux;
Sans pitié, loin du centre il rejette la terre,
Du soleil par sa marche il la rend tributaire....
N'a-t-il pas expié, par trois ans de prison,
L'inexcusable tort d'avoir trop tôt raison?
Répondez: que servit aux maîtres de la lyre
De suivre les écarts d'un immortel délire?
Faut-il d'un seul exemple attrister vos regards?
Le siècle de Louis, le siècle des beaux-arts,
N'accorda qu'à regret, vaincu par la prière,
Du pain au grand Corneille, une tombe à Molière.
Nourrissez donc le feu de vos nobles désirs;
Immolez à l'étude, état, repos, plaisirs ;

Veillez, jeunes auteurs, pour qu'un jour d'injustice
De dix ans de travail renverse l'édifice.

Je veux qu'un beau succès couronne votre orgueil;
Un peuple d'ennemis vous suit jusqu'au cercueil.
Triste sort des talents! La noire calomnie
Flétrit de ses poisons le laurier du génie ;
Mille insects impurs en rongent les rameaux,
Et comme le cyprès, c'est l'arbre des tombeaux.

Phébus et Borée.

BOREE et le Soleil virent un voyageur

Qui s'était muni par bonheur

Contre le mauvais temps. On entrait dans l'automne,
Quand la précaution aux voyageurs est bonne :
Il pleut; le soleil luit; et l'écharpe d'Iris

Rend ceux qui sortent avertis

Qu'en ces mois le manteau leur est fort nécessaire:
Les Latins les nommaient douteux, pour cette affaire.
Notre homme s'était donc à la pluie attendu :
Bon manteau bien doublé, bonne étoffe bien forte.

pourvu

"Celui-ci," dit le Vent, "prétend avoir
A tous les accidents; mais il n'a pas prévu

Que je saurai souffler de sorte,

Qu'il n'est bouton qui tienne: il faudra, si je veux,
Que le manteau s'en aille au diable.

L'ébattement pourrait nous en être agréable:

Vous plaît-il de l'avoir ?"—"Eh bien! gageons nous deux,"
Dit Phébus," sans tant de paroles,

A qui plus tôt aura dégarni les épaules
Du cavalier que nous voyons.

Commencez je vous laisse obscurcir mes rayons ;"
Il n'en fallut pas plus. Notre souffleur à gage
gorge de vapeurs, s'enfle comme un ballon,
Fait un vacarme de démon,

Se

Siffle, souffle, tempête, et brise en son passage

Maint toit qui n'en peut mais, fait périr maint bateau :
Le tout au sujet d'un manteau.

Le cavalier eut soin d'empêcher que l'orage
Ne se pût engouffrer dedans.

Cela le préserva. Le Vent perdit son temps;
Plus il se tourmentait, plus l'autre tenait ferme
Il eut beau faire agir le collet et les plis.
Sitôt qu'il fut au bout du terme

Qu'à la gageure on avait mis,
Le Soleil dissipe la nue,

Récrée et puis pénètre enfin le cavalier,
Sous son balandras fait qu'il sue,
Le contraint de s'en dépouiller :

Encor n'usa-t-il pas de toute sa puissance.

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Le Sommeil et sa cour.

Sous les lambris mousseux de ce sombre palais
Echo ne répond point, et semble être assoupie.
La molle oisiveté, sur le seuil accroupie,

N'en bouge nuit et jour, et fait qu'aux environs
Jamais le chant des coqs ni le bruit des clairons
Ne viennent au travail inviter la nature.

Un ruisseau coule auprès, et forme un doux murmure.
Les simples, dédiés au dieu de ce séjour,

Sont les seules moissons qu'on cultive à l'entour;
De leurs fleurs en tout temps sa demeuré est semée ;
Il a presque toujours la paupière fermée.

Je le trouvai dormant sur un lit de pavots;
Les Songes l'entouraient sans troubler son repos :
De fantômes divers une cour mensongère,
Vains et frêles enfants d'une vapeur légère,
Troupe qui sait charmer le plus profond ennui,
Prête aux ordres du dieu, volait autour de lui,
Là, cent figures d'air en leur moule gardées,
Là, des biens et des maux les légères idées,
Prévenant nos destins, trompant notre désir,
Formaient des magasins de peine ou de plaisir.
Je regardais sortir et rentrer ces merveilles;
Telles vont au butin les nombreuses abeilles,
Et tel, dans un Etat de fourmis composé,
Le peuple rentre et sort en cent parts divisé.

Le Savetier et le Financier.

UN savetier chantait du matin jusqu'au soir:
C'était merveille de le voir,

Merveille de l'ouïr; il faisait des passages,

Plus content qu'aucun des sept sages.
Son voisin, au contraire, étant tout cousu d'or:
Chantait peu, dormait moins encor :
C'était un homme de finance.

Si sur le point du jour par fois il sommeillait,
Le savetier alors en chantant l'éveillait :

Et le financier se plaignait

Que les soins de la Providence

N

N'eussent pas au marché fait vendre le dormir,
Comme le manger et le boire.

En son hôtel il fait venir

Le chanteur, et lui dit: "Or cà, sire Grégoire,

Que gagnez-vous par an ?"

"Par an! ma foi, monsieur,"

Dit avec un ton de rieur

Le gaillard savetier, "ce n'est point ma manière
De compter de la sorte; et je n'entasse guère
Un jour sur l'autre il suffit qu'à la fin
J'attrape le bout de l'année:

Chaque jour amène son pain."

"Eh bien! que gagnez-vous, dites-moi, par journée ?"
"Tantôt plus, tantôt moins: le mal est que toujours
(Et sans cela nos gains seraient assez honnêtes),
Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours

Qu'il faut chommer; on nous ruine en fêtes:
L'une fait tort à l'autre ; et monsieur le curé

De quelque nouveau saint charge toujours son prône."
Le financier, riant de sa naïveté,

Lui dit: "Je vous veux mettre aujourd'hui sur le trône.
Prenez ces cent écus: gardez-les avec soin,

Pour vous en servir au besoin."

Le savetier crut voir tout l'argent que la terre
Avait, depuis plus de cent ans,

Produit pour l'usage des gens.

Il retourne chez lui: dans sa cave il enterre
L'argent, et sa joie à-la-fois.

Plus de chant il perdit la voix

Du moment qu'il gagna ce qui cause nos peines,
Le sommeil quitta son logis;

Il eut pour hôtes les soucis,

Les soupçons, les alarmes vaines.

Tout le jour il avait l'œil au guet: et la nuit
Si quelque chat faisait du bruit,

Le chat prenait l'argent. A la fin le pauvre homme
S'en courut chez celui qu'il ne réveillait plus :

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Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme; Et reprenez vos cent écus."

Souvenir.

EN vain le jour succède au jour,
Ils glissent sans laisser de trace;
Dans mon ame rien ne t'efface,
O dernier songe de l'amour!

Je vois mes rapides années
S'accumuler derrière moi,
Comme le chêne autour de soi
Voit tomber ses feuilles fanées.

Mon front est blanchi par le temps;
Mon sang refroidi coulé à peine,
Semblable à cette onde qu'enchaîne
Le souffle glacé des autans.

Mais ta jeune et brillante image,
Que le regret vient embellir,

Dans mon sein ne saurait vieillir:
2

Comme l'âme, elle n'a point d'âge.

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