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Mon Dieu, donne l'onde aux fontaines,
Donne la plume aux passereaux,

Et la laine aux petits agneaux,
Et l'ombre et la rosée aux plaines.

Donne aux malades la santé,
a Au mendiant le pain qu'il pleure,
A l'orphelin une demeure,
Au prisonnier la liberté.

Donne une famille nombreuse
Au père qui craint le Seigneur,
Donne à moi sagesse et bonheur,
Pour que ma mère soit heureuse!

Le Rat et l'Huître.

UN rat, hôte d'un champ, rat de peu de cervelle,
Des lares paternels un jour se trouva sou.
Il laisse là le champ, le grain et la javelle,
Va courir le pays, abandonne son trou.

Sitôt qu'il fut hors de la case:

"Que le monde," dit-il, "est grand et spacieux!
Voilà les Apennins, et voici le Caucase!
La moindre taupinée était mont à ses yeux.
Au bout de quelques jours le voyageur arrive
En un certain canton où Thétis sur la rive
Avait laissé mainte huître : et notre rat d'abord
Crut voir, en les voyant, des vaisseaux de haut bord.
"Certes," dit-il, "mon père était un pauvre sire!
Il n'osait voyager, craintif au dernier point.
Pour moi, j'ai déja vu le maritime empire:
J'ai passé les déserts, mais nous n'y bûmes point."

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D'un certain magister le rat tenait ces choses,
Et les disait à travers champs;

N'étant

pas de ces rats qui, les livres rongeants,
Se font savants jusques aux dents.
Parmi tant d'huîtres toutes closes
Une s'était ouverte; et, bâillant au soleil,
Par un doux zéphyr réjouie,

Humait l'air, respirait, était épanouie,

Blanche, grasse, et d'un goût, à la voir, nonpareil.
D'aussi loin que le rat voit cette huître qui bâille:
"Qu'aperçois-je ?" dit-il; "c'est quelque victuaille!
Et, si je ne me trompe à la couleur du mets,
Je dois faire aujourd'hui bonne chère, ou jamais.”
Là-dessus maître rat, plein de belle espérance,
Approche de l'écaille, allonge un peu le cou,

Se sent pris comme aux lacs: car l'huître tout d'un coup
"Se referme. Et voilà ce que fait l'ignorance.

Cette fable contient plus d'un enseignement.
Nous y voyons premièrement

Que ceux qui n'ont du monde aucune expérience
Sont, aux moindres objets, frappés d'étonnement:
Et puis nous y pouvons apprendre
Que tel est pris qui croyait prendre.

L'Ours, et l'Amateur des Jardins.

CERTAIN ours montagnard, ours à demi léché,
Confiné par le sort dans un bois solitaire,
Nouveau Bellerophon, vivait seul et caché.

Il fût devenu fou: la raison d'ordinaire

N'habite pas longtemps chez les gens séquestrés.
Il est bon de parler, et meilleur de se taire;

Mais tous deux sont mauvais alors qu'ils sont outrés.

Nul animal n'avait affaire
Dans les lieux que l'ours habitait;

Si bien que, tout ours qu'il était,
Il vint à s'ennuyer de cette triste vie.
Pendant qu'il se livrait à la mélancolie,
Non loin de là certain vieillard

S'ennuyait aussi de sa part.

Il aimait les jardins, était prêtre de Flore,
Il l'était de Pomone encore.

Ces deux emplois sont beaux; mais je voudrais parmi
Quelque doux et discret ami.

Les jardins parlent peu, si ce n'est dans mon livre:
De façon que, lassé de vivre

Avec des gens muets, notre homme, un beau matin,
Va chercher compagnie, et se met en campagne.
L'ours, porté d'un même dessein,
Venait de quitter sa montagne.

Tous deux, par un cas surprenant,
Se rencontrent en un tournant.

L'homme eut peur: mais comment esquiver? et que faire ?
Se tirer en Gascon d'une semblable affaire

Est le mieux: il sut donc dissimuler sa peur.
L'ours, très mauvais complimenteur,

Lui dit: "Viens-t'en me voir." L'autre reprit: "Seigneur,
Vous voyez mon logis; si vous me vouliez faire

Tant d'honneur que d'y prendre un champêtre repas,
J'ai des fruits, j'ai du lait: ce n'est peut-être pas
De nosseigneurs les ours le manger ordinaire;
Mais j'offre ce que j'ai." L'ours l'accepte: et d'aller.
Les voilà bons amis avant que d'arriver;

Arrivés, les voilà se trouvant bien ensemble:

Et bien qu'on soit, à ce qu'il semble,

Beaucoup mieux seul qu'avec des sots,

Comme l'ours en un jour ne disait pas deux mots,
L'homme pouvait sans bruit vaquer à son ouvrage.

L'ours allait à la chasse, apportait du gibier;
Faisait son principal métier

D'être bon émoucheur; écartait du visage
De son ami dormant ce parasite ailé
Que nous avons mouche appelé.

Un jour que le vieillard dormait d'un profond somme,
Sur le bout de son nez une allant se placer

Mit l'ours au désespoir; il eut beau la chasser.
"Je t'attraperai bien," dit-il; "et voici comme."
Aussitôt fait que dit: le fidèle émoucheur
Vous empoigne un pavé, le lance avec roideur,
Casse la tête à l'homme en écrasant la mouche;
Et, non moins bon archer que mauvais raisonneur,
Roide mort étendu sur la place il le couche.

Rien n'est si dangereux qu'un ignorant ami ;
Mieux vaudrait un sage ennemi.

Les Chagrins de l'Étude.

L'HOMME a dit: "Je sais tout, et j'ai tout défini;
J'ai pour loi la raison, pour borne l'infini.
L'étude me ravit à des hauteurs sublimes :
De ce globe étonné j'ai sondé les abîmes:
Cet élément subtil dont il roule entouré,
Ce feu, de tous les corps le principe sacré,
L'onde qui les nourrit de ses flots salutaires,
N'ont pu contre mes yeux défendre leurs mystères.
Est-il quelques secrets cachés au fond des cieux,
Que n'ait point pénétrés mon regard curieux ?"....
Moins fier de sa raison, il eût mieux dit peut-être :
"J'ai su tout expliquer, ne pouvant tout connaître."
L'insensé quels combats il s'épuise à livrer,

Pour détruire un mensonge ou pour le consacrer!

Que d'efforts malheureux, que de veilles stériles!
Qu'il érige à grands frais de systèmes fragiles!
Ptolémée, illustré par cent travaux divers,
Dans un ciel de cristal fait tourner l'univers.
D'autres, soumettant tout aux lois de Polymnie,
Des siècles étoilés ont noté l'harmonie.
Si le temps nous éclaire et les a réfutés,
Le temps de mille erreurs a fait des vérités.
Tout le savoir humain n'est qu'un grand labyrinthe.
L'étude nous conduit dans cette obscure enceinte ;
De son fil embrouillé qui s'allonge toujours

On suit péniblement les tortueux détours;
Le voyageur perdu marche de doute en doute,
Et sans se retrouver expire sur la route.

A peine un faible enfant échappé du berceau
A brisé ces liens qui révoltaient Rousseau,
Les quatre facultés, dont la voix l'endoctrine,
Epouvantent ses yeux de leur manteau d'hermine.
Certes, quand la frayeur hâte ses premiers pas,
Le chemin qu'il parcourt a pour lui peu d'appas.
Ne maudissiez-vous pas Sophocle et Stésichore,
Quand, leurs vers à la main, vous ignoriez encore
Que vous deviez un jour, chez nos derniers neveux,
Leur disputer l'honneur d'être maudits comme eux?
Mais du collége enfin foulez aux pieds les chaînes.
O liberté, sans toi les plaisirs sont des peines!
Quel destin vous attend, si de la vérité
Le flambeau redoutable est par vous présenté !
Que de petits esprits, jaloux des noms célèbres,
Prendront contre le jour parti pour les ténèbres!
Leur nombre dangereux fait leur autorité ;
Les sots depuis Adam sont en majorité.

La Divinité même inspire Anaxagore: D'un exil flétrissant l'arrêt le déshonore. Les rêves d'Aristote abusaient nos aïeux :

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