"Car, au nom des dieux, je vous prie, Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir? Autant qu'un patriarche il vous faudrait vieillir. A quoi bon charger votre vie Des soins d'un avenir qui n'est pas fait pour vous? Ne songez désormais qu'à vos erreurs passées : Quittez le long espoir et les vastes pensées ; Tout cela ne convient qu'à nous.' "Il ne convient pas à vous-mêmes," Repartit le vieillard. "Tout établissement Vient tard, et dure peu. La main des Parques blêmes De se donner des soins pour le plaisir d'autrui ? Plus d'une fois sur vos tombeaux." Le vieillard eut raison: l'un des trois jouvenceaux Que lui-même il voulut enter: Et, pleurés du veillard, il grava sur leur marbre Les deux Pigeons. DEUX pigeons s'aimaient d'amour tendre: Un voyage en lointain pays. L'autre lui dit: "Qu'allez-vous faire? L'absence est le plus grand des maux : Changent un peu votre courage: Encor si la saison s'avançait davantage! Attendez les zéphyrs: qui vous presse? un corbeau Que faucons, que réseaux. Hélas! dirai-je, il pleut: De notre imprudent voyageur: Mais le desir de voir et l'humeur inquiète Je le désennuîrai. Quiconque ne voit guère Je dirai: J'étais là; telle chose m'avint: Vous y croirez être vous-même.” L'oblige de chercher retraite en quelque lieu. Sèche du mieux qu'il peut son corps chargé de pluie, Le lacs était usé: si bien que de son aile, Le vautour s'en allait le lier, quand des nues Crut pour le coup que ses malheurs Mais un fripon d'enfant (cet âge est sans pitié) Qui, maudissant sa curiosité, Traînant l'aile, et tirant le pied, Demi-morte, demi-boiteuse, Droit au logis s'en retourna : Que bien, que mal, elle arriva Sans autre aventure fâcheuse. Voilà nos gens rejoints: et je laisse à juger Les Animaux malades de la Peste. Un mal qui répand la terreur, Mal que le Ciel en sa fureur Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ; A chercher le soutien d'une mourante vie ; Ni loups, ni renards n'épiaient Plus d'amour, partant plus de joie. Le lion tint conseil, et dit: "Mes chers amis, Pour nos péchés cette infortune: Se sacrifie aux traits du céleste courroux: Ne nous flattons donc point; voyons sans indulgence Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons, J'ai dévoré force moutons. Que m'avaient ils fait? nulle offense: Même il m'est arrivé quelquefois de manger Le berger. Je me dévoûrai donc, s'il le faut: mais je pense Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi; "Sire,” dit le renard, "vous êtes trop bon roi; Eh bien! manger moutons, canaille, sotte espèce, Et, quant au berger, l'on peut dire Qu'il était digne de tous maux, Du tigre, ni de l'ours, ni des autres puissances Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins, La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense, Je tondis de ce pré la largeur de ma langue. Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net." Un loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue, Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout le mal. Sa peccadille fut jugée un cas pendable. Manger l'herbe d'autrui! quel crime abominable! D'expier son forfait. On le lui fit bien voir. Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. |