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Suivez encor d'Hébert les sanglantes leçons;
Sur les bancs du sénat placez les noirs soupçons;
Qu'au milieu des journaux la loi naisse flétrie ;
Dans les pouvoirs du peuple insultez la patrie;
Qu'un débat scandaleux s'élève, à votre voix,
Entre le créateur et l'organe des lois;
Empoisonnez de fiel la coupe domestique;
Etouffez les accents de la franchise antique;
Courez dans tous les cœurs attiédir l'amitié ;
Séchez dans tous les yeux les pleurs de la pitié;
Opposez aux vivants l'éloquence des tombes;
Prêchez l'humanité, mais parlez d'hécatombes :
Plus coupables encor, tels que de noirs corbeaux,
Osez des morts fameux déchirer les lambeaux;
Auprès de leurs rayons rassemblez vos ténèbres;
Brisez vos faibles dents sur leurs pierres funèbres.
Ah! de ces demi-dieux si les noms révérés
Par la gloire et le temps n'étaient pas consacrés,
*Leur immortalité deviendrait votre ouvrage :
La calomnie honore en croyant qu'elle outrage.
Narcisse et Tigellin, bourreaux législateurs,
De ces menteurs gagés se font les protecteurs:
De toute renommée envieux adversaires,
Et, d'un parti cruel plus cruels émissaires,
Odieux proconsuls, régnant par des complots,
Des fleuves consternés ils ont rougi les flots.
J'ai vu fuir, à leur nom, les épouses tremblantes;
Le Moniteur fidèle, en ses pages sanglantes,
Par le souvenir même inspire la terreur,
Et dénonce à Clio leur stupide fureur.
J'entends crier encore le sang de leurs victimes;
Je lis en traits d'airain la liste de leurs crimes.
Et c'est eux qu'aujourd'hui l'on voudrait excuser!
Qu'ai-je dit? On les vante! et l'on m'ose accuser!
Moi, jouet si longtemps de leur lâche insolence,

Proscrit pour mes discours, proscrit pour mon silence,
Seul, attendant la mort quand leur coupable voix
Demandait à grands cris du sang et non des lois !
Ceux que la France a vus ivres de tyrannie,
Ceux-là même, dans l'ombre armant la calomnie,
Me reprochent le sort d'un frère infortuné
Qu'avec la calomnie ils ont assassiné !
L'injustice agrandit une âme libre et fière.
Ces reptiles hideux, sifflant dans la poussière,
En vain sèment le trouble entre son ombre et moi:
Scélérats, contre vous elle invoque la loi.

Hélas! pour arracher la victime aux supplices,
De mes pleurs chaque jour fatiguant vos complices,
J'ai courbé devant eux mon front humilié :
Mais ils vous ressemblaient, ils étaient sans pitié.
Si, le jour où tomba leur puissance arbitraire,
Des fers et de la mort je n'ai sauvé qu'un frère,
Qu'au fond des noirs cachots un monstre avait plongé,
Et qui deux jours plus tard périssait égorgé,
Auprès d'André Chénier avant que de descendre,
J'élèverai la tombe où manquera sa cendre,
Mais où vivront du moins et son doux souvenir,
Et sa gloire, et ses vers dictés pour l'avenir.
Là, quand de thermidor la septième journée
Sous les feux du Lion, ramènera l'année,
O mon frère ! je veux, relisant tes écrits,
Chanter l'hymne funèbre à tes mânes proscrits,
Là, souvent, tu verras près de ton mausolée
Tes frères gémissants, ta mère désolée,

Quelques amis des arts, un peu d'ombre, et des fleurs;
Et ton jeune laurier grandira sous mes pleurs.
Ah! laissons là nos jours mêlés de noirs orages;
Voulons-nous remonter le long fleuve des âges?
Partout la calomnie a, de traits imposteurs,
Du genre humain trompé, noirci les bienfaiteurs.

Parny dicter ses vers mollement soupirés;
En ses malins écrits, avec goût épurés,
Palissot aiguiser le bon mot satirique;
Le Brun ravir la foudre à l'aigle pindarique;
Delille, nous rendant le cygne aimé des dieux,
Moduler avec art ses chants mélodieux;

Et, de l'Eschyle anglais évoquant la grande ombre,
Ducis tremper de pleurs son vers tragique et sombre.
Si La Harpe autrefois, blessant la vérité,

Voulut noircir mes jours d'un fiel non mérité,
Oubliant sa brochure et non pas Mélanie,
Au temps où sa vieillesse allait être bannie,
Plein du respect qu'on doit au talent malheureux,
J'ai du moins adouci des coups trop rigoureux.
Des arts abandonnés réparant l'infortune,
J'ai de leur souvenir embelli la tribune;
Talleyrand méconnu dans l'exil à gémi; techn
Il était délaissé: je devins son ami;

Un décret du sénat le rendit à la France.
J'ai vécu libre et fier; mais sans intolérance,
Plaignant le sot crédule, abhorrant l'imposteur,
Souvent persécuté, jamais persécuteur,
Adversaire constant de toute tyrannie,
Ami de la vertu, défenseur du génie,
Convaincu seulement du crime détesté
D'avoir aimé, servi, chanté la liberté.
Des esclaves vendus la colère débile
De cris calomnieux a fatigué ma bile,
Ma muse d'Archiloque implora le courroux:
Ma muse enfin retourne à des travaux plus doux.
Amitié, dont les soins font oublier l'envie,
Arts, brillants séducteurs qui colorez la vie,
Raison, guide des arts et même des plaisirs,
Embellissez encor mes studieux loisirs.
Ramenez-moi les jours d'audace et d'espérance,

Où j'ai peint L'Hospital, ce Caton de la France;
Où Boulen et Seymour ont fait couler des pleurs;
Où le grand Fénélon, paré de quelques fleurs,
Et, du fond de sa tombe accueillant son hommage,
Dictait mes vers empreints de sa fidèle image.
Les nombreux ennemis contre moi conjurés
Affermiront mes pas, déjà plus assurés.

Je laisse à mes écrits le soin de ma défense.
Le dieu qui dans son art instruisit mon enfance
Donne à ses nourrissons un exemple sacré :
Si l'impudent satyre est par lui déchiré,
S'il punit d'un Midas les caprices stupides,
S'il écrase un Python sous ses flèches rapides,
De ses feux bienfaisants il mûrit les moissons;
Dans ses douze palais il conduit les saisons;
Il préside aux concerts des doctes immortelles,
Et sur sa lyre d'or il chante au milieu d'elles.

La Mort.

LA Mort, reine du monde, assembla, certain jour,
Dans les enfers toute sa cour.

Elle voulait choisir un bon premier ministre.
Qui rendît ses Etats encor plus florissants.
Pour remplir cet emploi sinistre,

Du fond du noir Tartare avancent à pas lents
La Fièvre, la Goutte et la Guerre.
C'étaient trois sujets excellents;
Tout l'enfer et toute la terre

Rendaient justice à leurs talents.

La Mort leur fit accueil. La Peste vint ensuite.
On ne pouvait nier qu'elle n'eût du mérite,
Nul n'osait lui rien disputer;

Lorsque d'un médecin arriva la visite,

Et l'on ne sut alors qui devait l'emporter.
La mort même était en balance:

Mais les vices étant venus,

Dès ce moment la Mort n'hésita plus;
Elle choisit l'Intempérance.

La Femme noyée.

Je ne suis pas de ceux qui disent: "Ce n'est rien,
C'est une femme qui se noie."

Je dis

que c'est beaucoup et ce sexe vaut bien Que nous le regrettions, puisqu'il fait notre joie.

Ce que j'avance ici n'est point hors de propos,
Puisqu'il s'agit, en cette fable,

D'une femme qui dans les flots

Avait fini ses jours par un sort déplorable.
Son époux en cherchait le corps'
Pour lui rendre, en cette aventure,
Les honneurs de la sépulture.

Il arriva que sur les bords,

Du fleuve auteur de sa disgrâce

Des gens se promenaient ignorant l'accident.
Ce mari donc leur demandant

S'ils n'avaient de sa femme apercu nulle trace.
"Nulle," reprit l'un d'eux; "mais cherchez-la plus bas ;
Suivez le fil de la rivière."

Quelle

Un autre repartit: "Non, ne le suivez pas,
Rebroussez plutôt en arrière :
que soit la pente et l'inclination
Dont l'eau par sa course l'emporte,
L'esprit de contradiction

L'aura fait flotter d'autre sorte."

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