Page images
PDF
EPUB

Jusqu'aux saintes hauteurs d'où l'œil du séraphin
Sur l'espace infini plonge un regard sans fin.

Salut, brillants sommets, champs de neige et de glace;
Vous qui d'aucun mortel n'avez gardé la trace;
Vous que le regard même aborde avec effroi,
Et qui n'avez souffert que les aigles et moi :
Euvres du premier jour, augustes pyramides
Que Dieu même affermit sur vos bases solides;
Confins de l'univers, qui, depuis ce grand jour,
N'avez jamais changé de forme et de contour:
Le nuage en grondant parcourt en vain vos cimes,
Le fleuve en vain grossi sillonne vos abîmes.
La foudre frappe en vain votre front endurci ;
Votre front solennel, un moment obscurci,

Sur nous, comme la nuit, versant son ombre obscure,
Et laissant pendre au loin sa noire chevelure
Semble, toujours vainqueur du choc qui l'ébranla,
Au Dieu qui l'a fondé dire encor: Me voilà. .
Et moi, me voici seul sur ces confins du monde :
Loin d'ici sous mes pieds la foudre vole et gronde;
Les nuages battus par les ailes des vents

Entre-choquant comme eux leurs tourbillons mouvants,
Tels qu'un autre Océan soulevé par l'orage,

Se déroulent sans fin dans des lits sans rivage,
Et, devant ces sommets abaissant leur orgueil,
Brisent incessamment sur cet immense écueil.
Mais, tandis qu'à ses pieds ce noir chaos bouillonne,
D'éternelles splendeurs le soleil le couronne:
Depuis l'heure où son char s'élance dans les airs,
Jusqu'à l'heure où son disque incline vers les mers,
Cet astre, en décrivant son oblique carrière,
D'aucune ombre jamais n'y souille sa lumière,
Et déjà la nuit sombre a descendu des cieux
Qu'à ces sommets encore il dit de longs adieux.

Là, tandis que je nage en des torrents de joie,
Ainsi que mon regard, mon âme se déploie,
Et croit, en respirant cet air de liberté,
Recouvrer sa splendeur et sa sérénité.

Oui, dans cet air du ciel, les soins lourds de la vie,
Le mépris des mortels, leur haine ou leur envie,
N'accompagnent plus l'homme et ne surnagent pas :
Comme un vil plomb, d'eux-même ils retombent en bas,
Ainsi, plus l'onde est pure, et moins l'homme y surnage.
A peine de ce monde il emporte une image.

Mais ton image, ô Dieu! dans ces grands traits épars,
En s'élevant vers toi grandit à nos regards.
Comme au prêtre habitant l'ombre du sanctuaire,
Chaque pas te révèle à l'âme solitaire.

Le silence et la nuit, et l'ombre des forêts,
Lui murmurent tout bas de sublimes secrets;
Et l'esprit, abîmé dans ces rares spectacles,
Par la voix des déserts écoute tes oracles.
J'ai vu de l'Océan les flots épouvantés,
Pareils aux fiers coursiers dans la plaine emportés,
Déroulant à ta voix leur humide crinière,
Franchir en bondissant leur bruyante barrière;
Puis soudain refoulés sous ton frein tout puissant,
Dans l'abîme étonné rentrer en mugissant.
J'ai vu le fleuve, épris des gazons du rivage,
Se glisser flots à flots, de bocage en bocage,
Et dans son lit voilé d'ombrage et de fraîcheur,
Bercer en murmurant la barque du pêcheur;
J'ai vu le trait brisé de la foudre qui gronde,
Comme un serpent de feu se dérouler sur l'onde;
Le zéphyr embaumé des doux parfums du miel,
Balayer doucement l'azur voilé du ciel;
La colombe, essuyant son aile encore humide,
Sur les bords de son nid poser un pied timide,

Puis, d'un vol cadencé, fendant le flot des airs,
S'abattre en soupirant sur la rive des mers.
J'ai vu ces monts voisins des cieux où tu reposes,
Cette neige où l'aurore aime à semer ses roses,
Ces trésors des hivers, d'où par mille détours
Dans nos champs desséchés multipliant leur cours,
Cent rochers de cristal, que tu fonds à mesure
Viennent désaltérer la mourante verdure:
Et ces ruisseaux pleuvant de ces rocs suspendus,
Et ces torrents grondant dans les granits fendus,
Et ces pics où le temps a perdu sa victoire...
Et toute la nature est un hymne à ta gloire.

La Besace.

JUPITER dit un jour: "Que tout ce qui respire
S'en vienne comparaître aux pieds de ma grandeur:
Si dans son composé quelqu'un trouve à redire,
Il peut le déclarer sans peur;

Je mettrai remède à la chose.
Venez, singe; parlez le premier, et pour cause.
Voyez ces animaux, faites comparaison

De leurs beautés avec les vôtres.

Etes-vous satisfait ?"-" Moi," dit-il; "pourquoi non?
N'ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres?
Mon portrait jusqu'ici ne m'a rien reproché :
Mais pour mon frère l'ours on ne l'a qu'ébauché ;
Jamais, s'il me veut croire, il ne se fera peindre."
L'ours venant là-dessus, on crut qu'il s'allait plaindre.
Tant s'en faut: de sa forme il se loua très fort;
Glosa sur l'éléphant, dit qu'on pourrait encor
Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles ;
Que c'était une masse informe et sans beauté.
L'éléphant étant écouté,

Tout sage qu'il était, dit des choses pareilles :
Il jugea qu'à son appétit
Dame baleine était trop grosse.
Dame fourmi trouva le ciron trop petit,
Se croyant, pour elle, un colosse.
Jupin les renvoya s'étant censurés tous,

Du reste contents d'eux. Mais parmi les plus fous
Notre espèce excella; car tout ce que nous sommes,
Lynx envers nos pareils et taupes envers nous,

Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes:
On se voit d'un autre œil qu'on ne voit son prochain.
Le fabricateur souverain

Nous créa besaciers tous de même manière,

Tant ceux du temps passé que du temps d'aujourd'hui: Il fit pour nos défauts la poche de derrière,

Et celle de devant pour les défauts d'autrui.

Epître à la Marquise du Chatelet, sur la Philosophie de Newton.

Tu m'appelles à toi, vaste et puissant génie,
Minerve de la France, immortelle Emilie;
Je m'éveille à ta voix, je marche à ta clarté,
Sur les pas des Vertus et de la Vérité.
Je quitte Melpomène et les jeux du théâtre,
Ces combats, ces lauriers, dont je fus idolâtre ;
De ces triomphes vains mon cœur n'est plus touché.
Que le jaloux Rufus, à la terre attaché,

Traine au bord du tombeau la fureur insensée
D'enfermer dans un vers une fausse pensée;
Qu'il arme contre moi ses languissantes mains
Des traits qu'il destinait au reste des humains;
Que quatre fois par mois un ignorant Zoïle
Elève en frémissant une voix imbécile :

Je n'entends point leurs cris, que la haine a formés; Je ne vois point leurs pas, dans la fange imprimés. Le charme tout-puissant de la philosophie

Elève un esprit sage au-dessus de l'envie.

Tranquille au haut des cieux que Newton s'est soumis,
Il ignore en effet s'il a des ennemis :

Je ne les connais plus. Déjà de la carrière
L'auguste Vérité vient m'ouvrir la barrière;
Déjà ces tourbillons, l'un par l'autre pressés,
Se mouvant sans espace, et sans règle entassés,
Ces fantômes savants à mes yeux disparaissent.
Un jour plus pur me luit; les mouvements renaissent.
L'espace, qui de Dieu contient l'immensité,

Voit rouler dans son sein l'univers limité,

Cet univers si vaste à notre faible vue,

Et qui n'est qu'un atome, un point dans l'étendue.

Dieu parle, et le chaos se dissipe à sa voix:
Vers un centre commun tout gravite à la fois.
Ce ressort si puissant, l'âme de la nature,
Etait enseveli dans une nuit obscure:

Le compas de Newton, mesurant l'univers,
Lève enfin ce grand voile, et les cieux sont ouverts.

Il découvre à mes yeux, par une main savante,
De l'astre des saisons la robe étincelante :
L'émeraude, l'azur, le pourpre, le rubis,
Sont l'immortel tissu dont brillent ses habits.
Chacun de ses rayons, dans sa substance pure,
Porte en soi les couleurs dont se peint la nature;
Et, confondus ensemble, ils éclairent nos yeux,
'Ils animent le monde, ils emplissent les cieux.

Confidents du Très-Haut, substances éternelles,
Qui brûlez de ses feux, qui couvrez de vos ailes

« PreviousContinue »