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Son incrédule orgueil s'est lassé d'admirer,
Et dans son impuissance à te rien comparer,
Il te confond de loin avec ses fables même,
Nuages du passé qui couvrent ton poëme !
Cependant tu fus homme; on le sent à tes pleurs!
Un dieu n'eût pas si bien fait gémir nos douleurs!
Il faut que l'immortel qui touche ainsi notre âme
Ait sucé la pitié dans le lait d'une femme!

Mais dans ces premiers jours, où d'un limon moins vieux,
La nature enfantait des monstres ou des dieux,

Le ciel t'avait créé, dans sa magnificence,

Comme un autre océan, profond, sans rive, immense,
Sympathique miroir qui, dans son sein flottant,
Sans altérer l'azur de son flot inconstant,
Réfléchit tour à tour les grâces de ses rives;
Les bergers poursuivant les nymphes fugitives;
L'astre qui dort au ciel, le mât brisé qui fuit,
Le vol de la tempête aux ailes de la nuit,
Ou les traits serpentants de la foudre qui gronde,
Rasant sa verte écume, et s'éteignant dans l'onde !
Cependant l'univers, de tes traces rempli,

T'accueillit comme un dieu!... Par l'insulte et l'oubli,
On dit que sur ces bords, où règne ta mémoire,
Une lyre à la main, tu mendiais ta gloire?...
Ta gloire! Ah! qu'ai-je dit? Ce céleste flambeau
Ne fut aussi pour toi que l'astre du tombeau !
Tes rivaux, triomphant des malheurs de ta vie,
Plaçant entre elle et toi les ombres de l'envie,
Disputèrent encore à ton dernier regard
L'éclat de ce soleil qui se lève si tard.

La pierre du cercueil ne sut pas t'en défendre;
Et de ces vils serpents qui rongèrent ta cendre,
Sont nés, pour dévorer les restes d'un grand nom,
Pour souiller la vertu d'un éternel poison,

Ces insectes impurs, ces ténébreux reptiles,
Héritiers de la honte et du nom des Zoïles,
Qui, pareils à ces vers par la tombe nourris,
S'acharnent sur la gloire, et vivent de mépris.

La Grèce.

MAIS déjà le navire, aux lueurs de l'aurore,
Du sein brillant des mers voit une terre éclore!
Terre dont l'Océan, avec un triste orgueil,
Semble encor murmurer le nom sur chaque écueil,
Et dont le souvenir planant sur ses rivages,

Se répand sur les flots, comme un parfum des âges.
C'est la Grèce ! A ce nom, à cet auguste aspect,
L'esprit anéanti de pitié, de respect,
Contemplant du destin le déclin et la cime,
Du néant de la gloire a mesuré l'abîme.
Par les pas des tyrans ses bords sont profanés,
Ses temples sont détruits, ses peuples enchaînés,
Et sur l'autel du Christ, brisé par la conquête,
L'Ottoman fait baiser le turban du prophète.
Mais à travers ce deuil, le regard enchanté,
Reconnaît en pleurant son antique beauté,
Et la nature au moins par le temps rajeunie,
Y triomphe de l'homme et de la tyrannie.
C'est toujours le pays du soleil et des dieux!
Ses monts dressent encor leurs sommets dans les cieux,
Et noyant les contours de leur cime azurée,
Semblent encor nager dans une onde éthérée.
Ses coteaux abaissant leurs cintres inclinés,
Par l'arbre de Minerve à demi couronnés,
Expirent par degrés sur la plage sonore,
Où Syrinx sous les flots semble gémir encore;

Et présentant aux yeux leurs penchants escarpés,
Du soleil tour à tour selon l'heure frappés,

Au mouvement du jour qui chasse l'ombre obscure,
Paraissent ondoyer en vagues de verdure.

Là, l'Histoire ou la Fable ont semé leurs grands noms
Sur des débris sacrés, sur les mers, sur les monts.
Ce sommet, c'est le Pinde! et ce fleuve est Alphée !
Chaque pierre a son nom, chaque écueil son trophée ;
Chaque flot a sa voix, chaque site a son dieu;
Une ombre du passé plane sur chaque lieu.
Ces marais sont le Styx, ce gouffre est la chimère !
Et touchés par les pieds de la muse d'Homère,
Ces bords, où sont écrits tant de faits éclatants,
Retentissent encor des lointains du temps,
pas
D'un poëme scellé par la gloire et les âges,
Semblent à chaque pas dérouler d'autres pages.
Le regard, que l'esprit ne peut plus rappeler,
Avec ses souvenirs cherche à les repeupler.
Et frappé tour à tour de son deuil, de ses charmes,
Brille de leur éclat ou pleure de leurs larmes.
Tel si, pendant le cours d'un songe dont l'erreur
Lui rappelle des traits consacrés dans son cœur,
Un fils, le sein gonflé d'une tendresse amère,
Dans un brillant lointain voit l'ombre de sa mère,
Dévorant du regard ce fantôme chéri,

Il contemple en pleurant ce sein qui l'a nourri,
Ces bras qui l'ont porté, ces yeux dont la lumière
Fut le premier flambleau qui guida sa paupière ;
Ces livres dont l'accent, si doux à répéter,

Dicta les premiers sons qu'il tenta d'imiter;
Ce front qu'à ses baisers dérobe un voile sombre:
Et lui tendant les bras, il n'embrasse qu'une ombre.

11

Athènes.

Je venais de quitter la terre, dont le bruit

Loin, bien loin sur les flots vous tourmente et vous suit; Cette Europe où tout croule, où tout craque, où tout lutte; Où de quelques débris chaque heure attend la chute... Mon navire, poussé par l'invisible main,

Glissait en soulevant l'écume du chemin;

Douze fois le soleil, comme un dieu qui se couche,
Avait roulé sur lui l'horizon de sa couche,
Et s'était relevé, bondissant dans les airs,
Comme un aigle du feu, de la crête des mers;
Mes mâts dorment, pliant l'aile sous les antennes,
Mon ancre mord le sable, et je suis dans Athènes.

1

Il est l'heure où jadis cette ville de bruit,

Muette un peu de temps sous le doigt de la nuit,
S'éveillant tour à tour dans la gloire ou la honte,
Roulait ses flots vivants comme une mer qui monte;
Chaque vent les poussait à leurs ambitions,
Les uns à la vertu, d'autres aux factions,
Périclès au forum, Thémistocle aux rivages,
Aux armes les héros, au portique les sages,
Aristide à l'exil, et Socrate à la mort,

Et le peuple au hasard, et du crime au remord!
Au pied du Panthéon, qu'un homme en turban garde,
J'entends venir le jour, je marche et je regarde;

Du haut du Cythéron le rayon part: le jour

De cent chauves sommets va frapper le contour,

De leurs flancs à leurs pieds, des champs aux mers d'Ulysse.

Sans que rien le colore et rien le réfléchisse,

Ni cités éclatant de feux dans le lointain,
Ni fumée ondoyante au souffle du matin,

Ni hameaux suspendus au penchant des montagnes,
Ni voiles sur les eaux, ni tours dans les campagnes.
La lumière, en passant sur ce sol du trépas,
Y tombe morte à terre, et n'en rejaillit pas;
Seulement le rayon le plus haut de l'aurore.
Effleure sur mon front le Parthénon qu'il dore;
Puis, glissant à regret sur ses créneaux noircis
Où dort, la pipe en main, le janissaire assis,
Va, comme pour pleurer la corniche brisée,
Mourir sur le fronton du temple de Thésée !
Deux beaux rayons jouant sur deux débris, voilà
Tout ce qui brille encore, et dit: Athène est là !

Les Lapins.

A L'HEURE de l'affût, soit lorsque la lumière
Précipite ses traits dans l'humide séjour,
Soit lorsque le soleil rentre dans sa carrière,
Et que, n'étant plus nuit, il n'est pas encore jour,
Au bord de quelque bois sur un arbre je grimpe,
Et, nouveau Jupiter, du haut de cet Olympe,
Je foudroie à discrétion

Un lapin qui n'y pensait guère.

Je vois fuir aussitôt toute la nation

Des lapins qui, sur la bruyère,
L'œil éveillé, l'oreille au guet,

S'égayaient, et de thym parfumaient leur banquet.

Le bruit du coup fait que

S'en va chercher sa sûreté

Dans la souterraine cité.

la bande

Mais le danger s'oublie, et cette peur si grande
S'évanouit bientôt je revois les lapins,

Plus gais qu'auparavant, revenir sous mes mains.

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