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Si quelque main a l'imprudence
D'y venir troubler ton repos,
Emporte avec toi ma vengeance,
Garde une épine à mes rivaux.

Dévoûment de Mlle de Sombreuil.

REMONTONS au moment où d'un règne exécrable
Septembre ouvrit le long et vaste assassinat.
Dans le sommeil des lois, dans l'effroi du sénat,
Des monstres, qu'irritaient Bacchus et les Furies,
Aux prisons, en hurlant, portent leurs barbaries.
Ils mêlent sous leurs coups les sexes et les rangs;
Ils jettent morts sur morts, et mourants sur mourants:
Tout frémit. . . . Une fille au printemps de son âge,
Sombreuil, vient, éperdue, affronter le carnage.
"C'est mon père, dit-elle, arrêtez, inhumains !”
Elle tombe à leurs pieds, elle baise leurs mains,
Leurs mains teintes de sang! C'est peu; forte d'audace,
Tantôt elle retient un bras qui le menace,

Et tantôt, s'offrant seule à l'homicide acier,
De son corps étendu le couvre tout entier.
Elle dispute aux coups ce vieillard qu'elle adore;
Elle le prend, le perd, et le reprend encore.
A ses pleurs, à ses cris, à ce grand dévoûment,
Les meurtriers émus s'arrêtent un moment:
Elle voit leur pitié, saisit l'instant prospère,
Du milieu des bourreaux elle enlève son père,
Et traverse les murs ensanglantés par eux,
Portant ce poids chéri dans ses bras généreux.
Jouis de ton triomphe, ô moderne Antigone!
Quel que soit le débat et du peuple et du trône,
Tes saints efforts vivront d'âge en âge bénis:
Pour admirer ton cœur tous les cœurs sont unis;

Et ton zèle, à jamais cher aux partis contraires,
Est des enfants l'exemple, et la gloire des pères.
Faut-il qu'au meurtre en vain son père ait échappé !
Des brigands l'ont absous, des juges l'ont frappé!

Ode à Buffon sur ses détracteurs.

BUFFON, laisse gronder l'envie ;
C'est l'hommage de sa terreur;
Que peut sur l'éclat de ta vie
Son aveugle et lâche fureur?
Olympe qu'assiége un orage,
Dédaigne l'impuissante rage
Des aquilons tumultueux:
Tandis que la noire tempête
Gronde à ses pieds, sa noble tête
Garde un calme majestueux.

Pensais-tu donc que le génie
Qui te place au trône des arts,
Longtemps d'une gloire impunie
Blesserait de jaloux regards?
Non, non, tu dois payer ta gloire;
Tu dois expier ta mémoire
Par les orages de tes jours;
Mais ce torrent qui dans ton onde
Vomit sa fange vagabonde

N'en saurait altérer le cours.

Poursuis ta brillante carrière,
O dernier astre des Français;
Ressemble au dieu de la lumière

Qui se venge par des bienfaits.

Poursuis. Que tes nouveaux ouvrages
Remportent de nouveaux suffrages.
Et des lauriers plus glorieux:
La gloire est le prix des Alcides,
Et le dragon des Hespérides
Gardait un or moins précieux.

Mais si tu crains la tyrannie
D'un monstre jaloux et pervers,
Quitte le sceptre du génie,
Cesse d'éclairer l'univers :

Descends des hauteurs de ton âme;

Abaisse tes ailes de flamme;
Brise tes sublimes pinceaux;
Prends tes envieux pour modèles ;
Et de leurs vernis infidèles
Obscurcis tes brillants tableaux.

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Flatté de plaire aux goûts volages,
L'esprit est le dieu des instants:
Le génie est le dieu des âges,
Lui seul embrasse tous les temps.
Qu'il brûle d'un noble délire,
Quand la gloire autour de sa lyre
Lui peint les siècles assemblés,
Et leur suffrage vénérable
Fondant son trône inaltérable
Sur les empires écroulés!

Eût-il, sans ce tableau magique
Dont son noble cœur est flatté,
Rompu le charme léthargique
De l'indolente volupté?
Eût-il dédaigné les richesses;
Eût-il rejeté les caresses

Des Circés aux brillants appas?
Et par une étude incertaine
Acheté l'estime lointaine

Des peuples qu'il ne verra pas?

Ainsi l'active chrysalide,
Fuyant le jour et le plaisir,
Va filer son trésor liquide
Dans un mystérieux loisir:
La nymphe s'enferme avec joie
Dans ce tombeau d'or et de soie
Qui la voile aux profanes yeux,
Certaine que ses nobles veilles
Enrichiront de leurs merveilles
Les rois, les belles et les dieux.

Ceux dont le présent est l'idole
Ne laissent point de souvenir:
Par un succès vain et frivole,
Ils ont usé leur avenir.

Amants des roses passagères,
Ils ont les grâces mensongères
Et le sort des rapides fleurs ;
Leur plus long règne est d'une aurore:
Mais le temps rajeunit encore

L'antique laurier des neuf sœurs.

Jusques à quand de vils Procustes
Viendront-ils au sacré vallon,
Souillant ces retraites augustes,
Mutiler les fils d'Apollon;
Le croirez-vous, races futures!
J'ai vu Zoïle aux mains impures,

Zoïle outrager Montesquieu.
Mais quand la parque inexorable
Frappa cet homme irréparable,
Nos regrets en firent un dieu.

Quoi! tour à tour dieux et victimes,
Le sort fait marcher les talents
Entre l'Olympe et les abîmes,
Entre la satire et l'encens :

Malheur au mortel qu'on renomme!
Vivant, nous blessons le grand homme,
Mort, nous tombons à ses genoux.
On n'aime que la gloire absente;
La mémoire est reconnaissante;
Les yeux sont ingrats et jaloux.

Buffon, dès que rompant ses voiles,
Et fugitive du cercueil,

De ces palais peuplés d'étoiles
Ton âme aura franchi le seuil,
Du sein brillant de l'empyrée
Tu verras la France éplorée
T'offrir des honneurs immortels :
Et le temps, vengeur légitime,
De l'envie expier le crime
Et l'enchaîner à tes autels.

Moi, sur cette rive déserte
Et de talents et de vertus,
Je dirai, soupirant ma perte,
Illustre ami! tu ne vis plus:
La nature est veuve et muette;
Elle te pleure! et son poëte

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