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L'aragne cependant se campe en un lambris,
Comme si, de ces lieux, elle eût fait bail à vie,
Travaille à demeurer: voilà sa toile ourdie,
Voilà des moucherons de pris.

Une servante vient balayer tout l'ouvrage.
Autre toile tissue, autre coup de balai.
Le pauvre bestion tous les jours déménage.
Enfin après un vain essai,

Il va trouver la goutte. Elle était en campagne,
Plus malheureuse mille fois

Que la plus malheureuse aragne.

Son hôte la menait tantôt fendre du bois,
Tantôt fouïr, houer: goutte bien tracassée
Est, dit-on, à demi-pansée.

Oh! je ne saurais plus, dit-elle, y résister.
Changeons, ma sœur l'aragne. Et l'autre d'écouter:
Elle la prend au mot, se glisse en la cabane:
Point de coup de balai qui l'oblige à changer.
La goutte, d'autre part, va tout droit se loger
Chez un prélat qu'elle condamne

A jamais du lit ne bouger.

Cataplasme, dieu sait! les gens n'ont point de honte
De faire aller le mal toujours de pis en pis.
L'une et l'autre trouva de la sorte son compte,
Et fit très-sagement de changer de logis.

FABLE IX.

Le Loup et la Cicogne.
Les loups mangent gloutonnement.

LES

Un loup donc étant de frairie

Se

pressa, dit-on, tellement,
Qu'il en pensa perdre la vie.

Un os lui demeura bien avant au gosier.
De bonheur pour ce loup, qui ne pouvait crier,
Près de lå passe une cicogne.

Il lui fait signe; elle accourt.
Voilà l'opératrice aussitôt en besogne.
Elle retira l'os: puis, pour un si bon tour,
Elle demanda son salaire.

Votre salaire ! dit le loup:

Vous rioz, ma bonne commère:
Quoi! ce n'est pas encor beaucoup

D'avoir de mon gosier retiré votre cou?
Allez, vous êtes une ingrate :
Ne tombez jamais sous ma patte.

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Par un seul homme terrassé.

Les regardans en tiraient gloire.

Un lion en passant rabattit leur caquet.
Je vois bien, dit-il, qu'en effet
On vous donne ici la victoire:
Mais l'ouvrier vous a déçus;
Il avait liberté de feindre.

Avec plus de raison nous aurions le dessus,
Si mes confrères savaient peindre.

FABLE X I.

Le Renard et les Raisins.

CERTAIN renard gascon, d'autres disent normand,
Mourant presque de faim, vit au haut d'une treille
Des raisins, mûrs apparemment,
Et couverts d'une peau vermeille.

Le galant en eût fait volontiers un repas.

Mais comme il n'y pouvait atteindre:

Ils sont trop verds, dit-il, et bons pour des goujats. Fit-il pas mieux que de se plaindre?

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FABLE XII.

Le Cygne et le Cuisinier.

DANS une ménagerie

De volatilles remplie

Vivaient le cygne et l'oison:

Celui-là destiné pour les regards du maître,
Celui-ci pour son goût : l'un qui se piquait d'être
Commensal du jardin, l'autre de la maison.
Des fossés du château faisant leurs galeries,
Tantôt on les eût vus côte à côte nager,
Tantôt courir sur l'onde, et tantôt se plonger,
Sans pouvoir satisfaire à leurs vaines envies.
Un jour le cuisinier, ayant trop bu d'un coup,
Prit pour oison le cygne; et, le tenant au cou,
Il allait l'égorger, puis le mettre en potage.
L'oiseau, prêt à mourir, se plaint en son ramage,
Le cuisinier fut fort surpris,

Et vit bien qu'il s'était mépris.

Quoi? je mettrais, dit-il, un tel chanteur en soupe!
Non, non, ne plaise aux dieux que jamais ma main
La gorge à qui s'en sert si bien!

Ainsi dans les dangers qui nous suivent en croupe
Le doux parler ne nuit de rien.

coupe

FABLE XIII.

Les Loups et les Brebis.

APRÈS mille ans et plus de guerre déclarée,
Les loups firent la paix avecque les brebis.
C'était apparemment le bien des deux partis :
Car si les loups mangeaient mainte bête égarée,
Lesbergers de leur peau se faisaient maints habits.
Jamais de liberté, ni pour les pâturages,

les

carnages.

Ni d'autre part pour
Ils ne pouvaient jouir, qu'en tremblant, de leurs biens.
La paix se conclut donc : on donne des ôtages;
Les loups, leurs louveteaux; et les brebis, leurs chiens.
L'échange en étant fait aux formes ordinaires,
Et réglé par les commissaires,

Au bout de quelque temps que messieurs les louvats
Se virent loups parfaits, et friands de tuerie,
Ils vous prennent le temps que dans la bergerie
Messieurs les bergers n'étaient pas,

Etranglent la moitié des agneaux les plus gras,
Les emportent aux dents, dans les bois se retirent,
Ils avaient averti leurs gens secrètement.
Les chiens, qui, sur leur foi, reposaient sûrement,
Furent étranglés en dormant.

Cela fut sitôt fait qu'à peine ils le sentirent.
Tout fut mis en morceaux, un seul n'en échappa.

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