Page images
PDF
EPUB

FABLE V.

Le Renard et le Bouc.

CAPITAINE renard allait de compagnie

Avec son ami bouc des plus hauts encornés. Celui-ci ne voyait pas plus loin que son nez: L'autre était passé maître en fait de tromperie. La soif les obligea de descendre en un puits.

Là, chacun d'eux se désaltère.

Après qu'abondamment tous deux en eurent pris,
Le renard dit au bouc: Que ferons-nous, compère?
Ce n'est pas tout de boire, il faut sortir d'ici.
Lève tes pieds en haut, et tes cornes aussi ;
Mets-les contre le mur: le long de ton échine
Je grimperai premièrement;

Puis sur tes cornes m'élevant,
A l'aide de cette machine,
De ce lieu-ci je sortirai;
Après quoi je t'en tirerai.

Par ma barbe ! dit l'autre, il est bon; et je loue

Les

gens bien sensés comme toi.

Je n'aurais jamais, quant à moi,

Trouvé ce secret, je l'avoue.

Le renard sort du puits, laisse son compagnon, Et vous lui fait un beau sermon

Pour l'exhorter à patience.

Si le ciel t'eût, dit-il, donné par excellence

Autant de jugement que de barbe au menton,
Tu n'aurais pas, à la légère,

Descendu dans ce puits. Or, adieu, j'en suis hors:
Tâche de t'en tirer, et fais tous tes efforts;
Car , pour moi, j'ai certaine affaire

Qui ne me permet pas d'arrêter en chemin.
En toute chose il faut considérer la fin.

FABLE V I.

L'Aigle, la Laie et la Chatte.

L'AIGLE avait ses petits au haut d'un arbre creux;
La laie au pied, la chatte entre les deux :

Et sans s'incommoder, moyennant ce partage,
Mères et nourrissons faisaient leur tripotage.
La chatte détruisit, par sa fourbe, l'accord.
Elle grimpa chez l'aigle, et lui dit : Notre mort
(Au moins de nos enfans, car c'est tout un aux mères)
Ne tardera possible guères.

Voyez-vous à nos pieds fouïr incessamment
Cette maudite laie, et creuser une mine?
C'est
pour déraciner le chêne assurément,
Et de nos nourrissons assurer la ruine.
L'arbre tombant, ils seront dévorés;

Qu'ils s'en tiennent pour assurés.

S'il m'en restait un seul, j'adoucirais ma plainte.
Au partir de ce lieu, qu'elle remplit de crainte,

La perfide descend tout droit
A l'endroit

Où la laie étoit en gésine.

Ma bonne amie et ma voisine,

Lui dit-elle tout bas, je vous donne un avis:
L'aigle, si vous sortez, fondra sur vos petits.
Obligez-moi de n'en rien dire;

Son courroux tomberait sur moi.

Dans cette autre famille ayant semé l'effroi,
La chatte en son trou se retire.

L'Aigle n'ose sortir, ni pourvoir aux besoins
De ses petits; la laie encore moins:

Sottes de ne pas voir que le plus grand des soins,

Ce doit être celui d'éviter la famine.

A demeurer chez soi, l'une et l'autre s'obstine,
Pour secourir les siens dedans l'occasion:

L'oiseau royal, en cas de mine;
La laie, en cas d'irruption.

La faim détruisit tout; il ne resta personne
De la gent marcassine et de la gent aiglonne,
Qui n'allât de vie à trépas:

Grand renfort pour messieurs les chats.

Que ne sait point ourdir une langue traitresse
Par sa pernicieuse adresse?

Des malheurs qui sont sortis

De la boîte de Pandore,

Celui qu'à meilleur droit tout l'univers abhorre, C'est la fourbe, à mon avis.

FABLE VII.

L'Ivrogne et sa Femme.

CHACUN a son défaut, où toujours il revient :
Honte ni peur n'y remédie.
Sur ce propos d'un conte il me souvient:
Je ne dis rien que je n'appuie

De quelque exemple. Un suppôt de Bacchus Altérait sa santé, son esprit et sa bourse :

Telles gens n'ont pas

fait la moitié de leur course,

Qu'ils sont au bout de leurs écus.

Un jour que celui-ci, plein du jus de la treille,
Avait laissé ses sens au fond de la bouteille,
Sa femme l'enferma dans un certain tombeau.
Là, les vapeurs du vin nouveau

Cuvèrent à loisir. A son réveil il treuve
L'attirail de la mort à l'entour de son corps,
Un luminaire, un drap des morts.

Oh! dit-il, qu'est ceci? Ma femme est-elle veuve?
Là-dessus son épouse, en habit d'Alecton,
Masquée, et de sa voix contrefaisant le ton,
Vient au prétendu mort, approche de sa bière,
Lui présente un chaudeau propre pour Lucifer.
L'époux alors ne doute en aucune manière

Qu'il ne soit citoyen d'enfer.

Quelle personne es-tu? dit-il à ce fantôme.
La cellérière du royaume

T. 3.

E iij *

De Satan, reprit-elle; et je porte à manger
A ceux qu'enclôt la tombe noire.
Le mari répart, sans songer:
Tu ne leur portes point à boire ?

FABLE VIII.

La Goutte et l'Araignée.

QUAND l'enfer eut produit la goutte et l'araignée;

Mes filles, leur dit-il, vous pouvez vous vanter D'être pour l'humaine lignée

Egalement à redouter.

Or avisons aux lieux qu'il vous faut habiter.
Voyez-vous ces cases étroites;

Et ces palais si grands, si beaux, si bien dorés?
Je me suis proposé d'en faire vos retraites.
Tenez donc, voici deux buchettes :
Accommodez-vous, ou tirez.

Il n'est rien, dit l'aragne, aux cases qui me plaise.
L'autre, tout au rebours, voyant les palais pleins
De ces gens nommés médecins,

Ne crut pas y pouvoir demeurer à son aise.
Elle prend l'autre lot, y plante le piquet,
S'étend avec plaisir sur l'orteil d'un pauvre homme,
Disant: je ne crois pas qu'en ce poste je chomme,
que d'en déloger et faire mon paquet

Ni

Jamais Hippocrate me somme.

« PreviousContinue »