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FABLE XIV.

Le Lièvre et les Grenouilles.

UN lièvre en son gîte songeait,

(Car que faire en un gîte,à moins quel'on ne songe?)
Dans un profond ennui ce lièvre se plongeait :
Cet animal est triste, et la crainte le ronge.
Les de naturel peureux

gens

Sont, disait il, bien malheureux!

Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite:
Jamais un plaisir pur; toujours assauts divers.
Voilà comme je vis: cette crainte maudite,
M'empêche de dormir, sinon les yeux ouverts.
Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle.
Eh! la peur se corrige-t-elle ?

Je crois même qu'en bonne foi,
Les hommes ont peur comme moi.
Ainsi raisonnait notre lièvre;

Et cependant faisait le guet.

Il était douteux, inquiet:

Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre Le mélancolique animal,

En rêvant à cette matière,
Entend un léger bruit : ce lui fut un signal
Pour s'enfuir devers sa tanière.

Il s'en alla passer sur le bord d'un étang.
Grenouilles aussitôt de sauter dans les ondes;

Grenouilles de rentrer dans leurs grottes profondes. Oh! dit-il, j'en fais faire autant

Qu'on m'en fait faire ! Ma présence

Effraie aussi les gens ! je mets l'alarme au camp! Et d'où me vient cette vaillance?

Comment, des animaux qui tremblent devant moi!
Je suis donc un foudre de guerre ?

Il n'est, je le vois bien, si poltron sur la terre,
Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi.

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SUR la branche d'un arbre était en sentinelle
Un vieux coq adroit et matois.

Frère, dit un renard adoucissant sa voix,
Nous ne sommes plus en querelle:

Paix générale cette fois.

Je viens te l'annoncer; descends que je t'embrasse. Ne me retarde point de grace;

Jedois faire aujourd'hui vingt postes sans manquer.
Les tiens et toi pouvez vaquer,

Sans nulle crainte, à vos affaires,
Nous vous y servirons en frères.
Faites-en les feux dès ce soir;
Et cependant viens recevoir
Le baiser d'amour fraternelle.

Ami, reprit le coq, je ne pouvais jamais

Apprendre une plus douce et meilleure nouvelle,

Que celle

De cette paix :

Et ce m'est une double joie
De la tenir de toi. Je vois deux lévriers,
Qui, je m'assure, sont couriers

Que pour ce sujet on envoie.

Ils vont vîte, et seront dans un moment à nous.
Je descends: nous pourrons nous entrebaiser tous.
Adieu, dit le renard, ma traite est longue à faire.
Nous nous réjouirons du succès de l'affaire

Une autre fois. Le galant aussitôt
Tire ses gregues, gagne au haut,
Mal content de son stratagême.
Et notre vieux coq, en soi-même,
Se mit à rire de sa peur:
Car c'est double plaisir de tromper le

FABLE XVI.

trompeur.

Le Corbeau voulant imiter l'Aigle. L'OISEAU de Jupiter enlevant un mouton; Un corbeau témoin de l'affaire,

Et plus faible de reins, mais non pas moins glouton, En voulut sur l'heure autant faire.

Il tourne à l'entour du troupeau,

Marque entre cent moutons, le plus gras, le plus beau, Un vrai mouton de sacrifice.

On

On l'avait réservé pour la bouche des dieux.
Gaillard corbeau disait, en le couvant des yeux,
Je ne sais qui fut ta nourrice,

Mais ton corps me paraît en merveilleux état :
Tu me serviras de pâture.

Sur l'animal bêlant à ces mots il s'abat.
La moutonnière créature

Pesait plus qu'un fromage; outre que sa toison
Etait d'une épaisseur extrême,

Et mêlée, à-peu-près, de la même façon
Que la barbe de Poliphême.

Elle empêtra si bien les serres du corbeau,
Que le pauvre animal ne
ne put faire retraite.
Le berger vient, le prend, l'encage bien et beau,
Le donne à ses enfans pour servir d'amusette.
Il faut se mesurer : la conséquence est nette.
Mal prend aux volereaux de faire les voleurs.
L'exemple est un dangereux leurre.

Tous les mangeurs de gens ne sont pas grands seigneurs :
Où la guêpe a passé, le moucheron demeure.

FABLE XVII.

Le Paon se plaignant à Junon.
LE paon se plaignait à Junon:

Déesse, disait-il, ce n'est pas sans raison
Que je me plains, que je murmure;

T. 3.

D

Le chant dont vous m'avez fait don

Déplaît à toute la nature:

Au lieu qu'un rossignol, chétive créature,
Forme des sons aussi doux qu'éclatans,
Est lui seul l'honneur du printemps.
Junon répondit en colère;

Oiseau jaloux, et qui devrais te taire,
Est-ce à toi d'envier la voix du rossignol,
Toi que l'on voit porter à l'entour de ton col
Un arc-en-ciel nué de cent sortes de soies;
Qui te panades, qui déploies

Une si riche queue, et qui semble à nos yeux
La boutique d'un lapidaire?

Est-il quelque oiseau sous les cieux
que toi capable de plaire ?

Plus

Tout animal n'a

pas toutes propriétés ;

Nous vous avons donné diverses qualités :

Les uns ont la grandeur et la force en partage;
Le faucon est léger, l'aigle plein de courage,
Le corbeau sert pour le présage,

La corneille avertit des malheurs à venir.
Tous sont contents de leur ramage.

Cesse donc de te plaindre; ou bien, pour te punir,
Je t'ôterai ton plumage.

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