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Maudit censeur ! te tairas-tu?

Ne saurais-je achever mon conte?
C'est un dessein très-dangereux
Que d'entreprendre de te plaire.

Les délicats sont malheureux;
Rien ne saurait les satisfaire.

FABLE I I.

Conseil tenu par les Rats.
UN chat, nommé Rodilardus,
Faisait de rats telle déconfiture,

Que l'on n'en voyait presque plus,
Tant il en avait mis dedans la sépulture.
Le peu qu'il en restait, n'osant quitter son trou,
Ne trouvait à manger que le quart de son sou;
Et Rodilard passait chez la gent misérable,

Non pour un chat, mais pour un diable.
Or un jour qu'au haut et au loin

Le galant alla chercher femme,

Pendant tout le sabat qu'il fit avec sa dame,
Le demeurant des rats tint chapitre en un coin
Sur la nécessité présente.

Dès l'abord, leur doyen, personne fort prudente,
Opina qu'il fallait, et plutôt que plus tard,
Attacher un grelot au cou de Rodilard;

Qu'ainsi, quand il irait en guerre,

De sa marche avertis ils s'enfuiraient sous terre;

Qu'il n'y savait que ce moyen.

Chacun fut de l'avis de monsieur le doyen:
Chose ne leur parut à tous plus salutaire.
La difficulté fut d'attacher le grelot.

L'un dit, Je n'y vas point, je ne suis pas si sot:
L'autre, Je ne saurais. Si bien que sans rien faire
On se quitta. J'ai maints chapitres vus,

Qui pour néant se sont ainsi tenus; Chapitres, non de rats, mais chapitres de moines Voire chapitres de chanoïnes.

Ne faut-il que délibérer?

La cour en conseillers foisonne :

Est-il besoin d'exécuter?

L'on ne rencontre plus personne.

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Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe.

UN loup disait que l'on l'avait volé.

Un renard, son voisin, d'assez mauvaise vie,
Pour ce prétendu vol par lui fut appelé.

Devant le singe il fut plaidé,

Non point par avocats, mais

par chaque partie.

Thémis n'avait point travaillé,

De mémoire de singe, à fait plus embrouillé.

Le magistrat suait en son lit de justice.

Après

Après qu'on eut bien contesté,
Répliqué, crié, tempêté,

Le juge, instruit de leur malice,

Leur dit: Je vous connais depuis long-temps, amis;
Et tous deux vous pairez l'amende :

Car toi, loup, tu te plains, quoiqu'on ne t'ait rien pris;
Et toi, renard, as pris ce que l'on te demande.
Le juge prétendait qu'à tort et à travers,
On ne saurait manquer, condamnant un pervers.

Quelques personnes de bon sens ont cru que l'impossibilité et la contradiction qui est dans le jugement de ce singe, était une chose à censurer; mais je ne m'en suis servi qu'après Phèdre. C'est en cela que consiste le bon mot,

selon mon avis.

FABLE I V.

Les deux Taureaux et la Grenouille.

DEUX taureaux combattaient à qui posséderait
Une génisse avec l'empire.
Une grenouille en soupirait.
Qu'avez-vous? se mit à lui dire
Quelqu'un du peuple croassant.
Eh! ne voyez-vous pas, dit-elle,
Que la fin de cette querelle

Sera l'exil de l'un; que l'autre le chassant

T. 3.

C

Le fera renoncer aux campagnes fleuries?
Il ne régnera plus sur l'herbe des prairies,
Viendra dans nos marais régner sur les roseaux,
Et,nous foulant aux pieds jusques au fond des eaux,
Tantôt l'une,et puis l'autre ; il faudra qu'on pâtisse
Du combat qu'a causé madame la génisse.

Cette crainte était de bon sens.

L'un des taureaux en leur demeure
S'alla cacher à leurs dépens;
Il en écrasait vingt par heure.

Hélas! on voit que de tout temps
Les petits ont pâti des sottises des grands.

FABLE V.

La Chauve-souris et les deux Belettes.

UNE

NE chauve-souris donna tête baissée

Dans un nid de belette; et sitôt qu'elle y fut,
L'autre envers les souris dès long-temps courroucée,
Pour la dévorer accourut.

Quoi! vous osez, dit-elle, à mes yeux vous produire,
Après que votre race a tâché de me nuire!
N'êtes-vous pas souris ? parlez sans fiction.
Oui, vous l'êtes; ou bien je ne suis pas
Pardonnez-moi, dit la pauvrette,
Ce n'est pas ma profession.

belette.

Moi souris ! des méchans vous ont dit ces nouvelles.

Grace à l'auteur de l'univers,
Je suis oiseau; voyez mes ailes:
Vive la gent qui fend les airs!
Sa raison plut, et sembla bonne.
Elle fait si bien, qu'on lui donne
Liberté de se retirer.

Deux jours après, notre étourdie
Aveuglément se va fourrer

Chez une autre belette aux oiseaux ennemie.
La voilà de rechef en danger de sa vie.
La dame du logis avec son long museau,
S'en allait la croquer en qualité d'oiseau;
Quand elle protesta qu'on lui faisait outrage.
Moi, pour telle passer! vous n'y regardez pas.
Qui fait l'oiseau? c'est le plumage.
Je suis souris : vivent les rats!
Jupiter confonde les chats!
Par cette adroite répartie
Elle sauva deux fois sa vie.

Plusieurs se sont trouvés qui d'écharpe changeans
Aux dangers, ainsi qu'elle, ont souvent fait la figue.
Le sage dit, selon les gens,

Vive le roi! vive la ligue!

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