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FABLE XXII, page 27.

Je ne connais rien de plus parfait que cet Apologue. Il faudrait insister sur chaque mot pour en faire sentir les beautés. L'auteur entre en matière sans prologue, sans morale. Chaque mot que dit le chêne fait sentir au roseau sa faiblesse.

V. 3. Un roitelet pour vous est un pesant fardeau.

Le moindre vent qui d'aventure

Fait rider la face de l'eau, etc.

Et puis tout d'un coup l'amour-propre lui fait prendre le style le plus pompeux et le plus poétique.

V. 8. Cependant que mon front au Caucase pareil,

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Puis vient le tour de la pitié qui protège, et d'un orgueil mêlé de bonté.

V. 12. Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage

Dont je couvre le voisinage.

Enfin il finit par s'arrêter sur l'idée la plus affligeante pour le roseau, et la plus flatteuse pour lui-même.

V. 18. La nature envers vous me semble bien injuste.

Le roseau dans sa réponse rend d'abord justice à la bonté du cœur que le chêne a montrée. En effet, il n'a pas été trop impertinent, et il a rendu aimable le sentiment de sa supériorité. Enfin le roseau refuse sa protection, sans orgueil, seulement parce qu'il n'en a pas besoin :

V. 22. Je plie et ne romps pas.

Arrive le dénouement; La Fontaine décrit l'orage avec la pompe de style que le chêne a employée en parlant de lui-même.

V. 27. Le plus terrible des enfans

Que le Nord eût porté jusque-là dans ses flancs.

V. 30 Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la téte au ciel était voisine,

Et dont les pieds, touchaient à l'empire des morts.

Remarquez que La Fontaine ne s'amuse pas plus à moraliser à la fin de sa fable qu'au commencement. La morale, est toute entière

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dans le récit du fait. Cet Apologue est non-seulement le meilleur de ce premier livre, mais il n'y en a peut-être pas de plus achevé dans La Fontaine. Si l'on considère qu'il n'y a pas un mot de trop, pas un terme impropre, pas une négligence; que dans l'espace de trente vers, La Fontaine en ne faisant que se livrer au courant de sa narration, a pris tous les tons, celui de la poésie la plus gra cieuse, celui de la poésie la plus élevée; on ne craindra pas d'affirmer qu'à l'époque où cette fable parut, il n'y avait rien de ce ton là dans notre langue. Quelques autres fables, comme celle des animaux malades de la peste, présentent peut-être des leçons plus importantes, offrent des vérités qui ont plus d'étendue, mais il n'y en a pas d'une exécution plus facile.

LIVRE DEUXIÈME.

FABLE IV, page 33.

V. 10. Il ne régnera plus, etc. Voici encore un exemple de l'artifice et du naturel avec lequel La Fontaine passe du ton le plus simple à celui de la haute poésie. Avec quelle grace il revient au style familier, dans les vers suivans.

V. 13.

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. Il faudra qu'on pâtisse

Du combat qu'a causé madame la genisse.

Madame mot qui donne de l'importance à la genisse. Ce vers rappele celui de Virgile (Géorg. liv. 3.) Pascitur in magnâ silvâ formosa juvenca. Cette remarque de Chamfort n'a point échappé au C. Sélis dans l'une de ses intéressantes séances.

FABLE V, page 34.

Cette fable est très-jolie on ne peut en blàmer que la morale.

V. 33. Le sage dit, selon les gens,

Vive le roi! vive la ligue!

Ce n'est point le sage qui dit cela, c'est le fourbe, et même le fourbe impudent. Quel parti devait donc prendre La Fontaine ? Celui de ne pas donner de morale du tout.

Solon décerna des peines coutre les citoyens qui, dans un temps

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de troubles, ne se déclareraient pas ouvertement pour un des partis : son objet était de tirer l'homme de bien d'une inaction funeste, de le jeter au milieu des factieux et de sauver la république par l'ascendant de la vertu.

Il paraît bien dur de blâmer la chauve-souris de s'être tirée d'affaire par un trait d'esprit et d'habileté, qui même ne fait point de mal à son ennemie la belette, mais La Fontaine a tort d'en tirer la conclusion qu'il en tire.

Il y a des questions sur lesquelles la morale reste muette et ne peut rien décider. C'est ce que l'Aréopage donna bien à entendre dans une cause délicate et embarrassante dont le jugement lui fut renvoyé. Le tribunal ordonna, sans rien prononcer, que les deux parties eussent à comparaître de nouveau dans cent ans.

FABLE V I, page 36.

V. 1. Flèche empennée. Le mot empennée n'est point resté dans la langue; c'est que nous avons celui d'emplumée, que l'auteur aurait aussi bien fait d'employer.

V. 9. Des enfans de Japet, etc. La Fontaine se contente d'indiquer d'un seul mot le point d'où sont partis tous les maux de l'humanité.

FABLE VII, page 36.

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Cette fable, très-remarquable par la leçon qu'elle donne ne l'est dans son exécution que par son élégante simplicité.

La morale de cet Apologue est si évidente, que le goût ordonnait peut-être de ne pas y joindre d'affabulation; c'est le nom qu'on donne à l'explication que l'auteur fait de sa fable.

FABLE VIII, page 37.

Cette fable est une des plus heureuses et des mieux tournées. V. 19. Ses œufs, ses tendres œufs, etc. Il semble que l'âme de La Fontaine n'attend que les occasions de s'ouvrir à tout ce qui peut être intéressant. Ce vers est d'une sensibilité si douce, qu'il fait plaindre l'aigle, malgré le rôle odieux qu'elle joue dans cette fable.

FABLE IX, page 39.

V. 36. J'en vois deux, etc. tant pis. Une bonne fable ne doit offrir qu'une seule moralité, et la mettre dans toute son évidence. Au reste, ce

qui peut justifier La Fontaine, c'est que ces deux vérités sont si près l'une de l'autre, que l'esprit les réduit aisément à une moralité seule et unique.

FABLE X, page 41.

V. 1. Un ânier, son sceptre à la main,
Menait en empereur Romain

Deux coursiers à longues oreilles.

Il y a bien de l'esprit et du goût à savoir tout annoblir sans donner aux petites choses une importance ridicule. C'est ce que fait La Fontaine en mêlant la plaisanterie à ses périphrases les plus poétiques ou à ses descriptions les plus pompeuses.

V. 21. Camarade épongier.

Epongier. Mot créé par La Fontaine, mais employé si heureusement, qu'on croirait qu'il existait avant lui.

FABLES XI et X II, pages 42 et 43.

Ces deux fables ne comportent aucune espèce de notes, n'étant remarquables ni par de grandes beautés, ni par aucun défaut. C'est la simplicité et la pureté de Phèdre avec un peu plus d'élégance.

FABLE XIII, page 44.

Encore une fable qui n'est point fable. Un trait que La Fontaine raconte en quatre vers, lui donne lieu de causer avec son lecteur, mais pour le jeter dans des questions métaphysiques auxquelles il n'entendait pas grand-chose. De là il fait une sortie contre l'astrologie judiciaire, qui de son temps n'était pas encore tombée toutà-fait.

V. 21. Aurait-il imprimé, etc.

Voilà deux vers qui ne dépareraient pas le poëme écrit du style le plus haut et le plus soutenu.

V. 40. Emmenez avec vous les souffleurs tout d'un temps.

Les souffleurs, c'est-à-dire les alchymistes, dont la science est à la chymie ce que l'astrologie judiciaire est à l'astronomie.

FABLE XIV, page 46.

V. 2. Car que faire en un gîte, à moins que l'on ne songe?

Ce vers est devenu proverbe à cause de son extrême naturel, sans qu'on puisse voir d'ailleurs ce qui a fait sa fortune.

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V. 29. Et d'où me vient cette vaillance.

Il se croit déja brave, et son amour-propre devient son consolateur. Voilà ce me semble la pensée dont il fallait achever le développement; et c'est ce que l'auteur ne fait pas. Au contraire, le lièvre qui vient de parler de sa vaillance, parle de sa poltronerie dans les deux derniers vers. On pourrait, pour sauver cette faute et cette contradiction, supposer que le lièvre finit de parler après ce ver

Je suis donc un foudre de guerre ?

vers:

et que c'est La Fontaine qui dit en son propre nom les deux vers suivans; mais cette conjecture n'est pas assez fondée.

FABLE X V, page 47.

Il fallait ce me semble que le renard commençât par dire au coq: eh, mon ami, pourquoi n'étais-tu pas aux fêtes qu'on a données pour la paix qui vient de se conclure? Dans ce vers, nous ne sommes plus en querelle, le renard n'a l'air que de proposer la paix :

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Ces deux petits vers inégaux ne sont qu'une pure négligence, et ne font nullement beauté.

V. 19. Et ce m'est une double joie

De la tenir de toi, etc.....

Les ressemblances de son déplaisent à l'oreille.

V. 29. Mal-content, etc. On dirait aujourd'hui mécontent.
V. 32. Car c'est double plaisir de tromper le trompeur.

Le coq ne trompe pas le renard, il le joue, il se moque de lui.
FABLE X V I, page 48.

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Cette expression montre la finesse d'esprit de La Fontaine. Les dieux étaient supposés respirer l'odeur des sacrifices, mais non pas manger les victimes. La Fontaine, par ce mot de la bouche des dieux, indique leurs représentans qui avaient soin de choisir les victimes les plus belles et les plus grasses.

Les quatre derniers vers sont charmans; le second et le quatrième sont devenus proverbes. Ce rapport de sons répété deux fois entre la rime de cure et celle de eurs les gâte un peu à la lecture.

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