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reçu de la nature ce don si rare ? Qui a mieux éprouvé les illusions du sentiment? Avec quel intérêt, avec quelle bonne foi naïve, associant dans un même recueil plusieurs de ses immortels écrits à la traduction de quelques harangues anciennes, ouvrage de son ami Maucroix, ne se livre-t-il pas à l'espérance d'une commune immortalité? Que mettre au-dessus de son dévouement à ses amis, si ce n'est la noble confiance qu'il avait lui-même en eux? O vous, messieurs, vous qui savez si bien, puisque vous chérissez sa mémoire, sentir et apprécier ce charme inexprimable de la facilité dans les vertus, partage des mœurs antiques; qui de vous, allant offrir à son ami l'hospice de sa maison, n'éprouverait l'émotion la plus douce et même le transport de la joie, s'il en recevait cette réponse aussi attendrissante qu'inattendue, j'y allais ? Ce mot si simple, cette expression si naïve d'un abandon sans réserve est le plus digne hommage rendu à l'humanité généreuse; et jamais bienfaiteur, digne de l'être, n'a reçu une si belle récompense de son bienfait.

Telle est l'image que mes faibles yeux ont pu saisir de ce grand homme, d'après ces ouvrages mêmes, plus encore que d'après une tradition récente, mais qui trop souvent infi

dèle, s'est plu, sur la foi de quelque plaisanteries de société, à montrer, comme un jeu bizarre de la nature, un homme qui en fut véritablement un prodige, qui offrit le singulier contraste d'un conteur trop libre, et d'un excellent moraliste; reçut en partage l'esprit le plus fin qui fut jamais, et devint en tout le modèle de la simplicité; posséda le génie de l'observation, même de la satire, et ne passa jamais que pour un bon homme; déroba, sous l'air d'une négligence quelquefois réelle, les artifices de la composition la plus savante; fit ressembler l'art au naturel, souvent même à l'instinct; cacha son génie par son génie même tourna au profit de son talent, l'opposition de son esprit et de son âme, et fut dans le siècle des grands écrivains, sinon le premier, du moins le plus étonnant. Malgré ses défauts, observés même dans son éloge, il sera toujours le plus relu de tous les auteurs, et l'intérêt qu'inspirent ses ouvrages s'étendra toujours sur sa personne. C'est que plusieurs de ces défauts mêmes participent quelquefois des qualités aimables qui les avaient fait naître ; c'est qu'on juge l'homme et l'auteur par l'assemblage de ses qualités habituellement dominantes; et La Fontaine désigné de son vivant par l'épithète de bon, resemblance remarquable avec Virgile,

conservera, comme écrivain, le surnom d'inimitable, titre qu'il obtint avant d'être tout-àfait apprécié, titre confirmé par l'admiration d'un siècle, et devenu, pour ainsi dire, inséparable de son nom.

ÉPITRE A CHAMFORT,

Sur son Eloge de La Fontaine, couronné à l'Académie de Marseille.

Qu

Par DOR A T.

UELQUE part que soit le bon homme;
Dieu le sait, moi je n'en sais rien;

Je suis sûr qu'il te veut du bien,
Et qu'il sourit quand on te nomme.
Le voilà ce cher paresseux,

Si négligé pendant sa vie,
Elevant son front radieux,

Que couronne une académie !
On sait enfin l'apprécier !

Dans son portrait sa grace éclate,
Et la louange délicate

Rafraîchit encor son laurier.

Tu nous mets dans la confidence
De ses pacifiques honneurs,
Et nous découvre l'alliance
De ses talens avec ses mœurs.
Très-finement tu nous exposes

Le mystère de ses Ecrits,

Et les fleurs que tu décomposes
Ne perdent point leur coloris.

Tu nous peint sa philosophie,
Qui fut un instinct précieux,
Sa nonchalante bonhomie;

Un sens droit caché sous les jeux,
Une foule de mots heureux,
Qui font rire jusqu'à l'envie ;
Sa piquante naïveté,

Et sa simplesse et sa gaieté,
Et la bêtise du génie.

Du fond des immortels réduits,
A cette heure il te dit peut-être :
Ma foi je ne croyais pas être
Si grand homme que je le suis.
Quoi ! là-haut encore on me cite,
Moi, très-modeste fablier!
Vous venez de m'initier

Dans le secret de mon mérite.
Si c'est un piége qu'on me tend,
C'est avec plaisir que j'y donne.
Dans ce beau portrait qui m'étonne,
L'esprit se montre à chaque instant;
Et je crois, Dieu me le pardonne,
Que mes renards n'en ont pas tant.

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CETTE fable est une des plus faibles de La Fontaine. Elle n'est

très-citée que parce qu'elle est la première. La fourmi qui paiera l'intérêt et le principal. Je chantais, eh bien dansez maintenant. La brièveté la plus concise vaudrait mieux que ces prétendus ornemens.

V. 15. La fourmi n'est pas préteuse ;
C'est là son moindre défaut.

Il y a là une équivoque, ou plutôt une vraie faute. La Fontaine veut dire que d'être prêteuse est son moindre défaut, pour faire entendre qu'elle ne l'est pas, et on peut croire qu'il dit que de n'être pas prêteuse est son moindre défaut, c'est-à-dire qu'elle a de bien plus grands défauts que de ne pas prêter.

FABLE II, page 2.

C'est ici qu'on commence à trouver La Fontaine. Le discours du renard n'a que cinq vers, et n'en est pas moins un chef-d'œuvre. Monsieur du corbeau, pour entrer en matière; et à la fin, vous êtes le phénix, etc.

V. 14. Il est plaisant de mettre la morale dans la bouche de celui qui profite de la sottise: c'est le renard qui donne la leçon à celui qu'il a dupé, ce qui rend cette petite scène, en quelque sorte, trale et comique.

théâ

Il est fâcheux que Monsieur rime avec Flatteur, c'est-à dire ne rime pas; mais c'était l'usage alors de prononcer l'r de monsieur.

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