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FABLE XVI.

La Mort et le Bûcheron.

UN
N pauvre
bûcheron, tout couvert de ramée,
Sous le faix du fagot aussi-bien que des ans,
Gémissant et courbé, marchait à pas pesans,
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin n'en pouvant plus d'effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos:
Sa femme, ses enfans, les soldats, les impôts,
Le créancier, et la corvée,

Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu'il faut faire.

C'est, dit-il, afin de m'aider

A recharger ce bois; tu ne tarderas guère.

Le trépas vient tout guérir;
Mais ne bougeons d'où nous sommes :
PLUTÔT SOUFFRIR QUE MOURIR
C'est la devise des hommes.

FABLE

X VI I.

L'Homme entre deux áges et ses deux Maîtresses.

UN homme de moyen âge,

Et tirant sur le grison,
Jugea qu'il était saison

De songer au mariage.
Il avait du comptant,

Et partant

De quoi choisir; toutes voulaient lui plaire: En quoi notre amoureux ne se pressait pas tant; Bien adresser n'est pas petite affaire.

Deux veuves sur son cœur eurent le plus de part:
L'une encor verte ; et l'autre un peu bien mûre,
Mais qui réparait par son art
Ce qu'avait détruit la nature.
Ces deux veuves en badinant,
En riant, en lui faisant fête,
L'allaient quelquefois testonnant,
C'est-à-dire ajustant sa tête.

La vieille, à tout moment, de sa part emportait
Un peu de poil noir qui restait,

Afin que son amant en fût plus à sa guise.
La jeune saccageait les poils blancs à son tour.
Toutes deux firent tant, que notre tête grise
Demeura sans cheveux, et se douta du tour.

Je vous rends, leur dit-il, mille graces, les belles,

Qui m'avez si bien tondu:

J'ai plus gagné que perdu;

Car d'hymen point de nouvelles. Celle que je prendrais voudrait qu'à sa façon Je vécusse, et non à la mienne;

Il n'est tête chauve qui tienne : Je vous suis obligé, belles, de la leçon.

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Le Renard et la Cicogne.

COMPERE le renard se mit un jour en frais,
Et retint à dîner commère la cicogne.

Le régal fut petit et sans beaucoup d'apprêts :
Le galant pour toute besogne

Avait un brouet clair (il vivait chichement).
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette:
La cicogne au long bec n'en put attraper miette;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,

A quelque temps de-là, la cicogne le prie.
Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie.

A l'heure dite, il courut au logis
De la cicogne son hôtesse;
Loua très fort sa politesse,
Trouva le dîner cuit à point;

Bon appétit sur-tout: renards n'en manquent point. Il se réjouissait à l'odeur de la viande

Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande.
On servit, pour l'embarrasser,

En un vase à long col et d'étroite embouchure.
Le bec de la cicogne y pouvait bien passer ;
Mais le museau du sire était d'autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis,
Honteuxcomme un renard qu'une poule aurait pris,
Serrant la queue, et portant bas l'oreille.

Trompeurs, c'est pour vous que j'écris:
Attendez-vous à la pareille.

FABLE XIX.

L'Enfant et le Maître d'école.
DANS ce récit je prétends faire voir

D'un certain sot la remontrance vaine.

Un jeune enfant dans l'eau se laissa choir,
En badinant sur les bords de la Seine.
Le ciel permit qu'un saule se trouva,
Dont le branchage, après Dieu, le sauva.
S'étant pris, dis-je, aux branches de ce saule,
Par cet endroit passe un maître d'école;
L'enfant lui crie: Au secours ! je péris!
Le magister se tournant à ses cris,
D'un ton fort grave, à contre-temps s'avise

De le tancer. Ah! le petit babouin!
Voyez, dit-il, où l'a mis sa sottise!

Et puis prenez de tels frippons le soin!
Que les parens sont malheureux, qu'il faille
Toujours veiller à semblable canaille!

Qu'ils ont de maux ! et que je plains leuf sort! Ayant tout dit, il mit l'enfant à bord.

Je blame ici plus de gens qu'on ne pense. Tout babillard, tout censeur, tout pédant, Se peut connaître au discours que j'avance. Chacun des trois fait un peuple fort grand: Le créateur en a béni l'engeance.

En toute affaire ils ne font que songer

Au moyen d'exercer leur langue. Hé, mon ami! tire-moi du danger; Tu feras après ta harangue.

FABLE X X.

Le Coq et la Perle.

UN jour un coq

détourna

Une perle, qu'il donna
Au beau premier lapidaire,
Je la crois fine, dit-il;

Mais le moindre grain de mil
Serait bien mieux mon affaire.

Un ignorant hérita

D'un manuscrit qu'il porta

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