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il ne consulte que son cœur, et ne s'en laisse imposer ni par de grands mots, ni par de grands noms. Sénèque, en nous conservant le mot de Mécenas, qui veut vivre absolument, dût-il vivre goutteux, impotent, perclus, a beau invectiver contre cet opprobre; La Fontaine ne prend point le change, il admire ce trait avec une bonne foi plaisante; il le juge digne de la postérité. Selon lui, Mécenas fut un galant homme, et je reconnais celui qui déclare, plus d'une fois, vouloir vivre un siècle tout au moins.

Cette même incertitude de principes, il faut en convenir, passa même quelquefois dans sa conduite: toujours droit, toujours bon sans effort, il n'a point à lutter contre lui-même : mais a-t-il un mouvement blâmable, il succombe et cède sans combat. C'est ce qu'on put remarquer dans sa querelle avec Furetière et avec Lulli, par lequel il s'était vu trompé, et comme il dit enquinaudé, car on ne peut dissimuler que l'auteur des fables n'ait fait des opéra peu connus: le ressentiment qu'il conçut contre la mauvaise foi de cet Italien, lui fit trouver dans le peu qu'il avait de bile, de quoi faire une satire violente, et sa gloire est qu'on puisse en être si étonné; mais après ce premier mouvement, redevenu La Fontaine, il reprit son caractère vé

ritable, qui était celui d'un enfant, dont en effet il venait de montrer la colère. Ce n'est pas un spectacle sans intérêt que d'observer les mouvemens d'une âme qui, conservant même dans le monde les premiers traits de son caractère, sembla toujours n'obéir qu'à l'instinct de la nature. Il connut et sentit les passions; et tandis que la plupart des moralistes les considéraient comme des ennemis de l'homme, il les regarda comme le ressort de notre âme, et en devint même l'apologiste. Cette idée, que les philosophes, ennemis des Stoïciens, avaient rendue familière à l'antiquité, paraissait de son temps une idée nouvelle; et si l'Auteur des fables la développa quelquefois avec plaisir, c'est qu'elle était pour lui une vérité de sentiment, c'est que des passions modérées étaient les instrumens de son bonheur. Sans doute le philosophe, dont la rigide sévérité voulut les anéantir en soi-même, s'indignait d'être entraîné par elles, et les redoutait comme l'intempérant craint quelquefois les festins. La Fontaine, défendu par la nature contre le danger d'abuser de ses dons, se laissa guider sans crainte à des penchans qui l'égarèrent quelquefois, mais sans le conduire au précipice. L'amour, cette passion qui parmi nous se compose de tant d'autres, reprit dans son âme sa simplicité naturelle : fidèle à l'objet

de son goût, mais inconstant dans ses goûts, il paraît que ce qu'il aima le plus dans les femmes, fut celui de leurs avantages dont elles sont ellesmêmes le plus éprises, leur beauté. Mais le sentiment qu'elle lui inspira, doux comme l'âme qui l'éprouvait, s'embellit des grâces de son esprit, et la plus aimable sensibilité prit le ton de la galanterie la plus tendre. Qui a jamais rien dit de plus flatteur pour le sexe, que le sentiment exprimé dans ces vers?

Ce n'est point près des rois que l'on fait sa fortune. Quelqu'ingrate beauté, qui nous donne des lois, Encore en tire-t-on un souris quelquefois. C'est ce goût pour les femmes dont il parle sans cesse, comme l'Arioste, en bien et en mal, qui lui dicta ses contes, se reproduit sans danger et avec tant de grâces dans ses fables mêmes, et conduisit sa plume dans son roman de Psiché. Cette déesse nouvelle que le conte ingénieux d'Apulée n'avait pu associer aux anciennes divinités de la poésie, reçut de la brillante imagination de La Fontaine une existence égale à celle des dieux d'Hésiode et d'Homère, et il eut l'honneur de créer comme eux une divinité. Il se plut à réunir en elle seule toutes les faiblesses des femmes, et, comme il dit, leurs trois plus grands défauts, la vanité, la curiosité et le trop d'esprit. Mais il l'embellit en même-temps

de

de toutes les grâces de ce sexe enchanteur. Il la place ainsi au milieu des prodiges de la nature et de l'art, qui s'éclipsent tous auprès d'elle. Ce triomphe de la beauté, qu'il a pris tant de plaisir à peindre, demande et obtient grace pour les satyres qu'il se permet contre les femmes, satyres toujours générales; et dans cette Psiché même, il place au Tartare

Ceux dont les vers ont noirci quelque belle.

Aussi ses vers et sa personne furent-ils également accueillis de ce sexe aimable, d'ailleurs si bien vengé de la médisance par le sentiment qui en fait médire. On a remarqué que trois femmes furent ses bienfaitrices, parmi lesquelles il faut compter cette fameuse duchesse de Bouillon, qui, séduite par cet esprit de parti, fléau de la littérature, se déclara si hautement contre Racine; car ce grand tragique, qu'on a depuis appelé le poëte des femmes, ne put obtenir le suffrage des femmes les plus célèbres de son siècle, qui toutes s'intéressaient à la gloire de La Fontaine. La gloire fut une de ses passions les plus constantes. Il nous l'apprend lui-même ;

Un vain bruit et l'amour ont occupé mes ans :

et dans les illusions de l'amour même, cet autre sentiment conservait des droits sur son cœur: Adieu plaisir, honneurs, louange bien aimée,

T. 3.

s'écriait-il dans le regret que lui laissent les momens perdus pour sa réputation. Ce ne fut pas sans doute une passion malheureuse; il jouit de cette gloire si chère, et ses succès le mirent au nombre de ces hommes rares à qui le suffrage public donne le droit de se louer euxmêmes sans affliger l'amour-propre d'autrui. Il faut convenir qu'il usa quelquefois de cet avantage; car tout étonnant que paraît La Fontaine, il ne fut pourtant pas un poëte sans vanité. Mais ne se louant que pour promettre à ses

amis

Un temple dans ses vers,

pour rendre son
encens plus digne d'eux; sa
vanité même devint intéressante, et ne parut
que l'aimable épanchement d'une âme naïve,
qui veut associer ses amis à sa renommée. Ne
croirait-on pas encore qu'il a voulu réclamer
contre les portraits qu'on s'est permis de faire
de sa personne, lorsqu'il ose dire,

Qui n'admettrait Anacréon chez soi?
Qui bannirait Waller et La Fontaine ?

Est-il vraisemblable, en effet, qu'un homme admis chez les Conti, les Vendôme, et parini tant de sociétés illustres, fût tel que nous le représente une exagération ridicule, sur la foi de quelques réponses naïves échappées à ses dis

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