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FABLE X V I.

Le Serpent et la Lime.

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ON
N conte qu'un serpent, voisin d'un horloger,
(C'était pour l'horloger un mauvais voisinage,)
Entra dans sa boutique, et cherchant à manger
N'y rencontra pour tout potage,
Qu'une lime d'acier qu'il se mit à ronger.
Cette lime lui dit, sans se mettre en colère :
Pauvre ignorant! eh! que prétends-tu faire?
Tu te prends à plus dur
Petit serpent à tête folle ;
Plutôt que d'emporter de moi
Seulement le quart d'une obole,
Tu te romprais toutes les dents :
Je ne crains que celles du temps.

que

toi,

Ceci s'adresse à vous, esprits du dernier ordre, Qui,n'étant bons à rien,cherchez sur tout à mordre: Vous vous tourmentez vainement.

Croyez-vous que vos dents impriment leurs outrages Sur tant de beaux ouvrages?

Ils sont pour vous d'airain, d'acier, de diamant.

FABLE XVI I.

Le Lièvre et la Perdrix.

IL ne se faut jamais moquer des misérables:
Car, qui peut s'assurer d'être toujours heureux?
Le sage Esope, dans ses fables,
Nous en donne un exemple ou deux.
Celui qu'en ces vers je propose,

Et les siens, ce sont même chose.

Le lièvre et la perdrix, concitoyens d'un champ,
Vivaient dans un état, ce semble, assez tranquille:
Quand une meute s'approchant,

Oblige le premier à chercher un asyle.

Il s'enfuit dans son fort, met les chiens en défaut,
Sans même en excepter Brifaut.

Enfin il se trahit lui-même

Par les esprits sortant de son corps échauffé.
Miraut, sur leur odeur ayant philosophé,

Conclut que c'est son lièvre ; et d'une ardeur extrême,
11 le pousse ; et Rustaut, qui n'a jamais menti,

Le

Dit que le lièvre est reparti.

pauvre malheureux vient mourir à son gîte. La perdrix le raille et lui dit:

Tu te vantais d'être si vîte ;

Qu'as-tu fait de tes pieds? Au moment qu'elle rit,

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Son tour vient, on la trouve. Elle croit que ses ailes
La sauront garantir à toute extrêmité :

Mais la pauvrette avait compté
Sans l'autour aux serres cruelles.

FABLE XVIII.

L'Aigle et le Hibou.

L'AIGLE et le chat-huant leurs querelles cessèrent;
Et firent tant qu'ils s'embrassèrent.

L'un jura foi de roi, l'autre foi de hibou,
Qu'ils ne se goberaient leurs petits peu ni prou.
Connaissez-vous les miens?dit l'oiseau de Minerve.
Non, dit l'aigle. Tant pis, reprit le triste oiseau.
Je crains en ce cas pour
leur peau :

C'est hasard, si je les conserve.

Comme vous êtes roi, vous ne considérez

Qui ni quoi: rois et dieux mettent, quoi qu'on leur die,
Tout en même catégorie.

Adieu mes nourrissons, si vous les rencontrez.
Peignez-les moi, dit l'aigle, ou bien me les montrez;
Je n'y toucherai de ma vie.

Le hibou répartit: Mes petits sont mignons,
Beaux,bienfaits,et jolis sur tous leurs compagnons:
Vous les reconnaîtrez sans peine à cette marque,
N'allez pas l'oublier: retenez-la si bien,

Que chez moi la maudite parque

N'entre point par votre moyen.

Il avint qu'au hibou Dieu donna géniture:
De façon qu'un beau soir qu'il était en pâture,
Notre aigle apperçut d'aventure,

Dans les coins d'une roche dure,
Ou dans les trous d'une masure,
(Je ne sais pas lequel des deux)
De petits monstres fort hideux,

Rechignés, un air triste, une voix de mégère.
Ces enfans ne sont pas, dit l'aigle, à notre ami:
Croquons-les. Le galant n'en fit
pas à demi
Ses repas ne sont point repas à la légère.
Le hibou, de retour, ne trouve que les pieds
De ses chers nourrissons, hélas ! pour toute chose.
Il se plaint; et les dieux sont par lui suppliés
De punir le brigand qui de son deuil est cause.
Quelqu'un lui dit alors : N'en accuse que toi,
Ou plutôt la commune loi,

Qui veut qu'on trouve son semblable
Beau, bienfait, et sur tous aimable.
Tu fis de tes enfans à l'aigle ce portrait :
En avaient-ils le moindre trait?

LE

FABLE XIX.

Le Lion s'en allant en guerre.

E lion dans sa tête avait une entreprise.
Il tint conseil de guerre, envoya ses prévôts,
Fit avertir les animaux :

Tous furent du dessein, chacun selon sa guise.
L'éléphant devait sur son dos
Porter l'attirail nécessaire,

Et combattre à son ordinaire :
L'ours s'apprêter pour les assauts:
Le renard ménager de certaines pratiques;
Et le singe amuser l'ennemi par ses tours.
Renvoyez, dit quelqu'un, les ânes, qui sont lourds;
Et les lièvres, sujets à des terreurs paniques.
Point du tout, dit le roi, je les veux employer.
Notre troupe sans eux ne serait pas complette.
L'âne effraiera les gens,nous servant de trompette;
Et le lièvre pourra nous servir de courier.

Le monarque prudent et sage

De ses moindres sujets sait tirer quelque usage, Et connaît les divers talens.

Il n'est rien d'inutile aux personnes de sens.

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