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fois que reparaîtra ce personnage épisodique dont l'intervention sert à varier et à embellir les récits. Crésus donc pleura; Cambyse se sentit aussi ému de pitié; il ordonna de sauver le fils de Psamménite; mais il n'était plus temps. Le jeune prince venait d'être exécuté le premier.

Psamménite fut épargné : il ne tenait qu'à lui de vivre, comme un autre Crésus, à la cour de Perse, peut-être même de recouvrer l'exercice de quelque pouvoir en Égypte; car les Perses ont toujours eu des égards et même de la vénération pour les familles royales, déchues et soumises. Mais on soupçonna Psamménite d'avoir cherché à troubler l'État par des manœuvres secrètes, genre d'accusation qui n'est jamais difficile, et qui menace particulièrement les princes vaincus et détrônés. Les vainqueurs ont à redouter d'autres périls, dont le plus affreux est la tentation d'être inhumain; et Cambyse y succomba plus qu'aucun autre, si nous en croyons les récits qui remplissent une partie de ce livre. Il condamna Psamménite à boire du sang de taureau, jusqu'à ce que mort s'ensuivît. Puis il se transporta de Memphis à Saïs, où Amasis était enseveli. Le cadavre exhumé fut battu de verges; on lui arracha les cheveux, on le perça de toutes parts à coups d'aiguilles; il subit tous les genres d'outrages; mais, embaumé et desséché, il offrait trop de résistance aux coups dont on l'accablait; Cambyse ordonna de le brûler. C'était une profanation même aux yeux des Perses, qui regardent le feu comme un dieu auquel on ne peut, sans impiété, associer un vil cadavre. De leur côté, les Égyptiens voyaient dans le feu une bête féroce qui vit pour dévorer tout ce

ne

qu'elle saisit, et qui meurt avec les objets qu'elle a engloutis. S'il n'était pas permis d'exposer un défunt aux morsures d'un animal quelconque, si l'on devait le préserver même des vers, que fallait-il penser de la combustion, c'est-à-dire de l'exposition à la bête la plus horrible? On dit plus: on assure que les Égyptiens purent jamais consentir à croire que leur roi Amasis eût été ainsi traité; c'était une autre momie que la sienne qui avait reçu tant d'insultes. De son vivant, Amasis, instruit par un devin, des outrages posthumes qui lui étaient réservés, avait pris des mesures pour que son corps fût placé dans le lieu le plus profond et le plus secret de son royal tombeau, et pour qu'on mît à l'entrée, dans la chambre sépulcrale, le corps d'un autre Égyptien, de même taille et de même âge, décédé en même temps que lui. C'était sur ce faux cadavre d'Amasis que les Perses avaient exercé leurs fureurs. Hérodote ne rapporte ce conte que pour déclarer qu'il n'y croit point; mais, dans le récit qu'il nous a nous a fait auparavant, il y a une circonstance qui embarrasse les commentateurs; c'est l'article des cheveux arrachés, après qu'il nous a dit les Égyptiens se rasaient la tête. Cette particularité a occupé les loisirs de plusieurs savants, par exemple de M. Creuzer. Ce qui est certain, c'est que les momies égyptiennes qu'on a examinées et décrites ont toutes des cheveux. Les seuls points véritablement historiques sont que le roi de Perse a vaincu, détrôné Psamménite; qu'il a cruellement abusé de sa victoire, et que dans le cours de ses ignobles vengeances, il a fort bien pu violer le tombeau d'Amasis.

que

Une fois maître de l'Égypte, il résolut de porter

la guerre chez trois nations, les Carthaginois, les Ammoniens, et les Éthiopiens-Macrobiens qui habitaient les bords de la mer australe de Libye. Il devait employer sa flotte contre Carthage, attaquer par terre les Ammoniens avec une partie de ses troupes, et envoyer en Éthiopie des espions, qui, sous prétexte de porter des présents au roi de cette contrée, y prendraient des renseignements, et s'assureraient spécialement s'il y exisrait une Table du soleil. On donnait ce nom à une prairie qui, tous les matins, se trouvait couverte de viandes cuites et succulentes, mises à la disposition de tous les passants, soit qu'elles y fussent secrètement déposées chaque nuit, soit que la terre les produisît d'ellemême, dès qu'elle était frappée des premiers rayons de l'astre du jour. Bien entendu que cette seconde explication était la véritable aux yeux du vulgaire, et la seule doctrine saine qu'il fût permis de professer. Il s'agissait de trouver des espions; c'est ordinairement chose facile; mais il fallait ici une aptitude spéciale. Cambyse fit venir d'Éléphantine, des Ichthyophages qui parlaient la langue éthiopienne; et, en attendant leur arrivée, il ordonna le départ de la flotte. Les Phéniciens qui la montaient refusèrent leurs services; ils étaient, disaient-ils, liés avec les Carthaginois par les serments les plus solennels. Les Cypriens et d'autres marins se montraient aussi fort peu disposés à partir. Le roi n'osa pas faire violence à des auxiliaires qui s'étaient volontairement associés à son expédition, et sans lesquels son armée navale aurait conservé trop peu de force il renonça au projet de subjuguer Carthage. Les Ichthyophages arrivèrent enfin; il leur donna des instructions et leur remit les présents des

tinés au roi d'Éthiopie; c'étaient un manteau de pourpre, un collier et des bracelets d'or, un vase d'albâtre rempli de myrrhe, et quelques mesures de vin de palmier. Les Éthiopiens avaient une manière fort simple de choisir leur roi: étant tous robustes et d'une taille très-élevée, il déféraient le pouvoir suprême à celui d'entre eux qui joignait à la plus haute stature, la vigueur physique la mieux éprouvée. Celui qui, à ces titres, occupait alors le trône, répondit aux envoyés de Cambyse: « Je sais que vous n'êtes pas venus pour << apporter les présents que vous étalez à mes yeux. Votre << véritable mission est d'espionner mes États. Vous ser « vez un maître qui n'est point un ami de la justice. « S'il l'était, il n'aurait point ambitionné les possessions << d'autrui, et asservi un peuple qui ne lui avait fait << nulle offense. Portez-lui de ma part cet arc, et diteslui que, lorsque les Perses en sauront tendre de pareils, «< il sera temps qu'ils déclarent la guerre aux Éthiopiens<< Macrobiens, pourvu toutefois qu'ils nous soient su«périeurs en nombre. En attendant, recommandez à << Cambyse de rendre grâce aux dieux de ce qu'ils n'ont pas << mis au cœur des Éthiopiens la volonté d'acquérir d'au << tre territoire que celui qu'ils possèdent. » Après avoir achevé cette harangue, le monarque éthiopien détendit Parc, le remit aux envoyés, prit le manteau de pourpre qu'ils lui offraient, et leur demanda comment il avait été fabriqué. Ils lui expliquèrent en quoi consistait la teinture purpurine. « Vos vêtements, leur répondit-il, << sont donc menteurs comme vous-mêmes. » Il qualifia des noms d'entraves et de chaînes les colliers et les bracelets d'or. Le vin seul lui parut digne de son attention; il en but, le trouva bon, demanda quel était

l'aliment solide le plus habituel chez les Perses; et, s'étant fait expliquer ce que c'était que le pain, et combien d'années vivaient ceux qui en mangeaient : « Je ne << suis pas surpris, dit-il, que des gens qui se nourris« sent de fumier, ne puissent pas vivre au delà de qua<< tre-vingt ans ; ils n'atteindraient pas même ce terme, << sans cette liqueur que vous avez là, et qui est réelle<< ment excellente : en ce point, je le dois confesser, les << Perses surpassent les Éthiopiens. » Il ajouta néanmoins que ceux-ci, en buvant du lait et en mangeant des viandes cuites, vivaient d'ordinaire cent vingt ans, et quelquefois davantage. Ensuite il fit conduire les espions à une fontaine : ils s'y lavèrent, et leur peau devint luisante. Cette eau répandait une odeur de violette, et demeurait toujours si légère qu'aucun corps n'y pouvait surnager; ce qui ne paraît pas pourtant bien avéré à Hérodote. Les Ichthyophages visitèrent la prison publique et y trouvèrent les prisonniers chargés de chaînes d'or, comme du plus commun et du moins précieux des métaux. On les mena voir la Table du soleil; mais l'historien n'entre sur cet article dans aucun nouveau détail. Les tombeaux éthiopiens sont, dit-on, fabriqués en verre. Après avoir desséché le corps, soit à la manière égyptienne, soit autrement, on l'enduit d'une couche de plâtre sur laquelle on retrace, du mieux qu'on peut, l'image du mort; et on le renferme dans une colonne creuse de verre fossile, apparemment d'une espèce de mica, trèscommune en ce pays. Cette enveloppe est assez transparente pour qu'on puisse apercevoir le mort, et assez compacte pour ne laisser transpirer aucune odeur. Les parents gardent ces colonnes pendant un an dans

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