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d'Horus ou d'Hermès avaient quelque authenticité, ils prouveraient que cette branche d'instruction restait sous l'empire des doctrines sacrées ou mystiques, que par conséquent tous les moyens de se perfectionner et de s'étendre lui devaient être interdits. La jurisprudence, la médecine, toutes les sciences naturelles subissaient ce même joug: l'expérience ne les pouvait délivrer d'aucune erreur, ni les enrichir d'aucune découverte : on avait imprimé une sorte de caractère divin à tous les livres qui renfermaient le savoir public; et trop d'anathèmes menaçaient les innovations, pour que les progrès fussent possibles.

La science du calcul était née; mais, déjà flétrie par le mysticisme, elle attachait aux nombres des propriétés surnaturelles, et communiquait ce travers à la géométrie, dont elle est l'instrument nécessaire. Le besoin de reconnaître les limites des propriétés après les inondations et les entreprises de constructions énormes avaient forcé d'apprendre à mesurer l'étendue et à combiner ses dimensions. Mais rien n'annonce qu'avant l'ouverture de l'école d'Alexandrie, cette étude se fût élevée au-dessus de ce qu'exigeait la simple pratique, ni qu'on eût imaginé aucune des machines qui pouvaient rendre cette pratique elle-même plus sûre, plus rapide, moins pénible et moins dispendieuse. L'astronomie, quoique plus avancée qu'elle ne l'était alors chez les Grecs, se bornait aux résultats apparents des observations immédiates, et se compliquait d'ailleurs d'idées superstitieuses. En un mot, on avait fait les premiers pas dans presque toutes les routes de l'instruction, mais des barrières infranchissables étaient élevées d'avance au milieu de toutes les carrières. La liberté, à la

quelle il appartient de féconder les talents, d'ennoblir les études et les mœurs, de susciter le génie et la vertu, la liberté n'existait nulle part en Égypte. Son emblème n'apparaît jamais dans des monuments innombrables; l'idée en était refoulée au fond des âmes et n'avait probablement pas d'expression dans le langage. Tout ce que nous savons de l'histoire de ce laborieux et industrieux peuple ne présente que servitude ou licence, despotisme, usurpation ou anarchie; et la faute en était sans doute aux institutions beaucoup plus qu'à la na

ture.

Les arts agricoles et les arts mécaniques étaient cultivés avec méthode et non sans succès. Les arts du dessin surtout avaient fait des progrès, dont à cette époque aucune autre contrée du globe n'offre d'exemples attestés par autant de monuments et de vestiges. La conservation et pour ainsi dire l'éternité de ces monuments montre à quel point on avait su diriger et perfectionner les travaux, quoiqu'elle puisse être aussi attribuée en partie à l'heureuse température du climat, à l'innocence et à la bienfaisance de l'air qu'on y respire. On a droit cependant de reprocher à tous ces produits de la sculpture et de l'architecture égyptienne leur caractère plus triste qu'austère, moins grand que colossal, et moins vrai que régulier, leur fastidieuse uniformité, leur pesanteur inflexible. Ils sont quelquefois élégants, ils ne sont jamais gracieux; quand ils ont des intentions morales, ils ne les expriment que faiblement et lourdement. C'est la poésie qui leur manque, parce que l'essor en était entravé par les institutions et les habitudes, peutêtre aussi parce que la nature elle-même, dans la plus belle et la plus riche de ses trois phases, n'offrait point.

assez les modèles du mouvement, des contrastes et de l'activité.

Les Égyptiens, soit qu'ils eussent emprunté leur mythologie, soit qu'ils l'eussent faite, l'avaient laissée froide et massive comme leurs pyramides et leurs colosses: ce sont les Grecs qui ont vivifié les dieux du Nil, qui ont animé Jupiter, Junon, Vénus, Minerve, Vulcain, Apollon et Mercure. Les arts égyptiens, retenus dans le cercle étroit des impressions immédiates, n'avaient pu s'élancer au delà du romantisme, c'est-à-dire de l'enfance; il a fallu un peuple libre pour imprimer à tous les produits de la pensée humaine, et aux superstitions même, le caractère fécond et viril du génie classique.

Nous avons dû, Messieurs, considérer l'Égypte telle qu'elle était avant 525, et ne point transporter dans ses institutions antiques ce qui s'y est introduit sous la domination des Perses, des Grecs ou Macédoniens et des Romains. C'est une distinction qu'il ne faut jamais négliger en étudiant l'histoire de cette contrée, et sans laquelle les descriptions qui en ont été faites peuvent induire en de graves erreurs. La limite nous était tracée par le second livre d'Hérodote, source première de l'instruction que nous nous proposions d'acquérir. Nous allons, dans notre prochaine séance, reprendre les récits de cet historien, dont le troisième livre contient le tableau de l'invasion des Perses en Égypte, et avec quelques épisodes, les annales des règnes de Cambyse et de Darius depuis l'an 526 avant notre ère jusqu'en 512.

DIX-SEPTIÈME LEÇON.

EXAMEN DU Troisième livre. INVASIÓN DES PERRÈGNE DE CAMBYSE.

SES EN ÉGYPte.

-

Amasis régnait encore en Égypte, lorsque le roi de Perse Cambyse, fils de Cyrus, leva une armée formidable, tirée à la fois des anciennes provinces de son royaume et de celles que la soumission des Ioniens et des Éoliens lui avait acquises dans la Grèce. Pourquoi déclarait-il la guerre au roi des Égyptiens? c'est, Messieurs, ce que nous ne savons pas bien, quoique l'historien nous l'explique de trois mauières différentes, ou précisément parce qu'il a plusieurs explications à nous en donner. Aucune de celles qu'il rapporte n'est vraisemblable, mais toutes trois supposent qu'une femme a été la cause ou l'occasion des ravages que l'Égypte a essuyés. Aussi Athénée n'a-t-il point manqué de comprendre cette expédition au nombre de celles qui ont été entreprises pour des femmes, et dont il fait, au XIIIa livre de son Banquet, une très-longue énumération. Premièrement donc on raconte qu'il y avait à la cour de Cambyse un médecin égyptien, jadis arraché, malgré lui, à ses foyers et donné en présent à Cyrus, quand celui-ci avait désiré qu'on lui envoyât, des bords du Nil, l'homme le plus expert à guérir les maladies des yeux. Ce médecin était devenu, on ne dit pas pourquoi, l'ennemi personnel d'Amasis, et, pour lui jouer un mauvais tour, il poussa Cambyse à demander la fille du roi d'Égypte: « Si, se disait-il, Amasis l'accorde, ce sera pour lui un

déplaisir mortel; et, s'il la refuse, je lui aurai suscité <«< un ennemi redoutable. » Amasis, en effet, ne sut trop quel parti prendre. Prévoyant bien que la princesse deviendrait non l'épouse, mais l'une des concubines du roi de Perse, et, d'une autre part, n'osant risquer un trop dangereux refus, il s'avisa d'envoyer, au lieu de sa propre fille, celle d'Apriès son prédécesseur, par lui détrôné, comme nous l'avons vu. Elle s'appelait Nitétis; elle était belle et d'une taille majestueuse; elle partit habillée avec une magnificence royale, et arriva en Perse sous le nom de la fille d'Amasis. Cambyse l'ayant reçue et saluée en cette qualité, «On vous trompe, lui dit-elle; « Amasis ne vous envoie que la fille du roi Apriès, qu'il « a fait périren soutenant des sujets révoltés. » Le roi de Perse entra en fureur, et marcha aussitôt contre l'Égypte; voilà du moins comment les Perses expliquent l'origine de cette guerre. Les Égyptiens font un autre conte, où ce n'est plus Cambyse, mais Cyrus qui demande une princesse égyptienne. Il obtient, en effet, la fille d'Apriès la met au nombre de ses femmes, et a d'elle un fils qui n'est autre que Cambyse même. De cette manière, Cambyse se présente en Égypte comme le petit-fils du roi Apriès, comme le seul héritier légitime du royaume égyptien il revendique un trône qui lui appartient par droit de naissance. Mais une tradition mieux accréditée fait Cambyse fils de Cassandane, fille de Pharnaspe, prince de la tribu des Achéménides. Un troisième récit porte que cette reine Cassandane se plaignait d'être délaissée par Cyrus, depuis qu'il avait attiré près de lui l'Égyptienne Nitétis; que Cambyse encore enfant entendit les plaintes de sa mère Cassandane, lui promit de la venger en saccageant l'Égypte,

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