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QUATORZIÈME LEÇON.

SUITE DE L'EXAMEN DU SECOND LIVRE.

RAPPRO

CHEMENT DE L'Histoire des anCIENS ROIS D'Égypte, telle qu'elle est racontÉE PAR DIODORE DE SIcile et de LA MÊME HISTOIRE CONTENUE DANS HÉ RODOTE.

Messieurs, le second livre d'Hérodote vous a offert un tableau de l'histoire de l'Égypte depuis l'âge le plus lointain jusqu'aux dernières années du règne d'Amasis, qui mourut l'an 526 avant notre ère. Vous n'avez guère aperçu, dans ces récits, que des traditions fabuleuses; la chronologie même en est le plus souvent chimérique ou inexacte; et, si l'historien n'y avait entre-mêlé des descriptions instructives, et de curieux détails sur les mœurs, les lois, les institutions religieuses et civiles, il y aurait eu peu de notions utiles à recueillir dans ce livre. Il nous était cependant indispensable de prendre connaissance même des fictions qu'il renferme, puisqu'elles font partie de ce qu'on est convenu d'appeler histoire ancienne et qu'il vaut encore mieux les lire dans le plus antique ouvrage qui nous les expose que dans les compilations secondaires où elles ont été reproduites et diversement altérées. Après Hérodote, l'écrivain grec qui a parlé le plus au long de l'Égypte est Diodore de Sicile; c'est la principale matière de son livre premier. Je vais, Messieurs, rapprocher ses narrations de celles que vous avez entendues dans nos trois dernières séances. Nous acquerrons ainsi

une idée plus complète de l'état où l'antiquité nous a laissé cette partie d'annales. Mais, comme nous avons principalement pour but de remarquer les variantes, les aspects divers des mêmes faits ou séries de faits, vous prévoyez que cette seconde étude pourra être plus rapide que la première n'a dû l'être, parce que les deux historiens ayant travaillé sur un fonds commun, plusieurs articles se reproduiront, qui nous sont déjà connus, et qui n'auront besoin que d'être sommairement rappelés.

Il sera temps, lorsque nous étudierons tout l'ensemble de l'ouvrage de Diodore, de discuter ce qui concerne sa vie et ses écrits. En ce moment, il nous suffira de savoir qu'il était né à Agyrium en Sicile, avant les exploits et la dictature de Jules César; qu'il a voyagé en Europe, en Asie et en Égypte; qu'il a fait à Rome un séjour assez long pour avoir le droit de se dire un ancien habitant de cette ville; que son grand ouvrage, qui l'a occupé trente ans, ne descend que jusqu'à l'an 60 ou 59 avant notre ère; mais qu'il a vécu probablement jusqu'au milieu du règne d'Auguste. Cet ouvrage, intitulé Bibliothèque, comprenait quarante livres, il n'en reste que les cinq premiers, le onzième et les neuf suivants, avec quelques fragments des autres. Dans l'ouvrage entier, tout l'espace compris entre l'origine des sociétés et l'an 60 avant J. C. était divisé en trois parties; la première jusqu'à la prise de Troie; la seconde jusqu'à la mort d'Alexandre; la troisième jusqu'à Jules César. Nous n'avons à nous occuper maintenant que de la première, et même, dans les cinq livres qu'elle embrasse, que du premier qui est consacré à l'Égypte.

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Je ne m'arrêterai point à la préface, quoiqu'elle con

tienne un éloge de l'histoire fort supérieur à presque tout ce qu'on a écrit sur le même sujet. Mais, en traçant le plan général de ses quarante livres, et en les partageant, comme nous venons de le dire, en trois grandes sections, Diodore nous prévient qu'il n'emploiera aucune chronologie à l'égard des temps qui ont précédé la guerre de Troie, parce qu'aucun monument n'y peut aider à distribuer les faits par années. Toutefois il ajoute que, d'après l'autorité d'Apollodore, il comptera quatre-vingts ans de la prise d'Ilion au retour des Héraclides, de là trois cent vingt-huit jusqu'à la première olympiade, ensuite sept cent trente jusqu'à la guerre des Gaules, dont le commencement tombera en la première année de l'olympiade cent quatre-vingtième, Hérode étant archonte d'Athènes. Ainsi, après la guerre de Troie, il fera l'histoire de onze cent trentehuit années. Les chronologistes ont relevé ici plusieurs erreurs. La guerre des Gaules a commencé, non en la première, mais en la troisième année de la cent quatrevingtième olympiade, année 59 à 58 avant notre ère. D'ailleurs, compter sept cent trente ans de l'ouverture des olympiades jusqu'au commencement de la cent quatre-vingtième est un calcul évidemment faux, puisque quatre fois cent soixante-dix-neuf ne font pas sept cent trente, mais seulement sept cent seize. La méprise est si grossière qu'on l'attribue aux copistes. Quant aux trois cent vingt-huit ans qui remontent de la première olympiade au retour des Héraclides, cette hypothèse en vaut bien une autre, et a été, à un an près, adoptée par Pétau. Placée quatre-vingts ans avant ce retour des Héraclides, la prise de Troie tomberait sur l'an 1184 ou 1184 avant l'ère chrétienne,

et c'est encore le système qui nous a paru le plus probable, lorsque nous examinions ces questions. En ce point, Hérodote et Diodore s'accordent ; seulement il ne resterait plus, entre cette catastrophe et le commencement de la guerre des Gaules, qu'environ onze cent vingt-quatre ans, et non onze cent trente-huit, comme le texte de Diodore l'énonce. Mais la différence n'est pas très-grande, et, si l'on rejette sur les copistes le calcul matériellement erroné qui fait quatre fois cent soixante et dix-neuf égal à sept cent trente, au lieu de sept cent seize, les notions chronologiques que présente ici Diodore de Sicile, approcheront infiniment de l'exactitude.

Nous serions arrêtés par des difficultés bien plus sérieuses, s'il nous fallait discuter tout ce que Diodore, entrant en matière, nous dit de l'éternité du monde; de la vie des premiers hommes; de l'antiquité des Égyptiens, supérieure, suivant lui, à celle de tout autre peuple; de leurs opinions sur le soleil et la lune; de la transformation des astres et des éléments en divinités. Il a soin de nous avertir que toutes ces origines se donnent pour plus anciennes que l'invention des arts auxquels seuls il appartenait d'en transmettre les souvenirs, plus anciennes surtout que l'histoire, le dernier des genres d'écrire qu'on se soit avisé de cultiver. Par cette réflexion judicieuse, il signale, il prévient les dangers des traditions qu'il va recueillir, et dans lesquelles nous devons chercher, non pas assurément l'histoire des choses, mais celle des opinions humaines. Les uns disaient donc que le monde était éternel, et qu'il n'y avait pas eu de premier homme; les autres tiraient du chaos, l'univers, et de la combinaison des

éléments, les animaux et le genre humain. Anaxagore avait enseigné ce second système à Euripide, qui, dans une tragédie que nous n'avons plus, l'exposait en des vers que Diodore cite, et que Terrasson a traduits ainsi :

Tout était confondu; mais le seul mouvement,

Ayant du noir chaos tiré chaque élément,
Tout prit forme; et bientôt la nature féconde
Peupla d'êtres vivants le Ciel, la Terre et l'Onde,
Fit sortir de son sein ses ornements divers

Et donna l'homme enfin pour maître à l'univers.

Les hommes cependant, ces maîtres du monde, ces rois de l'univers, n'étaient que des animaux sauvages, proférant des cris inarticulés, broutant l'herbe des champs incultes, et incapables de se défendre contre des bêtes plus féroces qu'eux-mêmes. Il leur fallut beaucoup de temps pour apprendre à faire du feu, à conserver des fruits, à construire des cabanes et à exprimer leurs grossières idées par une sorte de langage. Mais enfin leurs besoins, leurs passions et les premiers essais de leurs arts amenèrent l'état social. Si vous demandez en quel pays a commencé ainsi le genre humain, on vous répondra que c'est indubitablement dans la fertile Égypte, la seule terre qui d'elle-même produit encore, vous dira-t-on, quelques animaux. N'y voit-on pas des rats sortir du sol, et présenter en dehors la moitié de leur corps toute formée déjà, tandis que l'autre conserve en dedans la nature du limon où elle est engagée? Survint le déluge de Deucalion; et, de deux choses l'une ou bien quelques êtres vivants y échappèrent, et l'Égypte seule a pu leur servir d'asile, parce que, mieux exposée aux rayons du soleil, elle est plus à l'abri des pluies inondantes, ou bien le déluge avait tout anéanti,

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