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cette offrande était un gage des liens d'hospitalité qui unissaient Amasis à Polycrate, fils d'Eacès. Tout devait réussir à un prince si religieusement libéral; il s'empara de l'île de Chypre et la rendit tributaire. En écartant les fables introduites dans son histoire comme dans celles de ses prédécesseurs, il demeure assez probable qu'il a établi, multiplié, resserré entre les Égyptiens et les Grecs des relations commerciales qui semblaient appeler à de plus rapides progrès la civilisation de l'une et de l'autre nation. Mais le roi de Perse, Cambyse, allait bientôt asservir l'Égypte, ainsi qu'Hérodote l'exposera dans le livre troisième.

Vous avez pu, Messieurs, distinguer, dans le second, quatre espèces de détails. Il y en a d'abord de géographiques ou topographiques. Ceux-là fixent l'attention par leur objet, et ils la méritent par leur caractère, car ils sont en général aussi vrais et utiles que variés et pittoresques. Il ne manque même presque rien à leur exactitude, quand Hérodote a vu de ses yeux et observé immédiatement les lieux qu'il décrit. L'équité veut d'ailleurs qu'en jugeant ces descriptions on tienne compte des changements que ces lieux ont éprouvés depuis vingt-trois siècles. De toutes les notes qu'on a faites sur la géographie d'Hérodote, en ce qui concerne l'Égypte et le reste de l'Afrique, les plus instructives sont celles qui remplissent les onze dernières sections de l'ouvrage du major Rennell. On y voit qu'à l'exception des sources du Nil et de quelques autres localités, que tous les anciens ont mal connues et qu'aujourd'hui encore nous parvenons difficilement à bien connaître, Hérodote, en décrivant pour la première fois les contrées égyp

tiennes, les phénomènes naturels et les monuments artificiels qui s'y rencontrent, en avait donné les idées les plus justes qu'il fût alors possible d'acquérir.

Une seconde espèce de notions, très-précieuse aussi dans ce livre, est celle qui a pour objet les coutumes, les institutions, les opinions et pratiques religieuses, les origines mythologiques. Ce qu'en raconte l'historien sur la foi d'autrui n'est pas toujours certain; ses propres observations sont celles d'un esprit attentif et pénétrant. Hésiode et Homère avaient transporté, au sein de la Grèce, le berceau des divinités, et ce système devait plaire à la vanité nationale des Grecs: Hérodote osa leur montrer que leurs dieux, leurs oracles, leurs mystères, étaient empruntés de ceux des Égyptiens. De savoir si ceux-ci ne les tenaient pas de quelque autre peuple, c'est une question plus difficile; mais l'un des grands faits qu'il importe de reconnaître, dans l'étude de la mythologie, est que l'histoire poétique des Grecs n'est, le plus souvent, qu'une contre-épreuve de celle de l'Égypte. Hérodote n'a rien négligé pour jeter ce trait de lumière dans le tableau de l'antiquité. Nous avons à regretter seulement que des motifs qu'il n'expose point, lui aient commandé tant de réserve et de réticences.

Son second livre contient, en troisième lieu, un système chronologique; et, comme en une telle matière, il ne pouvait recueillir que des traditions, nous ne devions pas nous attendre à des résultats sûrs et précis. Cependant il fait encore, entre ces traditions, le meilleur choix peut-être qu'il y eût à faire. Il existe trois principaux systèmes de chronologie égyptienne, celui d'Hérodote, celui de Diodore de Sicile, et celui que les

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chronographes ecclésiastiques et quelques auteurs modernes ont puisé dans des fragments de Manéthon, dans la table des rois d'Égypte rédigée par Ératosthène, et en d'autres débris de livres aujourd'hui perdus. Les deux premiers systèmes, quoique les plus simples, se sous-divisent encore par les différentes interprétations qu'on donne aux textes d'Hérodote et de Diodore. Mais le troisième, qui ne repose point sur une base unique, se diversifia bien davantage. De là tant de catalogues de rois, tant de corps d'annales égyptiennes, qui diffèrent plus ou moins essentiellement. Aussi les auteurs anglais de l'Histoire universelle et Volney lui-même, malgré sa confiance dans Hérodote, ont-ils cru impossible de fixer aucune date, aucune époque, aucune succession avant le règue de Psammitichus. Pour ne parler en ce moment que du système d'Hérodote, le meilleur moyen de s'en former une idée est de prendre pour point fixe la dernière année du règne d'Amasis, 526 avant notre ère, et de remonter de là aux rois précédents. Le nombre d'années qu'Hérodote assigne aux règues d'Apriès, de Psammis, de Néços et de Psammitichus, fait tomber l'avènement de celui-ci et la fin de la dodécarchie vers l'an 671. Mais l'historien nous dit que Psammitichus avait vécu sous le roi éthiopien Sabacos, ce qui rend fort difficile la chronologie des règnes intermédiaires des douze rois et de Séthon. Car il n'y a pas, dans cette dodécarchie et ce règne de Séthon, de quoi rejoindre l'invasion éthiopienne, qui interrompit, vers l'an 1000 ou 950, le règne d'Anysis : l'intervalle est de trois siècles. Avant Anysis régnait Asychis, et, antérieurement, Mycérinus, neveu de Chéphren et fils de Chéops, ses prédécesseurs. Ces trois princes, constructeurs des trois grandes

pyramides, ont régné en tout cent vingt-six ans, savoir, Mycérinus vingt, Chéphren cinquante-six et Chéops cinquante. Il y a là une difficulté, que je vous ai fait observer dans notre dernière séance, et qu'à mon avis, les chronologistes n'ont point assez remarquée. Il est étonnant que Chéphren ait encore cinquante-six ans à vivre après en avoir vécu cinquante sous son frère. Mais enfin, à s'en tenir aux récits et aux calculs d'Hérodote, ces trois pyramides seraient du douzième et du onzième siècle avant l'ère chrétienne. De Chéops nous remontons à Rhampsinite et à Protée, contemporain de la guerre de Troie, vers 1184. Phéron, qui précède, a succédé à Sésostris, qui ne s'élève ainsi qu'au treizième siècle ou à la fin du quatorzième. Son prédécesseur, Moris, touche à celle du quinzième, selon Hérodote. Ce Moeris est le dernier de trois cent trente rois, dont la liste s'ouvre par le nom de Ménès; et, selon le calcul de générations qu'établit l'historien, Ménès serait monté sur le trône vers l'an 12300. Toutefois ce ne serait point encore là le commencement des annales égyptiennes, puisqu'auparavant, trois séries de dieux ou de grands prêtres auraient successivement occupé le trône. Tel est, Messieurs, relativement à l'Égypte, le système chronologique d'Hérodote. On le modifie, en ce qui précède Psammitichus, par des emprunts faits aux deux autres systèmes, et surtout par l'idée de deux ou de plusieurs dynasties parallèles, qui, de Ménès à Sésostris, auraient régné, l'une à Thèbes, l'une à Memphis, quelques autres peut-être ailleurs. Au moyen de cette hypothèse, on rabaisse Ménès au vingt-quatrième, vingt-troisième, ou vingt-deuxième siècle, c'est-à-dire à une époque voisine de celle que

nous assignons au déluge; et l'on relègue d'ailleurs au nombre des fables ce que les prêtres égyptiens racontaient des trois dynasties divines.

Le quatrième et dernier genre de notions répandues dans le second livre d'Hérodote, consiste en récits proprement dits, particuliers, individuels. C'est la partie la moins solide et la moins précieuse; car, si nous exceptons, d'un côté les circonstances purement naturelles, telles que les morts et les naissances, quand elles n'ont rien de merveilleux, de l'autre des entreprises et des travaux attestés par des monuments qui subsistent encore, le surplus des actions et des aventures racontées dans ce livre n'est qu'un amas de fictions indignes d'examen. Le talent de l'historien les embellit: Hérodote a surtout l'art de les entremêler ou plutôt de les enchaîner étroitement aux trois autres espèces d'articles que je viens d'en distinguer. Toutes ces matières concourent à l'unité de sa composition. S'il rejetait toutes les traditions fabuleuses, il lui resterait trop souvent à dire: Croira qui voudra; mais il importe de savoir qu'il a cru tant de merveilles, et qu'avant que l'histoire fût née, de pareils contes en tenaient lieu.

Nous emploierons la prochaine séance à recueillir ce que Diodore de Sicile a écrit sur l'Égypte.

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