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DOUZIÈME LECON.

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SUITE DE L'EXAMEN DU SECOND LIVRE.

CIVILS DE L'Égypte.

USAGES

Messieurs, le tableau qu'Hérodote vous a présenté, dans notre dernière séance, a compris la géographie de l'Égypte, les institutions religieuses de cette contrée, ses dieux, ses fêtes ou panégyries, et ses animaux sacrés : avant d'entamer l'histoire de ses rois, il lui reste à exposer quelques usages civils.

Les Égyptiens, mais principalement ceux qui habitent la partie ensemencée du pays, lui ont paru avoir une instruction historique assez étendue, et supérieure à celle de la plupart des peuples: ils conservent avec soin la mémoire des événements. Ils n'en sont pourtant pas beaucoup plus sages dans leur vie privée; car ils se purgent tous les mois durant trois jours, et croient entretenir leur santé à force de vomitifs et de remèdes. Ils disent qu'ils sont après les Libyens, la plus saine nation de la terre; ce qui viendrait, selon l'historien, de ce que la température varie chez eux moins qu'ailleurs, dans les quatre saisons de l'année. Ils se nourrissent de pains faits avec de la farine du sorgho, et boivent du vin d'orge. Hérodote dit qu'ils n'ont pas de vigne; et cela est vrai, à l'égard des territoires que le Nil arrose: mais la vigne était cultivée dans les parties élevées et à l'abri des inondations. Les Égyptiens mangent certains poissons, tantôt crus et séchés au soleil, tantôt confits dans la saumure : ils mangent aussi des cailles, des canards,

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et quelques autres oiseaux non sacrés. Dans les festins que donnent les riches, on porte autour de la table une figure représentant un homme mort, et l'on dit à chaque convive, en là lui montrant : « Songe à boire << et à te divertir; car, lorsque tu seras mort, il n'en sera plus temps; tu ressembleras à cette image. » L'historien fait ensuite mention de la chanson de Linus, qui se chante aussi en Phénicie et en Chypre : elle porte différents noms chez les divers peuples; mais elle ressemble à celle qui a cours sous celui de Linus, chez les Grecs. Linus est remplacé par Manéros, chez les Égyptiens, qui font de ce personnage un fils unique de l'un de leurs plus anciens rois. La mort de Manéros avant l'âge de puberté fut le sujet de cette complainte antique, dont l'usage s'est perpétué. Je ne pense pas, Messieurs, que ce passage présente les difficultés que les commentateurs ont cru y apercevoir : Hérodote, selon son système général, retrouve en Égypte le Linus des Grecs, non tel en tout point que ceux-ci l'ont fait, mais pouvant en offrir les traits originaux.

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Une autre coutume égyptienne a été transmise aux Spartiates elle consiste en ce que les jeunes gens, lorsqu'ils rencontrent des vieillards, leur cèdent le chemin et se rangent de côté; et que, dans l'intérieur des maisons, ils se lèvent de leurs siéges, dès qu'ils voient entrer un ancien. Mais, ce qui ne se pratique en aucune cité grecque, les Égyptiens, au lieu de se saluer réciproquement dans les voies publiques, s'inclinent en signe d'adoration, et abaissent leurs mains jusqu'aux genoux. Ils portent pour vêtements des tuniques de lin, dont les franges tombent à l'entour des jambes, et, par-dessus, un manteau de laine, avec lequel toutefois

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ils n'entrent pas dans les temples et qu'on n'enterre point avec eux. Sur quoi Hérodote ne manque pas d'observer qu'une loi des mystères orphiques ou bachiques, originaires d'Égypte, défend d'ensevelir les initiés dans un linceul de lin. Les Égyptiens ont déterminé à quel dieu chaque mois, chaque jour est consacré; et, d'après le jour où un homme est né, ils prédisent les événements de sa vie, les circonstances de sa mort; invention dont les poëtes grecs ont aussi hérité. Vous savez, Messieurs, que les plus anciens poëtes étaient devins, et les devins poëtes les oracles se rendaient en vers. Quant à la manière d'appliquer les noms des dieux aux mois et aux jours, Hérodote ne l'explique point, et c'est en recourant à d'autres anciens auteurs, que nous avons étudié cette matière: vous savez que les mois égyptiens s'appelaient Thoth, Phaophi, Athyr (en été); Choiac, Tihi, Méchir (en automne); Phaménoth, Pharmuthi, Pachon (en hiver); Payni, Épiphi, Mésori (au printemps). Thoth et Athyr sont Mercure et Vénus: il n'est pas aussi aisé d'expliquer les dix autres noms; mais on a lieu de penser qu'en général ils rappellent des divinités, bien qu'il subsiste de graves difficultés sur cette correspondance. Vénus ou Athyr, dont le nom était imposé au troisième mois, avait ses principales fêtes dans le onzième, qui lui semblait plus spécialement voué. D'un autre côté, l'année égyptienne étant plus courte d'environ six heures que l'année tropique, ainsi que nous l'avons remarqué dans notre dernière séance, il s'ensuivait que les rapports approximatifs que je viens d'indiquer entre les mois et les saisons, se dérangeaient peu à peu, et qu'un même mois répondait successivement à tous les douze sigues du zodiaque, dans une période

de quatorze cent soixante ans. D'ailleurs, outre les fêtes attachées aux mois, les Égyptiens en avaient trente-six qui cadraient avec des dizaines de jours. Comme ils avaient distribué leur pays en trente-six nomes, ou districts, ou gouvernements, ils divisèrent de même leur année, à l'exception des cinq jours épagomènes, en trente-six décans, mot qui paraît signifier, dans les langues orientales, inspecteur, intendant, préfet, et que, par conséquent, il ne faudrait pas confondre avec décade, quoique, en effet, le mois se trouvât ainsi divisé en trois décades, et l'année en trente-six. Les trente-six décans étaient autant de génies ou divinités secondaires, dont Scaliger et Saumaise ont recueilli les noms : c'est une nomenclature qui s'est fort défigurée dans le cours des âges et qui est restée fort obscure. Outre ces dizaines de jours, les Égyptiens employaient aussi la semaine, ou période hebdomadaire; c'est du moins ce qu'assure Dion Cassius, et ce qu'on pourrait conclure de quelques autres indices. Or, cette semaine était planétaire, elle offrait la série des sept divinités attachées aux sept planètes. Je supprime les développements et les explications de ce système : il n'y a pas longtemps que j'ai eu occasion de vous les présenter (1). Vous avez vu comment les heures, et par suite les jours, ont pris les noms de Saturne, du Soleil ou Hélios, de la Lune, de Mars, Mercure, Jupiter et Vénus. Telle était la semaine égyptienne, la même que la judaïque, commençant par le sabath ou sabeth, mot qui, selon saint Épiphane, signifiait en hébreu la planète de Saturne. C'est notre semaine actuelle où le même ordre est conservé entre les sept termes, quoique le premier (1) Voy. T. 1. p. 77.

soit devenu le septième, et que le jour héliaque, ou du Soleil, ait été remplacé par celui du Seigneur. Voilà donc comment chaque jour de l'année portait en Égypte le nom d'un dieu ou même à la fois de plusieurs dieux, si aux dénominations hebdomadaires on joint celles qui résultaient, tant de la division en décans et en mois, que des anniversaires solennels. Peut-être même qu'indépendamment de ces appellations systématiques, chacun des trois cent soixante ou trois cent soixante-cinq jours de l'année était encore attribué à un dieu, ou à un demi-dieu, ou à un animal sacré. Je ne fais, Messieurs, que vous rappeler ces résultats : ils suffisent pour justifier l'énoncé général d'Hérodote, que chaque mois, chaque jour était consacré à une divinité. Ce qu'il ajoute, concernant les prédictions qui se faisaient des destinées d'un homme d'après l'instant de sa naissance, mérite aussi une attention sérieuse; car il s'ensuit qu'au moins de son temps, il existait une sorte d'astrologie judiciaire. A la vérité, il ne dit point qu'on observât l'aspect des astres; mais il est fort probable que toutes les dénominations mensuelles, décadaires, hebdomadaires et quotidiennes que je viens de rappeler, avaient été primitivement imaginées, en conséquence de positions célestes grossièrement observées, et dont on avait supposé que les retours seraient invariables dans toutes les années égyptiennes, quoique ces coïncidences dussent se déranger de plus en plus tant par la précession des équinoxes ignorée des Égyptiens, que par l'omission d'un quart de jour dans leur année civile. Il n'y a rien d'exact à chercher dans la science des horoscopes; mais tout annonce que ce travers de l'esprit humain est fort antique, bien qu'on ait essayé

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