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444, et par conséquent à Thurium, mais on n'a voulu y voir que de simples additions. Bouhier, Wesseling et Larcher en ont cité plusieurs exemples; l'Attique envahie par les Lacédémoniens en la première année de la guerre du Péloponèse (431 avant notre ère); l'ambassade envoyée par les Lacédémoniens en Asie, l'an 430; la défection des Mèdes sous Darius Nothus, en 408. Bouhier et quelques autres, trompés par les journalistes de Trévoux, qui l'étaient eux mêmes par Georges le Syncelle, citaient encore comme postérieur à l'an 444 ce que dit Hérodote de la retraite du prince égyptien Amyrtée dans l'île d'Elbo. Le Syncelle rapporte ce fait à l'année 417; mais il est de 458, ainsi que Dodwell l'a prouvé. Toujours est-il vrai qu'Hérodote descend une fois jusqu'à 408, vingt-quatrième année de la guerre du Péloponèse. Il s'ensuit qu'on ne pourrait prendre à la rigueur ce que dit Pline, lorsqu'il fixe la composition de tout l'ouvrage, condidit eam historiam, à l'an 310 de Rome, ou 444 avant l'ère vulgaire. Il serait d'ailleurs étonnant qu'Hérodote eût trouvé le temps de construire toute son histoire, précisément en l'année où les colons auxquels il s'était associé, bâtissaient la ville de Thurium. Mais de plus, cela serait inconciliable avec les lectures qu'il fit de quelques-uns de ses livres au sein de la Grèce; troisième article qui demande encore quelques éclaircissements.

On suppose ordinairement que ce fut en 456, première année de la quatre-vingt-unième olympiade, qu'Hérodote, âgé de vingt-huit ans, se rendit aux jeux Olympiques, et lut à la Grèce assemblée ce qu'il avait déjà composé de son histoire. Si la date est in

certaine, le fait est généralement reconnu. Il nous est rapporté par Lucien, par Aulu-Gelle, par Marcellin, par Suidas. Marcellin a écrit, peut-être au quatrième siècle de l'ère vulgaire, une vie de Thucydide, où il dit que cet historien, assistant à la lecture que faisait Hérodote, en fut vivement ému. Né en 471, Thucydide avait quinze ans en 456; et cet âge a paru mieux convenir à une telle circonstance, que celui de onze ou de dix-neuf qu'il aurait eu aux jeux Olympiques de 460 ou de 452. L'âge de onze ans peut sembler en effet trop faible, quoiqu'au fond, cette sensibilité précoce, dans le futur historien de la guerre du Péloponèse, ne soit pas aussi incroyable qu'elle le paraît à Larcher. Je ne dirai pas non plus avec ce traducteur, qu'à dix-neuf ans elle n'aurait eu rien de remarquable; car les mouvements en pouvaient être assez vifs pour mériter d'être observés, comme ils le furent en effet par les autres auditeurs, et par Hérodote lui-même, si nous en croyous Marcellin. L'expression T Tais, encore enfant, dont se servent Marcellin et Suidas, est quelquefois appliquée à des jeunes gens qui ont atteint ou même dépassé leur vingtième année. Il n'y a donc pas de conséquence chronologique bien rigoureuse à tirer de ce récit; seulement il ne laisse de choix à faire que depuis la quatre-vingtième olympiade jusqu'à la quatre-vingt-troisième, années 460 à 448. Ces deux termes extrêmes sont les moins probables; les intermédiaires, 456 et 452, le seraient bien davantage. Corsini, qui se décide pour 444 dans ses Fastes attiques, cite Lucien qui ne dit rien du tout de relatif à cette question; et, selon toute apparence, il confond la lecture d'Hérodote aux jeux Olympiques avec

celle qui eut lieu en effet, en 444, aux Panathénées. Il se peut qu'en 456 et 444 Hérodote ait lu à Corinthe le récit de la bataille de Salamine. Dion Chrysostome, qui vivait cinq siècles plus tard, l'assure dans une harangue adressée aux Corinthiens. Il leur rappelle que l'historien avait inséré dans ce récit des circonstances fort honorables pour eux, mais que sur le refus qu'ils lui firent d'une récompense pécuniaire qu'il leur demandait, il renversa tellement l'ordre de la bataille qu'il n'y restait plus rien de glorieux aux guerriers de Corinthe. Voilà, Messieurs, un trait qui, s'il était bien avéré, ne tournerait point à la gloire de notre historien. Mais nous n'avons aucun moyen de vérifier cette imputation bien tardive dans Dion Chrysostome. Plutarque, en un écrit dont il nous faudra prendre connaissance, dit que les Corinthiens se comportèrent vaillamment à la journée de Salamine, et qu'Hérodote a par malignité supprimé leurs louanges; il n'ajoute point que ce fut parce qu'ils lui en avaient refusé le prix; il serait triste de penser qu'Hérodote ait pu aspirer ou même consentir à recevoir de pareilles récompenses, dont l'usage n'est assurément point ce qu'il y a de plus noble dans les mœurs antiques.

Aux Panathénées célébrées le 28 hécatombéon de l'an 444 avant J. C., Hérodote fit au peuple d'Athènes une lecture de quelques parties de son ouvrage : ils le comblèrent d'éloges et y ajoutèrent dix talents (cinquante à soixante mille francs de notre monnaie actuelle). Le décret qui lui adjugeait cette somme avait été proposé par Anytus. C'est Plutarque qui fait mention de ce décret d'après le témoignage de l'historien Diyllus. Voilà, Messieurs, tout ce que nous savons,

bien ou mal, des lectures publiques d'Hérodote, et nous pouvons en conclure au moins que son ouvrage était en grande partie composé avant son départ pour

Thurium.

On a aussi agité la question de savoir si les neuf livres de cette histoire ont reçu de l'auteur même les noms des neuf Muses, ou bien si c'est un hommage rendu à ses talents soit par ses contemporains, soit par la postérité. Dans tous les cas, ces noms heureux, bien préférables à une sèche numération, convenaient particulièrement à des livres qui forment, en quelque sorte, dans la littérature, la nuance entre les fictions de la poésie et les narrations historiques. Un morceau intitulé Hérodote se trouve parmi les œuvres de Lucien; et nous y lisons que, s'étant rendu aux jeux Olympiques en qualité de concurrent, et non comme simple spectateur, Hérodote récita, chanta ses histoires, adwv tas iotopías, et charma tellement ses auditeurs que le nom des Muses fut donné à ses livres qui étaient au nombre de neuf. Nous retrouvons le même fait, et presque les mêmes termes, dans le traité de Lucien sur la manière d'écrire l'histoire. Il s'ensuivrait que ses neuf livres étaient déjà composés, ce qu'on a souvent contesté, et que ce nom de Muses ne leur avait pas été imposé par l'auteur même. Cette dénomination a été plusieurs fois employée ainsi dans l'antiquité. Nous la voyons attachée aux neuf épîtres d'Eschine, comme le nom des trois Grâces à ses trois discours. Diogène de Laërte nous apprend que les traités d'Héraclite, malgré leur obscurité, furent appelés Muses, et que Bion intitula de même ses neuf livres de rhétorique. Céphaléon, si nous en croyons Photius,

VIII.

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distingua par ces mêmes noms, les neuf sections de son abrégé d'histoire depuis Ninus jusqu'à Alexandre le Grand. Aulu-Gelle parle d'un Aurélius Opilius qui, devenu de philosophe, rhéteur, et de rhéteur, grammairien, fit en cette dernière qualité neuf livres, auxquels il osa appliquer les noms des neuf déesses du Parnasse. Nous devons remarquer, à l'égard des livres d'Hérodote, qu'ils ne sont indiqués que numériquement, premier, second, etc., dans les plus anciens manuscrits qui en existent, et dans les citations qui en ont été faites, avant nos siècles modernes, par des grammairiens et d'autres auteurs. Ainsi en usent Athénée, Jules Pollux, Diogène de Laërte, Porphyre, Harpocration, Étienne de Byzance, Hésychius, Suidas même. Il faut descendre au quatorzième siècle, pour trouver dans Thomas Magister, et dans le dernier des scoliastes d'Aristophane, des renvois aux livres d'Hérodote par les noms des Muses; ἐν Θαλείᾳ, εν Πολυμνία; auparavant on dit πρώτη, δευτέρα, τρίτη, etc. Quelques manuscrits pourtant ajoutent à l'expression numérique un nom de muse : Ηροδότου ἱστοριῶν πρώτη (ou alpha) Kλó; ces doubles inscriptions ont été copiées dans la première édition d'Hérodote publiée par Alde, à Venise, en 1502.

Outre ces neuf livres, on attribua jadis à Hérodote une vie d'Homère, production apocryphe, qui ne mérite aucune sorte de confiance. Il y est dit qu'Homère, né de Crithéis fille de Mélanopus, fut d'abord appelé Mélésigénès, parce que sa mère l'avait mis au monde sur les bords du fleuve Mélès. On y voit comment Mélésigénès devint aveugle, comment ce malheur lui valut le nom d'Homère, et de quelle ressource lui fut

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