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du pouvoir qui gouverne toute autre chose que le garant de la sûreté, de la liberté, des propriétés et de l'industrie des gouvernés. Nous n'aurons point à examiner la république de Platon, elle n'a rien d'historique même dans les formes. On l'a souvent comparée à la Cyropédie, et plusieurs ont donné la préférence à l'ouvrage de Xénophon. Ce sont deux romans qui se rattachent au même genre d'abstraction, et qui sont presque également étrangers à l'étude des besoins de la société. Il faut croire, pour l'honneur de Socrate, que

philosophie a été fort altérée par l'imagination de ses deux disciples. Leurs systèmes tendraient tout au plus à établir un gouvernement, mais non assurément à constituer une nation. Leurs regards ne se portaient point sur la classe laborieuse à laquelle il appartient de dire: L'État, c'est nous.

HUITIÈME LECON.

SUITE DU RAPPROCHEMENT DE LA CYROPÉDIE ET de L'HISTOIRE DE CYRUS CONTENUE DANS HÉRODOTE.

Messieurs, je me suis arrêté longtemps, dans notre dernière séance, aux premières pages de la Cyropédie, parce qu'elles contiennent les fondements de tout l'édifice que Xénophon va construire. Cyrus a reçu jusqu'à douze ans l'éducation dont le plan vous a été tracé et qu'on a supposée commune à tous les enfants perses. Sa mère Mandane le conduit alors en Médie, à la cour d'Astyage, et vous présumez bien qu'il va y paraître un petit prodige : il charmera son aïeul par des saillies spirituelles, il gagnera tous les cœurs par ses manières nobles et gracieuses. L'éclat de cette cour magnifique ne l'éblouira point, et sans rien condamner, il saura se maintenir dans les principes austères dont il est imbu. S'il assiste à un repas somptueux, il s'étonnera qu'on ait pris tant de peine pour un besoin auquel du pain et du cresson suffisent. Au lieu de louer l'adresse merveilleuse de l'échanson Sacas, il promettra de la surpasser; et aussitôt il s'avancera d'un air grave, la serviette sur l'épaule, et tenant la coupe de trois doigts, il la présentera au roi avec une grâce et une dextérité qui raviront tous les spectateurs. «O Sacas, s'écriera-t-il, pauvre Sa<< cas, te voilà perdu; j'aurai ta charge, et je ne goûte<< rai pas comme toi la liqueur avant de l'offrir. » Si on lui demande pourquoi il a négligé cette cérémonie, «< ce << n'est point oubli, répondra-t-il, mais j'ai craint que

«< cette liqueur ne fût du poison; car j'ai vu, l'autre jour, «< qu'après en avoir pris tous les convives étaient en dé<<< lire : ils parlaient, criaient, chantaient à tort et à tra« vers, et quand ils voulaient danser, ils ne pouvaient << plus se soutenir sur leurs jambes. » Voilà bien la morale mise en action; et comme dit Rollin, «< on ne peut << trop admirer ici l'habileté de l'historien dans l'excel<< lente leçon qu'il donne sur la sobriété. Il pouvait la faire << d'une manière grave et sérieuse et prendre le ton d'un philosophe; car Xénophon, tout guerrier qu'il était, << n'était pas moins philosophe que Socrate son maître. « Au lieu de cela il la met dans la bouche d'un enfant << et la déguise sous le voile d'une petite histoire racon<< tée dans l'original avec toute la grâce et la gentillesse « possible. >> Ne trouvez-vous pas que ces réflexions naïves de Rollin confirmeraient ce que nous avons dit du caractère romanesque et non historique de la Cyropédie?

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Mandane retourne en Perse et Cyrus reste en Médie pour se perfectionner dans l'art de monter à cheval. Il continue de se faire admirer, estimer et aimer de toute la cour d'Astyage. C'est lui qui, au besoin, sollicite pour les jeunes seigneurs la faveur et l'indulgence du monarque. Il approchait de sa seizième année, lorsque le fils du roi des Babyloniens, faisant une partie de chasse, fut entraîné jusque sur les terres de Médie. Astyage se mit en campagne pour repousser cette agression; et Cyrus se distingua tellement dans cette guerre qu'on lui dut la victoire qu'on remporta sur le roi de Babylone. Cependant son père Cambyse le rappela en Perse, où il demeura encore un an, tout vainqueur qu'il était, dans la classe des enfants. Il passa les dix années suivantes dans celle des adolescents, et vous pensez bien qu'il

n'eut pas son pareil en adresse, en patience et en obéissance. A vingt-sept ans, on l'admit parmi les hommes faits. Après qu'il eut passé treize ans dans cette troisième classe, et par conséquent lorsqu'il eut atteint sa quarante et unième année, il partit à la tête des Perses pour aller secourir contre les Babyloniens son oncle Cyaxare, successeur d'Astyage. C'est, Messieurs, ce Cyaxare dont je vous ai plusieurs fois parlé, qui n'est inscrit que par Xénophon dans la liste des rois de Perse et que la plupart des chronologistes regardent comme un personnage imaginaire. D'un autre côté, Xénophon ne dit pas comment se nommait ce roi d'Assyrie qu'on allait combattre. Rollin et d'autres l'appellent Nériglissor, et s'il lui faut absolument un nom, celui-là en vaut bien un autre. La vérité est qu'il est à peu près impossible d'accorder ce récit de Xénophon avec ce qui subsiste, relativement à cette époque, de témoignages ou de rapports véritablement historiques. Quoi qu'il en soit, Cyrus, chargé du commandement de l'armée perse, choisit deux cents officiers nobles, dont chacun en recruta quatre autres du même rang. C'étaient en tout mille quoτipo ou hommes de la même dignité; et chacun de ces mille ayant à son tour levé parmi le bas peuple, dix piquiers, dix frondeurs, et dix archers, cela composait, y compris les homotimes, une armée de trente et un mille hommes. Vous observerez, Messieurs, que ce titre d'homotimes s'appliquait à ceux qui avaient l'éducation commune dans les trois premiers quartiers de la place Eleuthère. Cyrus commença, selon l'usage, par adresser une harangue à ses homotimes; il leur peignait les Assyriens comme des esclaves efféminés, vaincus d'avance par les voluptés. « Au

reçu

<«< contraire, ajoutait-il, vous êtes accoutumés dès l'en<«< fance à une vie sobre et dure: la faim et la soif assai<< sonnent vos repas; les fatigues sont vos plaisirs; et « les dangers, vos délices : l'amour de la patrie et de la gloire est votre unique passion. Mais ce qui doit vous inspirer encore plus de confiance, c'est que je ne me suis « point engagé dans cette expédition sans avoir consulté « les dieux et imploré leurs secours. » Les dieux que Xénophon nomme ici comme les protecteurs de la Perse sont Jupiter et Vesta; et il est bien vrai que d'une part les Perses reconnaissaient un dieu suprême, que de l'autre ils rendaient au feu un culte particulier. En remontant aux idées primitives, on rapproche aisément les mythologies diverses; mais en cette matière, les noms et les légendes sont aussi à compter pour quelque chose, et sous ce rapport, on a pu reprocher à Xénophon d'avoir introduit chez les Perses deux divinités qui leur étaient inconnues; car ils n'appelaient point le feu Vesta ni le roi des dieux Jupiter.

Cambyse voulut accompagner son fils Cyrus jusqu'aux frontières. A peine étaient-ils sortis du palais, qu'on vit briller les éclairs, et qu'on entendit même gronder le tonnerre, signes manifestes, dit l'historien, de la protection de Jupiter le Tout-Puissant. « Mon fils, << dit Cambyse, il est évident par les sacrifices et par << les signes qui vous sont envoyés du ciel, que les dieux << vous sont propices. Vous êtes en état d'en juger; car << j'ai voulu que vous n'eussiez pas besoin des yeux et des « oreilles d'un interprète qui serait le maître de vous << tromper par une fausse explication des prodiges. J'ai << voulu que dans le cas où, par malheur, vous n'auriez « pas de devins auprès de vous, jamais vous ne fussiez

VIII.

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