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ru. Cependant, malgré ces excellents travaux modernes, vous verrez qu'il reste encore, en chacun des moyens siècles, quelques témoins immédiats qu'il est nécessaire d'interroger et d'écouter. L'histoire de France surtout est encore à puiser dans ses sources. Aucun des recueils où l'on a tenté de la rassembler, de la déposer tout entière, n'a suffisamment rempli ce but. Mézerai a trop négligé les recherches; il n'a lui-même que des notions inexactes de ce qui s'est passé avant Hugues Capet. Daniel, plus instruit, a moins de franchise, et il prend si peu de soin de son style ou de sa diction, qu'il est à peine lisible. A tous égards, il vaut mieux recourir à Grégoire de Tours, à Frédégaire, à Roricon, à Aimoin, à Éginhard, à Thégan dont la barbarie est du moins naïve. Velly et ses continuateurs n'ont pas suivi une méthode constante et déterminée : l'instruction, dans leur recueil, est tantôt incomplète ou même fausse, tantôt mal choisie et confuse. Je ne veux pas dire pourtant qu'il soit inutile de les lire; mais je pense que cette lecture n'est bien sûre et bien profitable, qu'après celle des plus importantes relations originales. Il en est à peu près de même à l'égard des annales des autres nations partout, l'on demeure exposé à de graves erreurs et à n'acquérir que des connaissances bien imparfaites, si l'on s'en tient aux abrégés et aux compilations. Alors même qu'on n'y rencontrerait que des résultats certains ou probables, ce ne serait point encore là étudier assez bien l'histoire. Les meilleurs abrégés, ceux qui se composeraient effet de notions historiques fort exactes, ne ressembleraient qu'à des manuels de géométrie qui contiendraient une suite de définitione et de théorèmes sans démonstra

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tions, et qui, pouvant bien être de quelque utilité purement usuelle, ne communiqueraient aucune science réelle. Non, Messieurs, l'histoire n'est connue que de ceux qui ont pénétré sa substance, analysé son système, recherché ses éléments, observé de près ses sources, ses progrès et ses directions.

Vossius, outre son traité de l'art d'écrire l'histoire, a publié quatre livres sur les historiens grecs et trois sur les latins. Des suppléments et des éclaircissements y ont été ajoutés par Mallinkrot, Hallervord, Sand, Apostolo Zeno. Toutes ces notices ne concernent ordinairement que les circonstances particulières de la vie et des travaux de chaque auteur. Le fond des ouvrages n'y est pas examiné. On doit à La Mothe-LeVayer des observations plus philosophiques sur quatorze historiens grecs et dix latins. Ce sont des jugements souvent fort sages, des aperçus quelquefois fort justes; mais ils ont pour but de caractériser les historiens, bien plus que de suivre, dans leurs livres, la marche de l'histoire elle-même. Depuis, les vies d'historiens et les bibliographies historiques se sont multipliées sous différentes formes, et, quoiqu'elles diffèrent essentiellement du cours d'études que nous entreprenons, nous ne négligerons pas d'y puiser des indications et des renseignements. En général, ces notices, à l'exception de celles de La Mothe-Le-Vayer, font moins connaître les livres dont la lecture est nécessaire, que ceux que nous avons désignés comme devant être seulement consultés. Quoi qu'il en soit, quelques-unes de ces compilations méritent plus de reconnaissance qu'elles n'ont coutume d'en obtenir. Les rédacteurs mêmes de simples catalogues rendent à la

littérature des services qui ne sont point assez appréciés ils indiquent les sources, les essais, les matériaux; ils avertissent de ce qui existe et de ce qui manque; ils facilitent ainsi les recherches et contribuent à la direction des études.

Ici, Messieurs, se terminent les notions générales que j'avais à vous présenter, et sans lesquelles je ne crois pas que l'histoire puisse acquérir assez d'exactitude, assez d'utilité pour se pour se placer au nombre des sciences. Les principes que nous avons essayé d'établir ne se reproduiront plus, que pour s'appliquer à des choses particulières. Les peuples vont se montrer à nous dans leurs situations diverses, soit extrêmes, soit intermédiaires. Nous distinguerons deux sortes de barbaries, l'une qui précède les siècles éclairés, et l'autre qui leur succède; la première plus grossière, la seconde plus vicieuse entre elles seront des temps moins sombres, mais orageux encore et pleins de vicissitudes, selon l'influence que les gouvernements exerceront sur les habitudes, et les habitudes sur les opinions; ou selon que le progrès des idées réagira sur les mœurs, et les mœurs sur le système politique. Car voilà, comme l'ont observé quelques philosophes, tous les ressorts, tout le mécanisme, tout le jeu de l'histoire. Mais une multitude de circonstances locales et personnelles varieront indéfiniment ces combinaisons et leurs effets. Chaque scène offrira des personnages, des démarches et des particularités qui la rendront nouvelle : mais chaque spectacle nouveau en rappellera d'anciens, qui auront été amenés par des causes semblables, et régis les mêmes lois.

par

Hérodote a reçu nos premiers hommages, dès l'ius

VIII.

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tant où nous avons ouvert ce cours d'histoire. « S'il a

«

mêlé, disions-nous, à des récits instructifs des tra«ditions fabuleuses, du moins il a fixé tous les sou<<< venirs jusqu'alors épars; il a recueilli, pour ainsi << dire, tous les débris des peuples et des siècles; racon<< tant comme Homère invente, toujours simple et riche << comme lui; animant ses tableaux, éclairant ses narra<< tions l'une par l'autre, habile à les poursuivre, à les interrompre, à les reprendre; créant, par un chef-d'oeu<< vre de l'art d'écrire, la science des lieux, des temps et << des faits. » Son ouvrage sera, Messieurs, le sujet qui nous occupera dans nos prochaines séances.

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I

• Discours d'ouverture. t. I, p. xxxIII.

DEUXIÈME LEÇON.

NOTICE SUR LA VIE ET LES TRAVAUX D'HÉROVOTE.

Messieurs, quoique Hérodote ait été nommé par Cicéron le prince des historiens et le père de l'histoire, le genre historique s'était annoncé, avant le siècle de Périclès, par un assez grand nombre d'essais. Il avait été cultivé, même hors de la Grèce; et, malgré beaucoup de recherches, on ne parvient pas à déterminer le lieu ni l'époque de son origine. Le phénicien Sanchoniaton a été souvent désigné comme antérieur à Moïse; plusieurs le font contemporain d'Abraham; d'autres le retardent jusqu'au temps de la guerre de Troie, ou même jusqu'à celui de David et de Salomon, lesquels, selon Bossuet, sont postérieurs à Priam. Quoi qu'il en soit, Sanchoniaton avait, dit-on, écrit les annales des premiers hommes. Le texte phénicien de cet ouvrage. ne subsiste plus; Philon de Byblos en fit, vers la fin du premier siècle de notre ère, une prétendue version grecque, qui ne s'est pas conservée tout entière, mais dont Eusèbe et Porphyre ont extrait plusieurs fragments. Rien ne nous garantit la fidélité ni de cette traduction ni de ces extraits. Il se peut même que le grammairien Philon ait forgé jusqu'au nom de Sanchoniaton, s'il est vrai que ce nom signifie, en ancien phénicien, amateur de la vérité. Ce qu'il y a de plus curieux dans ces fragments est ce qu'ils contiennent de relatif à l'âge antédiluvien : c'est une succession de dix générations depuis Protogone, ou le premier homme,

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