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L'Avare qui a perdu son trésor. *

L'usage seulement fait la possession.

Je demande à ces gens de qui la passion

Est d'entasser toujours, mettre somme sur somme, Quel avantage ils ont que n'ait pas un autre homme. Diogène là-bas est aussi riche qu'eux,

Et l'avare ici-haut comme lui vit en gueux. L'homme au trésor caché, qu'Esope nous propose, Servira d'exemple à la chose.

Ce malheureux attendoit

Pour jouir de son bien une seconde vie ;
Ne possédoit pas l'or, mais l'or le possédoit.
Il avoit dans la terre une somme enfouie,
Son cœur avec, n'ayant autre déduit
Que d'y ruminer jour et nuit,

Et rendre sa chevance à lui-même sacrée.

Qu'il allat ou qu'il vînt, qu'il bût ou qu'il mangeât,

Esop., 188, 59. Avarus. - Louys Guichardin, traduit par Belleforest. Les Heures de Récréation, 1805, in-18, p. 145.

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On l'eût pris de bien court, à moins qu'il ne songeât A l'endroit où gisoit cette somme enterrée.

Il y fit tant de tours qu'un fossoyeur le vit,

Se douta du dépôt, l'enleva sans rien dire.

Notre avare un beau jour ne trouva que le nid.
Voilà mon homme aux pleurs : il gémit, il soupire,
Il se tourmente, il se déchire.

Un passant lui demande à quel sujet ses cris. -
C'est mon trésor que l'on m'a pris.

Votre trésor! où pris?-Tout joignant cette pierre. — Eh! sommes-nous en temps de guerre

Pour l'apporter si loin? N'eussiez-vous pas mieux fait De le laisser chez vous en votre cabinet,

Que de le changer de demeure?

Vous auriez pu sans peine y puiser à toute heure.—
A toute heure, bons dieux! ne tient-il qu'à cela?
L'argent vient-il comme il s'en va?

Je n'y touchois jamais. Dites-moi donc, de grace,

Reprit l'autre, pourquoi vous vous affligez tant:
Puisque vous ne touchiez jamais à cet argent,

Mettez une pierre à la place;

Elle vous vaudra tout autant.

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L'OEil du Maître. *

Un cerf, s'étant sauvé dans une étable à bœufs,
Fut d'abord averti par eux

Qu'il cherchât un meilleur asile.

Mes frères, leur dit-il, ne me décelez pas :
Je vous enseignerai les pâtis les plus gras;
Ce service vous peut quelque jour être utile,
Et vous n'en aurez point regret.

Les bœufs, à toutes fins, promirent le secret.
Il se cache en un coin, respire, et prend courage.
Sur le soir on apporte herbe fraîche et fourrage,
Comme l'on faisoit tous les jours:

L'on va, l'on vient, les valets font cent tours,
L'intendant même ; et pas un d'aventure

N'aperçut ni cor, ni ramure,

Ni cerf enfin. L'habitant des forêts

Rend déjà grace aux boeufs, attend dans cette étable

Que, chacun retournant au travail de Cérès,

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