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être chauffés large & groffierement; parler haut & ne pouvoir fe réduire à un ton de voix modéré; ne fe pas fier à leurs amis fur les moindres affaires, pendant qu'ils s'en entretiennent avec leurs domefhques, jufques à rendre compte à leurs moindre valets de ce qui aura été dit dans une assemblée publique. On les voit affis leur robe relevée jufqu'aux genoux & d'une maniere indécente. Il ne leur arrive pas en toute leur vie de rien admirer ni de paroître furpris des chofes les plus extraordinaires que l'on rencontre fur les chemins: mais, fi c'eft un boeuf, un âne, ou un vieux bouc, alors ils s'arrêtent & ne se lassent point de les contempler. Si quelquefois ils entrent dans leur cuifine, ils mangent avidement tout ce qu'ils y trouvent, boivent tout d'une haleine une grande taffe de vin pur; ils fe cachent pour cela de leur fervante, avec qui d'ailleurs ils vont au moulin, & entrent dans les plus petits détails du domef tique. Ils interrompent leur fouper, & fe levent pour donner une poignée d'herbes aux bêtes de charrue qu'ils ont dans leurs étables. Heurte-t-on à leur porte pendant qu'ils dinent? Ils font attentifs & curieux. Vous remarquez toujours proche de leur table un gros chien de cour, qu'ils appellent à eux, qu'ils empoignent par la queue, en difant Voilà celui qui garde la place, qui prend foin de la maison & de ceux qui font dedans. Ces gens, épineux dans les payemens qu'on leur fait, rebutent un grand nom bre de pieces qu'ils croient légères, ou qui ne bril. lent pas affez à leurs yeux, & qu'on eft obligé de leur changer. Ils font occupés pendant la nuit d'une char rue, d'un lac, d'une faulx, d'une corbeille, & ils re vent à qui ils ont prêté ces uftencilles. Et, lorfqu'ils marchent par la ville, Combien vaut, demandentils aux premiers qu'ils rencontrent, le poiffon fale?

Les fourrures fe vendent-elles bien? N'eft-ce pas aujourd'hui que les jeux nous ramenent une nouvelle lune? D'autres fois, ne fçachant que dire, ils vous apprennent qu'ils vont fe faire rafer, & qu'ils ne. fortent que pour cela. Ce font ces mêmes perfonnes que l'on entend chanter dans le bain; qui mettent des clous à leurs fouliers ; qui, fe trouvant tout portés devant la boutique d'Archias, achetent euxmêmes des viandes falées, & les rapportent à la main en pleine rue.

S.

SAGACITÉ.

LA fagacité eft une qualité de l'efprit, qui rend

par des images fenfibles les idées abitraites. Elle vient de l'imagination, jointe à une pénétration vive & prompte, qui découvre dans les chofes les rapports les plus éloignés. Elle a beaucoup de reffemblance avec la fineffe; dont elle differe cependant, en ce que l'une ne cherche que le rapport des chofes, tandis que l'autre cherche auffi à les approfondir, à découvrir leurs principes, & à rendre les idées ce qu'elles ont de fenfible & de frappanti

par

La fagacité renferme une idée de facilité qui vient de la netteté de l'imagination.

La fagacité, dit M. l'abbé De Condillac, n'est que l'adreffe avec laquelle on fçait fe retourner, pour faifir fon objet plus facilement, ou pour le faire mieux comprendre aux autres; ce qui ne fe fait que par l'imagination jointe à la réflexion & à l'analyse.

SAGESSE.

La sagesse est l'art de fe rendre heureux, l'art de fe conduire par rapport à foi & à la fociété.

La fageffe eft douce & facile :

Son cœur libre & fans fard lui donne un air riant:
Incapable d'aigreur, toujours ftable & tranquille;
Son accueil eft humain, fon efprit eft liant:
Exacte en fes devoirs fans paroître fauvage,
Elle cache le mal, elle applaudit le bien :
Franche fans être dure, humble fans étalage,
Elle remarque tout, & ne critique rien
Raille fans déchirer, amuse sans médire :
Aimable fans étude, elle plaît fans deffein,
Court après les ingrats qui veulent la détruire
Les cherche, les découvre & leur ouvre fon fein.

L. D. V.

Les moralistes diftinguent trois fortes de fageffe; la mondaine, l'humaine & la divine.

La fageffe mondaine n'en mérite pas le nom. Ses maximes font fondées fur l'empire des préjugés, & contraires à la raison. Elle prefcrit, pour toute regle de conduite, de fuivre tous les usages, quelques vicieux qu'ils foient.

La fageffe humaine cherche, dans la connoissance de l'homme & de fes devoirs, les moyens qui peuvent le conduire au but qu'il fe propofe, de fe rendre heureux dans cette vie: la fageffe divine porte fes vues & fes efpérances plus loin, & rapporte à Dieu, principe de tout bonheur, toutes fes pensées & toutes Les actions. Je ne parlerai que de la fagesse humaine.

La fageffe humaine est la connoiffance & l'affec tion du vrai bien. Elle nous apprend l'art de modérer nos paffions, de jouir des plaifirs, de diffiper

les

s chagrins, & de fupporter les peines : la volupté 1 eft le fruit.

On n'acquiert la fageffe qu'en fuivant les maxies de la raifon, en nous approchant de la nature en fecouant les préjugés.

:

La fageffe, dit Montaigne, aime la vie ; elle aime beauté, la gloire, la fanté mais fon office propre particulier, c'eft de fçavoir ufer de ces biens-là glement, & de les fçavoir perdre conftamment. Elle a pour but la vertu qui n'eft pas, comme tl'école, plantée à la tête d'un mont Coupé, raboux & inacceffible. Ceux qui l'ont approchée la ennent, au rebours, logée dans une belle plaine rtile & fleuriffante, d'où elle voit bien fous foi utes chofes mais fi peut on y arriver, qui en fçait dreffe, par des routes ombrageufes, gafonnées & ux-fleurantes, & d'une pente facile & polie, mme eft celle des voûtes célestes.

On a grand tort de la peindre inacceffible aux enns, & d'un vifage renfrogné, fourcilleux & terle. Qui me l'a masquée de ce faux vifage, pâle & deux ? Il n'eft rien plus gai, plus gaillard, plus joué, & à peu que je die folâtre. Elle ne prêche le fête & bon temps: une mine trifte & tranfie ontre que ce n'eft pas là fon gîte. Voyez PHILO

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Il vit content de la fortune

Quelque part que le ciel l'ait mis
Jamais fa plainte n'importune,
Ni les princes, ni fes amis.

Il ignore le vil commerce

Que les hommes font de leur cœur ;
Et ne fçait point comment s'exerce
L'infâme métier de flatteur.

Tous fes deffeins font légitimes,
Et conformes à la raison :
Il est toujours juste, & des crimes
Il ignore même le nom.

Dégagé de toute contrainte,
Le repos fait tout fon plaifir;
Et, content, il voit tout fans crainte,
Parce qu'il voit tout fans defir.

Il jouit d'une paix profonde,

Que nul remords ne peut troubler;
Et la chûte même du monde

Ne fçauroit le faire trembler.

Riuperoux.

Heureux le mortel aimé des cieux, que la nature a orné de tous fes dons ; qui joint, à un extérieur prévenant, un efprit cultivé & docile aux confeils de la raison ; & un cœur fenfible & compatiffant, qu'échauffe fans ceffe l'amour de l'ordre & du devoir; également éloigné du fanatifme, de la fuperftition & de l'audace impie de l'irréligion! Il foumet fes doutes aux lumieres de la foi; & cherche, dans la fimplicité de fon coeur, à dégager la vérité des piéges de l'erreur qui l'environne. Ferme dans l'adver fité, fans crainte, fans remords, exempt de trouble & d'inquiétude, il attend, fans impatience, les

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